L’entreprise Karpowership, filiale libanaise de l’opérateur turc Karadeniz, à qui l’État libanais loue deux navires-centrales, a annoncé vendredi qu’elle cessait d’alimenter le Liban en courant, mettant ainsi à exécution une menace lancée il y a quelques jours afin de protester contre des impayés de la part de l’État et contester des poursuites en justice dont elle fait l’objet. Or, les deux navires-centrales, qui opèrent au Liban depuis 2013, fournissent jusqu’à 25 % de son électricité, selon l’entreprise. Cette décision fait donc craindre un black-out total dans un Liban en grave crise économique et qui souffre d’un important déficit chronique en alimentation électrique.
Électricité du Liban (EDL) avait déjà mis en garde il y a deux semaines contre un rationnement généralisé et sévère du courant, après la suspension d’une avance pour payer son approvisionnement en carburant. Elle enregistre une baisse de 200 MW de sa production de courant, de 1 250 à 1 050 MW, à la suite de la suspension par le Conseil constitutionnel des effets de la loi n° 215/2021 qui devait permettre de débloquer une avance de 300 milliards de livres libanaises (200 millions de dollars au taux officiel de 1 507,5 livres le dollar), votée en mars pour payer une partie des navires-citernes commandés par le fournisseur de courant. Une suspension décidée à la suite d’un recours présenté par des députés des Forces libanaises, qui s’opposaient à l’octroi de cette avance. De plus, étant déjà en sous-régime, les deux barges turques (l’Orhan Bey et le Fatmagül Sultan) fournissaient depuis un certain temps 240 mégawatts (MW) de courant à l’État, au lieu de 380 prévus, en raison de la difficulté de l’établissement public à se procurer du carburant. Une source proche du dossier a en outre indiqué à L’Orient-Le Jour qu’EDL pourrait également désactiver aujourd’hui d’autres groupes électrogènes (20 à 30 MW) s’il n’y avait pas de changement au niveau de l’approvisionnement en carburant. Ainsi, faute de solution, le rationnement d’électricité sera progressivement augmenté, jusqu’à l’arrêt total des centrales électriques d’ici au 22 juin prochain, a averti EDL la semaine dernière.
Environnement plein de risques
Dans son communiqué de vendredi, Karpowership se disait « désolé de mettre à l’arrêt les moteurs de ses navires-centrales après avoir déployé tous ses efforts pour éviter cela ». « Nous avons fait preuve de flexibilité durant 18 mois avec l’État libanais et nous avons assuré le courant électrique sans obtenir les montants qui nous sont dus et sans aucun plan de paiement, car le Liban traverse une période très difficile. Toutefois, aucune compagnie ne peut travailler dans un tel environnement plein de risques directs et injustifiables », a expliqué la société.
Réagissant à la décision de Karpowership, Électricité du Liban (EDL) a confirmé que la société turque a mis ses moteurs à l’arrêt à 8h vendredi matin à Zouk et Jiyé, entraînant une perte de 240 mégawatts (MW) d’alimentation en courant. EDL explique ensuite qu’elle a activé plusieurs groupes électrogènes dans les centrales à moteurs inversés de Zouk et Jiyé et dans une centrale à Tyr, ce qui devrait assurer une production supplémentaire de 130 MW « afin de compenser partiellement le déficit entraîné par la suspension des moteurs des navires-centrales ».
Dès mardi, le président de la commission parlementaire des Travaux publics, des Transports, de l’Énergie et de l’Eau, Nazih Najm, avait prévenu que le Liban pourrait être plongé dans l’obscurité dès la fin de cette semaine si Karpowership mettait sa menace à exécution. L’État loue à la filiale de Karadeniz deux navires-centrales, l’Orhan Bey et le Fatmagül Sultan, depuis 2013, amarrés à Jiyé (Chouf) et Zouk Mosbeh (Kesrouan), respectivement au sud et au nord de Beyrouth, qui déploient une capacité de 370 mégawatts (MW), soit près d’un quart des capacités totales disponibles dans le pays.
Le gouvernement libanais a des arriérés de paiements de dix-huit mois vis-à-vis de l’entreprise, pour un montant de 180 millions de dollars. En outre, Karpowership est dans le collimateur de la justice depuis mars dernier après le déclenchement d’enquêtes par le juge d’instruction de Beyrouth, Rony Schéhadé, pour faits de « corruption » et de « blanchiment d’argent », qui a interrogé Ralph Fayçal, représentant de Karpowership au Liban et les intermédiaires Fadel Raad et Hassan Amhaz. Le procureur général financier Ali Ibrahim a, lui, interdit en fin de semaine dernière à la société turque de faire sortir du territoire ses deux navires-centrales, afin de garantir que la filiale de l’opérateur turc Karadeniz ne se déroberait pas à son obligation de payer 25 millions de dollars à l’État au cas où la justice confirmerait sa participation à des « transactions financières et opérations de courtage litigieuses ». Le directeur de Karpowership, Ralph Fayçal, qui faisait partie des personnes aux arrêts depuis plusieurs semaines dans le cadre de cette affaire, a récemment été libéré sous caution. Les sources proches du dossier contactées évoquent une affaire « totalement politique », le secteur de l’électricité en général, et celui de la location des navires-centrales en particulier, ayant régulièrement alimenté des tensions entre les partis au pouvoir.
La location de ces barges avait été présentée comme une solution temporaire pour combler le déficit de production d’EDL, le temps que le pays construise des centrales permanentes. Un chantier qui n’a finalement jamais été mené en raison des conflits d’intérêts des différentes parties au pouvoir, ne laissant d’autre choix au pays que de continuer à compter sur Karpowership.
commentaires (9)
Petite question à 250 piastres, a l'image des employés " des chemins de fer au Liban " payés a ne rien faire ... Les employés EDL prendront ils la même voie ? petit exemple, pour moi, simple citoyen lambda, depuis le mois de décembre 2020, je n'ai pas réglé une seule facture de consommation ... Tout simplement à cause de ses agents qui brillent par leur absence, compte non tenu des branchements illégaux qui alimentent notamment la banlieue sud pour plus de 80% ainsi que les organismes officiels ( Palais présidentiel, parlement et autres qui n'honorent pas leurs factures ) . Dans les régions du Metn et et Kesrouan ) il y a probablement, pour le moins, 200000 foyers logés à la même enseigne à attendre une problématique facture,..
C…
19 h 26, le 17 mai 2021