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Culture - Installation

« Beirut Narratives » ou la volonté de recoudre la ville à coups de mots...

À la faveur de leur installation, Céline et Tatiana Stephan (Architecture et Mécanismes) ont récolté des témoignages liés au 4 août dont elles ont habillé des bâtisses impactées par l’explosion... Elles y voient une manière d’inscrire ces récits dans le temps, mais aussi de recoudre le tissu social libanais.

« Beirut Narratives » ou la volonté de recoudre la ville à coups de mots...

L’installation Beirut Narratives, comme une manière de mettre en lumière les émotions et réflexions de ceux qui désiraient s’exprimer, pour ne pas oublier la tragédie. Photo DR

Comment est né le projet Beirut Narratives ?

C’est une idée qui nous est venue vingt jours après le 4 août, alors que nous étions (comme tout le monde) confrontées à des multitudes de récits liés à l’explosion que des internautes postaient sur les réseaux sociaux. À ce moment, même si les yeux étaient encore rivés sur Beyrouth, nous étions tout à fait conscientes du fait que cela n’allait pas durer, d’autant que les histoires présentées sur ces réseaux sont vouées à disparaître au bout d’un moment. C’est là que nous avons ressenti l’urgence d’immortaliser ces mots à travers un projet qui puisse s’inscrire sur la durée. Aussitôt, nous avons demandé d’abord à notre entourage et ensuite à des personnes que l’on ne connaissait pas de partager leurs témoignages à propos du 4 août. À notre grande surprise, nous avons reçu des multitudes d’histoires qui provenaient d’horizons et de backgrounds différents, des dessins d’enfants, des illustrations d’artistes, des mots d’infirmières et d’infirmiers, de serveurs, des récits de victimes, de parents de victimes, et même d’expatriés qui ont vécu le drame autrement, à distance. Une fois ces 80 témoignages entre nos mains, l’idée était d’en créer une sorte de frise qui cartographie les différents ressentis au moment même ou post-apocalypse du 4 août. Pour ce faire, nous avons pensé revêtir des bâtisses impactées par l’explosion avec des fragments de ces histoires.


« C’est comme si, en voyageant à travers la ville, ces fragments de témoignages permettaient de recoudre le tissu social complètement atomisé. » Photo DR

En quoi consistent ces fragments, tels que vous les appelez, dont vous avez habillé ces immeubles ?

Plus que simplement reproduire ces textes reçus sur les façades des immeubles, nous avons commencé par disséquer les témoignages que nous avions, desquels nous avons extrait les phrases les plus poignantes. Ces bribes de récits, nous les avons ensuite répertoriées, selon un code de couleur, sous plusieurs catégories : la description de l’événement, les émotions et la réflexion. Chaque groupe de mots a été ensuite peint sur une toile de jute, et ces toiles ont été ensuite cousues les unes aux autres en employant des fils de pêche, un peu à la manière dont les infirmiers ont recousu les plaies des victimes. Comme de la tapisserie, ces fragments ont été disposés horizontalement au sol ou suspendus aux façades des immeubles pour une durée limitée, avant d’être déplacés sur d’autres bâtisses. C’est comme si, en voyageant à travers la ville, ces fragments permettaient de recoudre le tissu social complètement atomisé. Notre installation, au final, joue le rôle d’un tissu commémoratif.


Face aux silos ravagés, des témoignages et des hommages aux victimes de la tragédie du 4 août. Photo DR

Comment avez-vous choisi ces bâtisses, les premières à accueillir votre installation ?

Le premier fragment a été placé sur le bâtiment où habitait Krystel el-Adem, une amie à nous qui a perdu la vie le 4 août. Il contient les mots saisissants de son père qui décrit la toute dernière fois qu’il a vu sa fille, ainsi que des réflexions sur l’émigration de la jeunesse du pays. D’autres témoignages, à côté, recèlent des émotions et des réflexions plus positives sur l’avenir. Le deuxième fragment a été placé sur le bâtiment où vivait Élias el-Khoury, le garçon de 15 ans qui a perdu la vie à cause de blessures dues à l’explosion. Ses parents ont quitté leur appartement face au port et un fragment est placé sur le balcon. Un autre a été disposé sur le balcon de son oncle autour de ses photos. Le troisième fragment a été installé sur le bâtiment Gholam, également détruit et en reconstruction. Cela dit, notre projet est encore en constante évolution, et l’objectif est d’étaler ces mots recueillis tout le long de la ville, mais aussi, éventuellement, en dehors de Beyrouth, à Tripoli par exemple.


L’installation Beirut Narratives, comme une mise en lumière des émotions et des réflexions de ceux qui désiraient s’exprimer, pour ne pas oublier la tragédie. Photo DR

Depuis le déclenchement des multiples crises qui secouent le Liban depuis bientôt deux ans, l’idée de romancer un malheur à travers l’art divise l’opinion publique. Considérez-vous que votre projet soit une manière d’enjoliver la tragédie du 4 août ?

Nous avons pensé Beirut Narratives comme une manière de mettre en lumière les émotions et réflexions de ceux qui désiraient s’exprimer, et donc comme une conversation. Le but n’était pas d’ajouter un projet à notre portfolio ou de profiter de la misère de qui que ce soit, mais plutôt de pousser les gens à continuer à agir, pour ne pas sombrer dans l’amnésie habituelle. Malheureusement, avec le temps, les victimes, leurs proches, ainsi que tous ceux qui ont subi l’explosion du 4 août, ont été de plus en plus oubliés, et en tout cas écartés des nouvelles qui ont pris le dessus. Ces derniers, qui ont participé de leur plein gré à ce projet, l’ont tous perçu comme le début d’une guérison de ce trauma. Bien sûr, nous sommes conscientes de ce débat et du fait qu’une telle installation puisse heurter les sensibilités. Mais ce qui primait pour nous, c’était de rendre plus visibles les récits de ces gens, et aussi, surtout, de faire qu’ils ne soient pas oubliés.

Comment est né le projet Beirut Narratives ?C’est une idée qui nous est venue vingt jours après le 4 août, alors que nous étions (comme tout le monde) confrontées à des multitudes de récits liés à l’explosion que des internautes postaient sur les réseaux sociaux. À ce moment, même si les yeux étaient encore rivés sur Beyrouth, nous étions tout à fait conscientes du fait que...

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