Sous-tendue de tiraillements politiques, la guerre au sein du corps de la magistrature a atteint un point culminant durant le week-end écoulé, avec un nouveau round d’attaques en règle de la procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, sur Twitter contre le procureur de la République, Ghassan Oueidate, et le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Du jamais-vu dans l’histoire de la justice libanaise.
Bien qu’elle soit déférée devant l’Inspection judiciaire depuis plusieurs semaines pour « manquement au droit de réserve » et « refus de se présenter aux convocations » du ministère public, Mme Aoun, proche du camp aouniste, continue ainsi à utiliser les réseaux sociaux pour accuser M. Oueidate, proche du camp haririen, d’« infraction à la loi » et de « mainmise » sur la justice. Elle lui en veut notamment pour avoir décidé de lui retirer des dossiers financiers sur lesquels elle travaillait et de la dessaisir des enquêtes sur des affaires de corruption. Cela, insiste la procureure, avec l’accord du CSM. La démarche disciplinaire à son encontre n’a fait que la monter davantage contre Ghassan Oueidate qu’elle a assimilé à « la Sublime Porte » ottomane.
La guerre publique Aoun-Oueidate suscite des réactions mitigées parmi les juges et les avocats. Si certains estiment qu’elle ébranle sérieusement la stabilité et le prestige de l’institution judiciaire, ainsi que la confiance dans la justice, d’autres pensent au contraire que la liberté d’expression donne à tout juge le droit et le devoir de s’indigner en faveur de l’intérêt public.
« Le procureur général Oueidate a ordonné à la police judiciaire de ne plus me contacter pour que je ne puisse plus suivre des dossiers de corruption », s’est ainsi indignée Ghada Aoun samedi dans un tweet écrit en français, soulignant que M. Oueidate les a répartis entre les magistrats, « contrairement au texte pourtant clair de la loi (…) et cela avec l’accord du CSM ». « La mainmise sur la justice continue et s’aggrave (…) », a-t-elle ajouté, toujours en français. Trois jours auparavant, elle s’était insurgée contre le procureur pour les mêmes griefs, en s’interrogeant sur le point de savoir si « la Sublime Porte bénéficie d’un droit que d’autres n’ont pas ».
La réponse du parquet de cassation n’avait pas tardé. « Dans tout ministère public, la répartition des tâches ne constitue pas une dépossession de pouvoirs. La décision est exécutoire et son non-respect est contraire à la loi. “Sublime Porte” s’applique à ceux qui dépassent les limites de leurs prérogatives », a-t-on pu lire sur son compte Twitter.
L’arrestation de Rami Alleik
« J’ai été nommée par un décret qui ne peut être abrogé que par décret. Ni un magistrat ni le CSM ne peuvent l’annuler. Toutes les plaintes devant l’Inspection judiciaire sont vides de substance et n’ont aucun fondement. Ma conscience est tranquille, aucun être humain ne me fera peur et je ne m’empêcherai pas de témoigner de la vérité », a riposté Ghada Aoun, allant jusqu’à accuser le procureur de la République de chercher à étouffer les investigations dans l’affaire de la double explosion au port de Beyrouth, le 4 août dernier. Elle a aussi dénoncé la « violence » avec laquelle avait été arrêté jeudi l’avocat et activiste Rami Alleik, qui l’avait accompagnée dans ses perquisitions surmédiatisées de l’entreprise Mecattaf de convoyage de fonds, en défendant avec véhémence ce dernier qui avait qualifié la veille Ghassan Oueidate de « criminel », l’accusant de « couvrir les cartels de corruption » dans « un système judiciaire pourri et poisseux ». Arrêté manu militari alors qu’il se rendait au bureau du bâtonnier de Beyrouth Melhem Khalaf, l’activiste devrait être entendu aujourd’hui par le premier juge d’instruction de Beyrouth par intérim, Charbel Abou Samra. Rami Alleik fait l’objet d’une plainte du Conseil supérieur de la magistrature pour diffamation et flagrant délit d’insultes à l’égard de la justice et à l’encontre de la personne de Ghassan Oueidate.
