« J’ai été privé de mes droits constitutionnels et juridiques et j’ai subi une extrême pression. » Lors de son interrogatoire ce vendredi 28 mai par l’avocat général près la Cour de cassation, l’avocat Rami Alleik s’est emporté en annonçant une grève de la faim jusqu’à sa remise en liberté. À la tête de Mouttahidoun, une association qui milite contre la corruption, il était entendu par Ghassan Khoury suite à une plainte du Conseil supérieur de la magistrature pour diffamation et flagrant délit d’insultes à l’égard de la justice et à l’encontre de la personne de Ghassan Oueidate, le procureur de la République. L’avocat avait reçu le 26 mai un appel des renseignements des FSI pour le convoquer à la suite d’un signalement du procureur. Estimant la procédure non conforme aux règles de sa profession d’avocat, Rami Alleik a refusé de s’y présenter et convenu d’un entretien avec le bâtonnier de Beyrouth pour discuter de l’affaire. Jeudi 27 mai, alors qu’il se rendait à son rendez-vous avec Melhem Khalaf, le militant a été arrêté manu militari dans la rue par les services de renseignements. Dans une vidéo relayée sur la toile, on aperçoit des hommes en civil attrapant violemment l’avocat avant de l’embarquer dans une voiture.
Rami Alleik est détenu depuis jeudi à la prison du Palais de justice. Selon Cynthia Hamawi, son avocate interrogée par L’Orient-Le Jour, il est inculpé en raison d’une vidéo postée sur les réseaux sociaux dans laquelle il s’en prend avec virulence au procureur de la République lors d’un rassemblement en faveur de Charbel Razzouk. Ce jeune militant du Courant patriotique libre (CPL) a été arrêté le 26 mai pour avoir accroché sur la voie publique une banderole contre M. Oueidate sur laquelle était écrit « Qu’as-tu fait, Ghassan ? » avec en fond une photographie du port de Beyrouth pulvérisé. Ce slogan contre le chef du parquet fait le tour de la toile depuis quelque temps car celui-ci est accusé, aussi bien par des sympathisants du CPL que par des organisations proches de la thaoura comme la Legal Agenda, de torpiller l’action anticorruption en enterrant des dossiers ou en les court-circuitant. « L’association Mouttahidoun a elle-même déposé de nombreux dossiers que le procureur a bloqués. Nous avons expliqué au juge Ghassan Khoury que c’est ce ras-le-bol qui a poussé Rami Alleik à s’emporter dans la vidéo. C’est un cri de colère », déclare à L’OLJ celle qui le défend. Mouttahidoun est notamment à l’origine de plusieurs plaintes contre le gouverneur de la Banque centrale Riad Salamé et le PDG de la SGBL Antoun Sehnaoui pour enrichissement illicite et exfiltration illégale de millions de dollars. Cette plainte, saisie par la juge Ghada Aoun, réputée proche du président de la République, a donné lieu notamment à la spectaculaire perquisition au cabinet Mecattaf spécialisé dans le transport de liquidités. Une action que beaucoup ont contestée, estimant que la procureure du Mont-Liban avait outrepassé ses prérogatives.
Violation des droits
L’avocate de M. Alleik a dénoncé plusieurs violations commises à l’encontre de son client, à commencer par son arrestation. Selon les principes énoncés par le barreau, le Conseil supérieur de la magistrature, auteur de la plainte contre le prévenu, aurait dû s’en référer d’abord à l’ordre des avocats. Le bâtonnier n’a pas manqué d’exprimer sa colère suite à cette interpellation de force, annonçant une grève de la profession de deux jours. Melhem Khalaf a dénoncé des méthodes musclées et contraires aux droits de l’homme, dignes d’un État policier qui se place au-dessus des lois. « Nous n’avons plus de voix à force de répéter aux instances judiciaires et aux forces de sécurité de respecter les droits des avocats », a déclaré le bâtonnier lors d’une conférence. Me Hamawi a par ailleurs affirmé que M. Alleik a été interrogé sur des points qui sortent du cadre de son accusation. Ils lui ont demandé s’il agissait par vengeance politique ou s’il était instrumentalisé par un bord politique. Je me suis opposée à ces questions et à d’autres qui m’ont beaucoup choquée mais que je ne peux vous dévoiler par respect pour l’enquête, déclare l’avocate à L’OLJ. Le portable du militant a en outre été saisi. Il est à présent à disposition des services de renseignements. « Toutes ses données sont maintenant en leur possession, ce qui est une violation du secret professionnel. Nous faisons en sorte qu’aucune ne soit rendue publique. » Présents lors de la séance, les avocats Imad Martinos et Élie Bazerli, membres du barreau de Beyrouth, auraient protesté contre les méthodes employées contre leur client. Le procureur Ghassan Khoury aurait répondu en retour que le délit flagrant dont est accusé le militant permettait au parquet de l’interpeller sans autorisation de l’ordre des avocats. Il a été décidé de maintenir le prévenu en détention jusqu’à lundi, le temps que son dossier soit transféré au juge d’instruction. La Legal Agenda, qui œuvre sans relâche pour l’assainissement de la justice, a elle aussi dénoncé fermement l’arrestation de M. Alleik, évoquant des « méthodes répressives ». Tout comme le barreau de Beyrouth, elle appelle à sa libération immédiate. L’ONG pointe du doigt le pouvoir judiciaire qui, au lieu de sauver son honneur en poursuivant ceux qui nuisent à l’intérêt public, prétend le faire en s’en prenant à ceux qui critiquent la généralisation de l’impunité.
« Je pense que Ghassan Oueidate a peur et il cherche à présent à intimider », estime pour sa part l’avocat Wadih Akl. Selon ce militant du CPL, proche des associations qui luttent contre la corruption, l’étau se resserre autour du procureur de la République, qui fait l’objet d’une campagne de contestation populaire et sans couleur politique. « De grandes divergences politiques existent entre Charbel Razzouk (le jeune militant CPL arrêté), Rami Alleik ou Nizar Saghieh (le directeur de Legal Agenda), mais nous nous rejoignons tous dans la critique du procureur Oueidate, que ce soit sur sa gestion de la corruption ou celle de la présence du nitrate d’ammonium au port de Beyrouth », dit-il à L’OLJ. « Je suis persuadée que mon client est arrêté pour des raisons politiques », estime pour sa part l’avocate Cynthia Hamawi. Ancien partisan du Hezbollah devenu un de leurs fervents opposants, membre actif de la révolution d’octobre, Rami Alleik n’a eu de cesse d’essayer de se démarquer du CPL qui s’affiche comme fer de lance de la lutte contre la corruption. Mais dans un pays où chaque action en justice lancée est perçue comme une attaque d’un camp contre l’autre, le combat semble être perdu d’avance.
Suivant son avocate l'interrogatoire de Me Alleik , par le Juge , a porté surtout sur ses relations avec le CPL , et ben , il semble ,donc , qu' il ne faut pas que l'intérèt national prime aux différences politiques . Ceci inquiète , car il faut rester divisés .
10 h 14, le 31 mai 2021