
Le Parlement libanais rassemblé à Beyrouth le 22 mai 2021. Photo Ali Fawwaz / Parlement Libanais
Le Parlement libanais, réuni pour débattre du contenu d'une lettre envoyée par le président de la République Michel Aoun concernant l'"incapacité" du Premier ministre désigné Saad Hariri à former un nouveau gouvernement, s'est contenté de formuler une prise de position sur cette question en confirmant la "nécessité" que M. Hariri forme "rapidement" son gouvernement "en accord avec le président Aoun".
Cette position a été prise "étant donné que toute décision remettant en cause la désignation (de Saad Hariri, ndlr) ou qui la limiterait nécessite un amendement constitutionnel, ce que nous ne pouvons pas nous permettre aujourd'hui". Cette démarche vise aussi à ne pas contrevenir au principe de séparation des pouvoirs, selon le texte officiel lu en fin de séance par le président du Parlement Nabih Berry. Ce dernier a précisé que la Chambre "veille à ne pas créer une nouvelle crise constitutionnelle et à assurer la stabilité en cette période complexe et dangereuse". C'est dans ce cadre que le pouvoir législatif "affirme la nécessité de faire avancer les choses conformément aux principes de la Constitution" et se prononce pour que "le Premier ministre désigné parvienne rapidement à former un nouveau cabinet en accord avec le président de la République".
Au cours de la réunion parlementaire tenue au palais de l'Unesco à Beyrouth, plusieurs députés se sont exprimés sur la crise gouvernementale, notamment le chef du Courant patriotique libre (aouniste) Gebran Bassil, et le Premier ministre désigné, qui se sont renvoyés la responsabilité du blocage.
Le Hezbollah appelle au compromis
Au début de la séance, Nabih Berry a estimé que "le temps est venu pour le Liban de se montrer au niveau de son peuple", appelant à "l'unité, encore l'unité, toujours l'unité".
Le chef du groupe parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad, a pour sa part appelé à un "accord", estimant qu'il s'agissait "de l'unique accès possible en vue de former le gouvernement" et d'une "responsabilité nationale". Il a ajouté qu'un tel accord nécessite "une compréhension mutuelle", sans qu'"aucune partie n'obtienne tout ce qu'elle demande pendant que l'autre abandonne toutes ses revendications". "La situation qui a poussé le président de la République à envoyer une lettre au Parlement est connue, tout comme les pressions régionales et les divergences qui opposent les différentes parties devant former le cabinet. Mais la mise sur pied du gouvernement doit rester la priorité", a exhorté M. Raad. "Nous appelons toutes les parties à accélérer la formation du cabinet et à agir de manière objective et responsable", a-t-il poursuivi, demandant que des "compromis soient consentis".
Au nom du bloc des Forces libanaises (FL), Georges Adwan a réitéré l'appel de son parti à des élections législatives anticipées, estimant que la majorité actuellement au pouvoir, comprendre le courant aouniste, le Hezbollah et leurs alliés, ont "échoué" après avoir "mis la main sur le pays" et l'avoir mené "à la situation actuelle". Les députés Jamil el-Sayyed, Hadi Abou el-Hosn (Parti socialiste progressiste, joumblattiste), Oussama Saad (Organisation populaire nassérienne), Jihad al-Samad (indépendant) et Tony Frangié (Marada) ont également pris la parole au cours de cette séance.
L'intervention de Bassil
De son côté, le chef du CPL Gebran Bassil a souligné que le but de la lettre envoyée par le président Aoun n'était pas d'obtenir "la récusation" de Saad Hariri. "L'objectif de mes propos est d'exhorter le Premier ministre désigné à former le cabinet et non pas que sa désignation soit retirée", a-t-il déclaré. S'exprimant sans élever le ton, il a souligné que le Liban était "brisé" et que la priorité était de former le cabinet afin de lancer les réformes, le pays ne pouvant plus supporter de tergiversations. Il est ensuite revenu sur les normes à respecter pour la formation du cabinet, soulignant qu'il était impossible de donner les "noms" des ministrables "avant que l'on ne sache quel est le parti de référence" auquel seront liées ces personnalités et "à quelle confession ou partie politique" elles appartiennent. "Le président a le droit de savoir qui a proposé les noms, afin que nous n'aboutissions pas à une équipe qui serait à nouveau rapidement chargée de l'expédition des affaires courantes", a-t-il insisté, réclamant de Saad Hariri une "liste" avec cette répartition.