« Un avocat se fait traîner et humilier dans la rue et il est arrêté, ainsi que des activistes, pour avoir osé demander où en sont les dossiers de corruption », s’est-elle indignée, en référence à des partisans du CPL qui avaient affiché il y a quelques jours une banderole sur laquelle on pouvait lire : « Qu’as-tu fait Ghassan ? »
Ghada Aoun s’est également insurgée contre le fait que le Premier ministre sortant, Hassane Diab, n’ait pas encore signé le projet de nomination de quatre magistrats au CSM établi par la ministre de la Justice, Marie-Claude Najm. « Pourquoi des magistrats comme Roula Husseini, Samer Younès, Dania Dahdah et d’autres (le projet inclut aussi le nom de Joëlle Fawaz) sont-ils empêchés de siéger au CSM ? N’est-ce pas parce qu’ils n’écoutent que leur conscience libre ? » a-t-elle tweeté samedi, avant d’ajouter : « L’hypothèque de la décision judiciaire se poursuit. Juges, rebellez-vous ! (…) »
Un « volcan éteint »
De nombreux magistrats et avocats ont suivi, abasourdis, les attaques de Ghada Aoun contre Ghassan Oueidate et le CSM. Une magistrate haut placée, souhaitant garder l’anonymat, dénonce « ces débats étalés sur les réseaux sociaux ». « Ils ne sont ni sains ni institutionnels », commente-t-elle, estimant que « même si les juges choisissent de recourir à ces plateformes, ils devraient le faire en s’abstenant de compromettre leur dignité ». Un ancien membre du CSM va plus loin et note que « jamais la justice n’a été si près de s’effondrer ». Il critique le comportement de Ghada Aoun, mais aussi l’attitude du CSM qui aurait dû, selon lui, avant l’expiration de son mandat le 28 mai, être plus tranchant et déclarer l’incapacité de la procureure à poursuivre ses fonctions. Il est tout aussi monté contre l’Inspection judiciaire qui tarde à se prononcer au sujet du recours présenté par le CSM contre Ghada Aoun. Ce juge compare cet organisme à un « volcan éteint », attribuant son « inertie » à « une crainte probable du pouvoir politique ». Plusieurs avocats ont également dénoncé le grand déballage public entre les deux procureurs.
Cependant, pour Nizar Saghieh, directeur de l’ONG Legal Agenda, « l’obligation de réserve à laquelle doit se conformer un magistrat concerne les seuls litiges judiciaires sur lesquels il se penche ». « Mais lorsque les remarques se rapportent à un danger menaçant le système de justice et à une atteinte à l’intérêt public, un juge a le devoir autant que tout autre citoyen de s’indigner et de prendre la parole pour alerter la société », estime-t-il, soulignant qu’un magistrat « resterait vulnérable s’il se contentait d’exprimer ses positions intra-muros sur des interférences auxquelles il serait soumis sans que des solutions y soient trouvées ». À titre comparatif, Me Saghieh mentionne le code déontologique belge qui impose « un devoir d’indignation », évoquant également un document de l’Organisation des Nations unies en vertu duquel « la liberté d’expression des juges est une garantie de leur indépendance ». Face à une remarque faite sur l’appartenance de Ghada Aoun à un camp politique déterminé, le directeur de Legal Agenda considère que « les sympathies politiques des juges sont déplorables, mais ne justifient pas la privation de leur liberté d’expression ».
commentaires (10)
PUISQUE ELLE A TANT A COEUR DE COMBATTRE LA CORRUPTION ET LA FUITE D,ARGENT QU,ELLE COMMENCE PAR LES 80+ MILLIONS DE DOLLARS PARTIS EN FRANCE AVEC AOUN ET LE SCANDALE DU SIECLE DES BARGES TURQUES DU GENDRE ET DES DEFICITS DE L,EDL LES 11 DERNIERES ANNEES OU LE GENDRE PROMETTAIT 24/24 HEURES D,ELECTRICITE AVEC SON CPL RESPONSABLE DU MINISTERE DE L,ENERGIE. QUAND AU MINISTERE DES FINANCES IL EST DEPUIS TOUT CE TEMPS DANS LES MAINS DE LEURS ALLIES AVEC QUI ILS COOPERENT. ELLE EN ENTEND PARLER DEPUIS DES ANS MAIS N,A PAS BOUGE SON POUCE. ASSEZ DE CLOWNERIES !
LA LIBRE EXPRESSION
14 h 01, le 31 mai 2021