Savez-vous pourquoi les Israéliens abattent les tours à Gaza ? « Ce que nous appelons des tours, explique le jeune Palestinien dans une petite vidéo publiée sur AJ+, c’est une poignée d’immeubles d’une vingtaine d’étages qui abritent des sociétés et des ONG, principaux employeurs de Gaza. » Par-delà le verre, l’acier et le béton, ces frappes semblent donc n’avoir pour objectif que détruire les rares emplois offerts dans la ville et faire fuir les quelques entreprises qui y persistent et s’y regroupent de manière à réduire les frais d’entretien et de groupes électrogènes. « Nous n’avons l’électricité que 4h par jour », précise le jeune homme. Il n’y a rien ici, ajoute-t-il, pas de loisirs, pas d’argent, les gens sont tristes. Ces tours sont le seul horizon des étudiants qui espèrent un jour y décrocher un salaire, une forme d’autonomie et de dignité.
Longtemps, à chaque sursaut du conflit endémique entre Israël et les enclaves palestiniennes, après chaque agression démesurée des forces israéliennes contre les habitants palestiniens, tantôt pour confisquer leurs maisons ou leurs terres ou simplement leur interdire de circuler en cernant leur territoire d’innombrables check-points, en le hachant de murs de séparation, les images et vidéos les plus marquantes que diffusaient les agences étaient celles de mères éplorées, d’enfants mourants, de vieillards désespérés, de jeunes camouflés de keffiehs se jetant au-devant des chars, armés de simples pierres contre l’une des armées les plus puissantes du monde. Les mères n’avaient que leurs cris de douleur et leurs larmes, les enfants avaient le regard perdu des êtres qui se sont trompés de monde. Ces images, pour bouleversantes, n’ont jamais beaucoup ému en dehors du Moyen-Orient, ou alors sporadiquement. On a souvent attribué cette absence d’empathie à la culpabilité de l’Occident vis-à-vis des descendants juifs des victimes de la Shoah, et souvent les Palestiniens, recourant au terrorisme qui fut longtemps la guerre des pauvres, ont eux-mêmes été accusés de violer les droits des Israéliens du seul fait qu’ils n’aient pas disparu de la surface de la terre après la Naksa de 1967. Quoi qu’il en soit, cette absence d’empathie est sans doute aussi culturelle. Le monde dit « libre », de plus en plus aseptisé, ne se reconnaît pas dans ces deuils bruyants et l’expression brute de cette souffrance qui remonte désormais à si loin qu’elle en devient normale, banale. Les expulsions forcées de Palestiniens survenues il y a quelques jours dans le quartier de Cheikh Jarrah à Jérusalem-Est n’étaient pas un fait nouveau. Les raids de la police israélienne sur la mosquée al-Aqsa durant le ramadan n’étaient pas non plus inhabituels, pas plus que ne l’est le nouvel échange de bombardements entre la bande de Gaza et l’intérieur israélien, aussi violent soit-il. Ce qui surprend en revanche, c’est l’image inédite que donne du peuple palestinien la nouvelle génération qui a repris le flambeau de la lutte. Ces jeunes, s’exprimant dans un anglais parfait, parfaitement conscients des préoccupations de leurs congénères au-delà des frontières, semblent non seulement avoir brisé la barrière de la peur, mais témoignent d’une solidarité qui survole les enclaves séparées du Fateh et du Hamas. Leur discours, cohérent et déterminé, n’a plus rien de la colère désordonnée ou des plaintes désespérées de leurs parents et grands-parents. Et s’ils ont toujours su qu’ils ne pouvaient pas compter sur la communauté internationale pour défendre leurs droits, ils semblent aussi se détourner de leurs propres dirigeants. L’usage qu’ils font des réseaux sociaux montre une maîtrise nouvelle et une exploitation inédite de l’art et des techniques de communication, ainsi qu’un étonnant déploiement de talents, qu’il s’agisse de plaidoyers, de visuels, de musique, de danse ou d’art. Du fond de leurs villes assiégées, eux qu’on croyait irrémédiablement condamnés à l’ignorance et au désespoir, les voilà qui tout à coup s’élèvent, flamboyants, au-dessus d’un passé qu’ils ne veulent plus ruminer. Tout à coup, on voit à travers le monde d’autres jeunes se solidariser avec ces garçons et ces filles qui leur ressemblent et qu’ils ne peuvent écarter de leurs revendications pour une société plus juste, plus inclusive.
Face à des dirigeants encore préoccupés de puissance et de politiques politiciennes, face à des systèmes à bout de souffle, une grande partie de la jeune population du monde se donne la main par-delà les frontières, consciente que les enjeux climatiques et les défis qui vont se poser à elle dans un futur proche exigent une équité dont dépendra la survie de tous.
commentaires (9)
L’absence d’empathie à la cause palestinienne est-elle due à la culpabilité de l’Occident vis-à-vis des descendants juifs des victimes de la Shoah, ou simplement par calcul stratégique de l'époque de John Foster Dulles, un diplomate et homme politique américain, secrétaire d'État des États-Unis entre 1953 et 1959 dans le gouvernement du président Dwight D. Eisenhower. Il a consacré la notion de refoulement (« rollback ») de l'URSS et le maintien du trouble au moyen orient via les guerres éthiques pour éviter toute adhésion aux dogmes communistes, un héritage qui ne disparaitra pas de sitôt.
DAMMOUS Hanna
12 h 03, le 22 mai 2021