Il a par ailleurs souligné que sa formation ne tenait pas à obtenir le tiers de blocage ni aucun ministère spécifique. Il a rappelé que son groupe parlementaire a préparé un texte visant à amender la Constitution, afin de limiter à un mois les délais de formation des gouvernements. Selon lui, cet amendement pourrait mettre un terme à la crise, bien qu'il ait reconnu que le temps ne soit pas propice à des débats constitutionnels. Il a ajouté qu'une autre sortie de crise pourrait reposer dans la dissolution de la Chambre et la tenue d'élections législatives, écartant toutefois à nouveau cette éventualité en arguant du manque de temps disponible pour sortir le pays de la crise. M. Bassil a en outre appelé le palais présidentiel à organiser une réunion de dialogue national sur la question des réformes et de la levée des subventions, estimant que le déblocage de la crise gouvernementale passe par une prise de décision à ce sujet.
Réagissant à cette déclaration, le président de la Chambre a fait savoir qu'il n'avait pas encore reçu de l'Exécutif un projet de loi sur les subventions, ce à quoi Gebran Bassil a répondu qu'il pouvait se porter volontaire comme "kamikaze" pour présenter un tel texte. "Ce que l'on attend de toi, c'est une autre opération suicide", lui a rétorqué le chef du Législatif, en allusion probable à sa capacité à faire des concessions pour débloquer les tractations gouvernementales.
Hariri hausse le ton
Le Premier ministre désigné, qui avait quitté la salle lors de l'intervention de Gebran Bassil, s'est de son côté exprimé sur un ton virulent, et s'en est pris à plusieurs reprises frontalement au chef de l'État, qu'il a accusé d'avoir "une longue expérience" dans les blocages politiques. "Le président a dit aux députés : Vous avez nommé un Premier ministre et je n'en veux plus, débarrassez-moi de lui", s'est offusqué Saad Hariri. "Le président veut que nous changions la Constitution, au moins dans la pratique, et en attendant que cela arrive, il bloque le pays", a-t-il lancé. "Nous ne formerons pas le gouvernement de la manière que réclame le président de la République, mais de sorte à mettre un terme à l'effondrement qui menace tous les Libanais. Je ne formerai qu'un cabinet de technocrates non-partisans, ce qui est la condition pour obtenir des aides étrangères, tel que cela est précisé dans l'initiative française", a-t-il lancé. "J'ai fait tout ce qu'il fallait, même davantage, pour mettre sur pied un cabinet qui peut éviter l'effondrement", s'est encore justifié Saad Hariri.
Revenant sur les différentes étapes des tractations gouvernementales, il a souligné que malgré toutes les difficultés rencontrées, notamment le fait que le chef de l'État lui ait adressé des reproches "au cours d'un discours télévisé, comme si le téléphone ne fonctionnait plus dans le pays", malgré le fait que, dans une vidéo ayant fuitée, le président l'ait accusé de "mentir" et qu'il s'était rendu près d'une vingtaine de fois à Baabda pour s'entretenir avec lui, il "poursuivra ses efforts afin de mettre un terme à l'effondrement et rendre l'espoir au pays".
Saad Hariri a enfin critiqué les "péchés mortels" commis par certains "vassaux" du chef de l'État, en allusion aux déclarations polémiques de l'ex-ministre sortant des Affaires étrangères Charbel Wehbé à l'encontre des monarchies du Golfe. S'indignant contre l'utilisation du terme "vassaux", le député aouniste Hikmat Dib a demandé qu'il soit retiré du procès-verbal de la réunion parlementaire, ce à quoi s'est opposé Nabih Berry, estimant que Saad Hariri n'avait pas précisément nommé les personnes qu'il visait avec ce qualificatif.
La séance de ce samedi est la deuxième à s'ouvrir en vingt-quatre heures au sujet de la missive présidentielle après une réunion express organisée la veille, au cours de laquelle lecture avait été donnée de la lettre, sans débat ni prise de parole. Dans la forme, Nabih Berry avait donné l’impression de respecter les dispositions du règlement intérieur de la Chambre, en levant la séance juste après la lecture du message de Michel Aoun. Mais dans le fond, cette démarche était éminemment politique. Au vu du contexte tendu, Nabih Berry pensait pouvoir calmer les esprits et entendait, sans succès, mettre à profit les dernières 24 heures pour essayer de rapprocher les points de vue entre Saad Hariri et Gebran Bassil, dont les rapports sont gelés.
commentaires (17)
Nasrallah, Berri, Hariri et Aoun ainsi que tous les autres ont été les fossoyeurs du Liban, dehors !
TrucMuche
10 h 56, le 24 mai 2021