Jeune homme acquis aux idées du Hezbollah, Mohammad Tahan est mort le 14 mai dernier, après avoir été touché par des tirs de char israélien alors qu’il venait de traverser la frontière. Célébré en héros dans son village natal de Adloun, il a fait la fierté de sa famille en sacrifiant sa vie pour la cause palestinienne. Un choix qui paraît incompréhensible pour une grande partie de la population libanaise, d’autant plus qu’après des décennies de batailles, notamment sur le sol libanais, la question palestinienne a provoqué une lassitude généralisée auprès de plusieurs pans de la société. Le destin tragique de Mohammad Tahan résulte en fait d’une double histoire : celle du Liban-Sud dans son rapport à Israël, et celle de la montée en puissance du Hezbollah et de la diffusion de son idéologie. La communauté chiite, qui compose la majorité de la population du « Jabal Amel » (nom historique de cette région), a toujours été profondément engagée dans cette cause, même si la relation entre les partis politiques chiites et les fedayin palestiniens a beaucoup oscillé au fil du temps. La géographie joue ici un rôle capital. Lors de la création de la frontière séparant la Palestine sous mandat du Liban, au lendemain de la Première Guerre mondiale, une région entière sera relayée à la périphérie.
À cette époque, le Liban-Sud vivait principalement de la monoculture du tabac avec ses principaux débouchés en Palestine.Le tracé des frontières n’a pas pris en compte certaines spécificités économiques et démographiques de cette région. Kassem Kassir, analyste politique proche du parti de Dieu, explique à L’OLJ que « les relations entre les habitants du Sud et la Palestine sont très fortes. Avant l’existence de l’entité sioniste, toute la région était imbriquée économiquement avec la Palestine ». Ainsi, le Jabal Amel fut disloqué de la ville d’Acre en Palestine de façon arbitraire, elle qui représentait le centre portuaire commerçant et faisait partie intégrante de sa wilaya durant l’Empire ottoman. La Galilée historique a été divisée, ce qui a brisé ainsi des centaines d’années de liens économiques et familiaux. Cette déchirure profonde et la marginalisation du Jabal Amel, une fois intégré au Grand Liban, faciliteront le ralliement ultérieur de la majorité de la population du Sud à la cause palestinienne. Dans les années trente, de nombreux Palestiniens arrivent dans la région et sont accueillis et aidés par la population.
Bombe à retardement
Relayée au second plan durant des siècles, la communauté chiite sera des plus représentées dans les mouvements de travailleurs du Liban, la CGT et le Parti communiste qui étaient très bien implantés dans la région. À l’instar de ce qui se passe dans le reste du pays, la démographie connaît une forte hausse entre les années 1900 et 1970 avec une population passant de 130 000 habitants à près de 600 000 pour le Jabal Amel, dont beaucoup « montent » à Beyrouth pour trouver des emplois, mais aussi en Afrique et ailleurs. Engagés dans l’internationale de gauche propalestinienne, les habitants du Liban-Sud sont marginalisés par l’État libanais. La juxtaposition de cette région avec Israël la transforme en une vraie bombe à retardement. Les accords du Caire de 1969 font du Liban une zone de conflits qui va de plus accueillir les fedayin palestiniens chassés de Jordanie après les événements du Septembre noir (1970).
Après la défaite de 1967 qui signe la fin de l’âge d’or du panarabisme, l’entrée en scène de Moussa Sadr est un tournant décisif dans la construction politique des chiites du Liban. Le Conseil supérieur chiite (CSC) créé en 1967 par le Parlement libanais place Moussa Sadr à sa tête. Le mouvement des déshérités (Amal), créé en 1974, aura pour but de réunir les membres de la communauté contre l’oppression, la pauvreté et la marginalisation dont ils se considèrent victimes. Moussa Sadr était toutefois très critique de la présence de l’OLP au Liban durant les années qui ont précédé sa disparition en 1978 en Libye, bien que les fedayin aient entraîné la branche armée d’Amal au début de la guerre civile en 1975. En 1978, le mouvement Amal s’éloigne des factions palestiniennes et prend position pour la souveraineté libanaise. Avec la disparition de l’imam Moussa Sadr et l’invasion du Liban-Sud en 1978 et 1982, Nabih Berry prend la tête du mouvement Amal en 1980 et commence par ne pas montrer d’hostilité à l’égard de la signature par le Liban avec Israël d’un accord sur le retrait de l’État hébreu, sous la pression de sa base populaire. Comme l’explique Khalila Aude Coëffic dans son article « La cause palestinienne entre “parler musulman” et “parler chiite”, ou les transformations des imaginaires politiques dans un village du Liban-Sud », les habitants du Sud étaient épuisés de l’attitude des Palestiniens qui, d’abord, se comportaient avec eux d’une manière autoritaire ; et, ensuite, attiraient sur leurs villages les foudres d’Israël en représailles à leurs actions.
« La guerre des camps »
Mais l’arrivée d’un nouvel acteur va changer la donne. La création du Hezbollah, qui sera officiellement constitué en 1985, provoque un véritable déchirement au sein de la communauté chiite entre les deux groupes rivaux. La démarche « modérée » de Nabih Berry va jeter nombre de ses partisans dans les bras du parti de Dieu, qui « essentialise » la lutte contre Israël.
Le mouvement Amal entame pour sa part en 1985 « la guerre des camps » en coordination avec Damas. Afin de liquider définitivement la présence de l’OLP au Liban, il assiège les enclaves palestiniennes de Sabra, Chatila et Bourj Brajné. La situation est donc au plus bas entre les chiites partisans d’Amal et les Palestiniens. Yasser Arafat accuse les dirigeants d’Amal « de poursuivre l’œuvre d’(Ariel) Sharon », en référence aux massacres de Sabra et Chatila en 1982. Le Hezbollah, lui, qui ne s’appelait pas encore Hezbollah, ne prend pas part à la guerre des camps et focalise son combat sur Israël. Les frères ennemis se livreront également des batailles féroces pour le contrôle des zones chiites pendant les dernières années de la guerre civile.
La lutte armée contre Israël menée par le parti de Dieu durant les années quatre-vingt-dix coïncide avec une mise sous tutelle des factions palestiniennes. L’occupation israélienne du Liban-Sud viendra renforcer les liens entre certaines factions palestiniennes, la Syrie et l’Iran, créant « l’axe de la résistance » tel qu’il existe aujourd’hui. La cause palestinienne est omniprésente dans la rhétorique du Hezbollah qui affirme sacraliser la lutte armée pour libérer Jérusalem et la Palestine. La révolte contre un pouvoir injuste est un élément inhérent à la philosophie religieuse chiite pour qui le sacrifice de Hussein lors de la bataille de Kerbala est le symbole le plus notable. Sous l’impulsion de Téhéran, le parti chiite introduit de ce fait le culte du martyre dans la société chiite libanaise, où le sacrifice pour la cause sacrée devient une action héroïque.
Dès 1985, le Hezbollah va combler le vide laissé par l’OLP et s’arroger le rôle de gardien du temple de la question palestinienne au Liban. Celle-ci est désormais abordée à partir d’une vision islamiste et diffusée auprès d’une population de plus en plus tournée vers un conservatisme chiite, sous l’influence du Hezbollah, et donc de l’Iran.
commentaires (4)
1) les palestiniens 2) les syriens 3) l'Iran ( le hezbollah) j'ai oublié quelqu'un?
Eleni Caridopoulou
20 h 49, le 04 juin 2021