En dépit de tous leurs efforts pour s’affirmer comme opposants au mandat du président Michel Aoun, à qui elles avaient pourtant ouvert la voie vers Baabda en octobre 2016, les Forces libanaises restent aujourd’hui politiquement isolées sur la scène locale. Un isolement qui a été davantage mis en relief à l’occasion de la visite du chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, jeudi dernier à Beyrouth. Non seulement certaines composantes du mouvement de contestation continuent de refuser farouchement de collaborer avec ce parti qui, selon elles, a longtemps fait partie intégrante du pouvoir, mais la France aussi ne semble pas considérer la formation de Samir Geagea comme faisant partie des « forces politiques alternatives du changement » au Liban. De ce fait, les FL n’ont pas été conviées à la rencontre de Jean-Yves Le Drian, à la Résidence des Pins, avec des représentants de groupes issus du mouvement de contestation du 17 Octobre et de partis politiques traditionnels hostiles au pouvoir actuel, dont les Kataëb et le Bloc national.
Depuis septembre 2019, le leader du parti, Samir Geagea, émet des signes clairs d’opposition au pouvoir en place. Le 2 septembre 2019, soit près d’un mois avant le début de la révolte d’octobre, M. Geagea plaidait déjà pour un gouvernement apolitique de spécialistes qui serait à même de mettre en application les réformes visant à redresser l’économie déjà moribonde du pays. Deux jours après le début de la contestation populaire, les ministres FL ont claqué la porte du cabinet de Saad Hariri. Se félicitant de porter les revendications de la « thaoura » bien avant son début, la formation de M. Geagea se présente, depuis, comme partie intégrante de la révolte populaire, de nombreux partisans FL ayant pris part aux manifestations antipouvoir, notamment dans les régions à dominante chrétienne, telles que Jal el-Dib et Antélias, au Metn, et Zouk, au Kesrouan. Ce positionnement a consacré la rupture entre les FL et le Courant patriotique libre de Gebran Bassil après une série de divergences autour de nombre de dossiers. Elle a également troublé les relations de Meerab avec le courant du Futur de Saad Hariri et le Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt. Dans le même temps, le fossé n’en finissait pas de se creuser entre les FL et les Kataëb, deux partis chrétiens aujourd’hui opposés au mandat Aoun. Bien qu’ayant les mêmes objectifs et la même rhétorique que le parti de Samir Geagea, le parti de Samy Gemayel cherche clairement à s’en démarquer. Ce dernier avait d’ailleurs refusé la main tendue par M. Geagea pour former un front commun contre le pouvoir en place.
Cet état des lieux, doublé de l’absence des FL de la rencontre de la Résidence des Pins, fait dire à certains analystes que le parti de Samir Geagea se trouve de plus en plus isolé sur la scène politique locale. Ils en veulent pour preuve les tractations gouvernementales en cours auxquelles le chef des FL a tourné le dos. Le positionnement des FL ne les a pas rapprochées outre mesure des partis qui, bien qu’hostiles au CPL, sont engagés dans des pourparlers pour la formation d’un nouveau cabinet, notamment le Futur, le PSP et le mouvement Amal du président de la Chambre, Nabih Berry, qui, à un moment donné, aurait bien voulu constituer un bloc d’opposition face au tandem Michel Aoun-Gebran Bassil. Ce positionnement a au contraire laissé la voie libre au chef du CPL pour imposer ses choix au nom de la représentation des chrétiens. Selon ces analystes, le tandem Aoun-Bassil risque ainsi de rafler une majeure partie de la quote-part chrétienne au sein de la future équipe, du fait du désintérêt de Samir Geagea dans le processus gouvernemental. Ce dernier dit accorder la priorité à la tenue de législatives anticipées, sans pour autant claquer la porte de la Chambre. Pour Meerab, une démission unilatérale des députés FL ne suffira pas pour mener le pays vers des législatives anticipées, comme l’a réitéré Samir Geagea lundi dans une interview accordée à notre confrère an-Nahar. Le leader maronite a également estimé que si son parti n’avait pas appuyé la candidature de Michel Aoun à la magistrature suprême, la situation au Liban « aurait été bien pire ». Une façon pour lui de justifier l’accord de Meerab en 2016, en dépit de la rupture consommée aujourd’hui avec le mandat.
Ce que Paris reproche aux FL
Cette prise de position semble toutefois peu convaincante pour la France, soucieuse d’accompagner « une transition » qu’opéreraient les « forces politiques du changement » au Liban. « Depuis 2016, les FL ont passé un deal avec Michel Aoun et Gebran Bassil. Et elles semblent s’opposer aujourd’hui au pouvoir sous la pression de la rue, souligne une source française à L’Orient-Le Jour. Mais on ne peut pas se placer dans l’opposition après avoir conclu un accord avec Gebran Bassil. » Et de rappeler que le déplacement de M. Le Drian à Beyrouth avait deux objectifs : confirmer à la classe politique au pouvoir l’intention de Paris d’imposer des sanctions contre certains responsables et montrer que la France reconnaît et accompagne les forces politiques du changement qui constituent des alternatives en prévision des élections de 2022. Hier, la porte-parole du Quai d’Orsay, Agnès von der Mühll, a dans ce cadre réaffirmé lors d’un point de presse la volonté française de passer aux actes. Rappelant les mesures d’interdiction d’accès au territoire français déjà prises à l’encontre de certaines personnalités libanaises, dont l’identité n’a pas été donnée, elle a réitéré le fait que celles-ci peuvent être durcies si le blocage persiste.
Partageant la vision des Français, Pierre Issa, secrétaire général du Bloc national, qui a pris part à la réunion de la Résidence des Pins, estime que les FL ne pouvaient pas y être invitées. Selon lui, ce parti « devrait être convié à une réunion avec le Hezbollah, le courant du Futur, le CPL et le Parti socialiste progressiste ». À L’OLJ, il indique qu’il est temps que toutes ces forces politiques traditionnelles cèdent la place à ceux qui pourraient opérer un véritable changement.
Le point de vue des FL
De leur côté, les FL réduisent la portée politique de la réunion de jeudi dernier. « La visite de M. Le Drian visait à rencontrer les pôles du pouvoir et transmettre le mécontentement de la France à l’égard de la classe politique. Certains protagonistes ont voulu saisir cette opportunité pour le rencontrer et obtenir le soutien de la France », estime un responsable FL contacté par L’OLJ. Et de souligner : « Les Français ont fini par constater que nos craintes quant au risque que leur initiative finisse par renflouer la classe politique actuelle sont avérées. » « Nous étions le seul bloc parlementaire à ne pas avoir nommé (l’ambassadeur du Liban à Berlin) Moustapha Adib pour former le gouvernement parce que nous savions que cette démarche était vouée à l’échec », ajoute le responsable FL, précisant que l’heure est aujourd’hui à la tenue de législatives anticipées, actuel cheval de bataille de la formation qui avait appelé il y a quelques jours le CPL à coordonner avec elle pour une démission collective du Parlement.
commentaires (26)
le ministre français ne parle pas avec les FL. Ce n' est pas plus mal pour les FL. S'ils arrivent au pouvoir ce ne sera pas dans les bagages de l'étranger et quel étranger.
NASSER Jamil
01 h 13, le 13 mai 2021