
Rasha Abushaban, 35 ans, travailleuse humanitaire. Photo DR
« Mes neveux et nièces me demandent tout le temps ce qui se passe. “3amté (ma tante), pourquoi les Juifs font ça ? quand ça va s’arrêter” ? Je ne sais pas quoi leur répondre, alors je leur dis que les bombes sont des feux d’artifice, qu’il ne faut pas en avoir peur. Mais peut-être qu’il faudrait leur dire la vérité parce qu’ils seront témoins, comme moi, d’autres guerres de ce genre à l’avenir, puisque la communauté internationale ne bouge pas un petit doigt pour arrêter Israël. Je dis aux enfants de ne pas pleurer. Mais au fond de moi, je suis cassée. Je pleure, je hurle et je tremble comme eux lorsque les bombes nous font sursauter en pleine nuit. Celle de samedi à dimanche a été la pire de ma vie. J’habite le quartier Rimal à Gaza, et depuis la fenêtre de ma chambre, j’ai pu voir des obus tomber sur des bâtiments gouvernementaux qui nous entourent. Lorsque les bombes tombent, tout l’immeuble se met à trembler. On entend aussi les enfants de mes frères, qui habitent l’étage du dessus, hurler. Et quand ça s’arrête, je reste sur le qui-vive, dans une angoisse latente. J’ai mal au dos, aux épaules, à la tête et au ventre tout le temps depuis une semaine.
Cette nuit-là, j’ai retrouvé ma mère au sol. Elle était tombée du lit. Mon père était assis dans le salon. Je les ai ramenés tous les deux dans le couloir. Ils sont vieux et j’ai toujours peur pour eux. J’essaie de les distraire, de dire à ma mère qu’elle me verra mariée et avec des enfants. Ils se sentent coupables d’être encore en vie alors que des gens proches de chez nous ont péri. Je me suis mise à regarder les nouvelles sur mon téléphone. Je ne reconnais plus ces rues que j’ai tellement arpentées, aujourd’hui défigurées. Ma ville a changé de visage. Mais je découvre surtout des noms que je connais parmi les victimes. Sur mon fil Facebook, je ne compte plus les messages de condoléances sur les pages de mes amis ou de leur familles. C’est un crève-cœur. J’ai fait ma prière du fajr puis je me suis écroulée de fatigue. À mon réveil, je devais travailler pour gérer, entre autres, la question des déplacés, pour leur trouver des abris ou coordonner au niveau alimentaire. Comment aider au mieux la population affectée alors qu’on en fait soi-même partie ? Il faut vraiment qu’un cessez-le-feu soit décrété parce que beaucoup de familles n’ont pratiquement plus de provisions à la maison. C’est la course pour trouver une pharmacie ouverte. J’ai besoin de produits hygiéniques mais je n’ai pas accès aux choses basiques. Le soir venu, mon corps et ma tête se mettent en mode survie et j’ai du mal à m’endormir en pensant à ce qui nous attend. Alors je rentre dans des salles sur le réseau social Clubhouse, où je peux témoigner de ce qui se passe ici. Mais je reste fébrile et je regarde régulièrement à travers la fenêtre. J’ai le sentiment que les vies palestiniennes ne comptent pas... »
« Mes neveux et nièces me demandent tout le temps ce qui se passe. “3amté (ma tante), pourquoi les Juifs font ça ? quand ça va s’arrêter” ? Je ne sais pas quoi leur répondre, alors je leur dis que les bombes sont des feux d’artifice, qu’il ne faut pas en avoir peur. Mais peut-être qu’il faudrait leur dire la vérité parce qu’ils seront témoins, comme moi, d’autres...
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