Il aura pratiquement fallu sept mois à la France pour réaliser qu’elle ne pouvait plus donner une deuxième chance à la classe politique libanaise qui bloque la formation d’un nouveau gouvernement à cause des intérêts particuliers liés à cette échéance pourtant fondamentale pour un Liban à l’agonie.
La visite de 24 heures du chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, est ainsi venue consacrer ce constat en même temps qu’une nouvelle approche française du dossier libanais. Celle-ci s’est reflétée aussi bien dans le ton que le ministre français a adopté avec ses interlocuteurs, les présidents de la République, Michel Aoun et de la Chambre, Nabih Berry, et le Premier ministre désigné, Saad Hariri, que dans la teneur de son discours devant les forces dites de changement, issues de la société civile ou parmi l’opposition politique. Au cœur de ce discours, « la transition politique » est le pivot de la nouvelle approche française, dans la perspective des législatives de 2022, considérées comme étant « une étape majeure », par M. Le Drian au cours de la conférence de presse qu’il a tenue hier matin à la Résidence des Pins, avant de reprendre l’avion pour Paris. Le ministre français était arrivé mercredi soir à Beyrouth et avait concentré ses entretiens avec les trois pôles du pouvoir ainsi qu’avec les forces actives politiques et de la société civile, en une journée, jeudi.
Ses discussions avec les officiels n’étaient ni positives ni rassurantes, selon des sources concordantes. Le chef de la diplomatie française qui a de toute évidence eu à subir la langue de bois habituelle et les litanies qu’on connaît sur les causes et les responsabilités du blocage, espère encore un sursaut de conscience des autorités, sans trop y croire.
« Ce n’est qu’un début »
« À ce jour, je constate que les acteurs politiques n’ont pas encore assumé leurs responsabilités et ne se sont pas mis à travailler sérieusement au redressement du pays. Je suis venu précisément pour éviter cet espèce de suicide collectif organisé par certains », a-t-il dit dans sa conférence de presse, en précisant toutefois que « la période du test de responsabilité est caduque ». « Si les responsables n’agissent pas dès aujourd’hui, ils devront assumer les conséquences de cet échec. Nous avons commencé à mettre en œuvre des mesures restrictives. Ce n’est qu’un début », a prévenu le patron du Quai d’Orsay, en allusion à la décision de la France d’interdire l’accès de son territoire à ceux qui bloquent la formation d’un gouvernement. Ni le type exact des restrictions, ni le nombre et les identités des personnes concernées n’ont été jusque-là communiqués, une façon pour la France de laisser planer la menace sur l’ensemble de la classe politique locale.
« Si le blocage persiste, ces mesures pourront être durcies ou étendues, ou complétées par les instruments de pression dont dispose l’Union européenne et sur lesquels une réflexion a déjà commencé avec nos partenaires européens », a annoncé M. Le Drian.
Le message français, notamment la volonté de Paris de soutenir une étape transitoire en faveur de forces de changement, a été capté dix sur dix par les autorités concernées. À Baabda, à Aïn el-Tiné, comme à la Maison du Centre, l’heure est au décryptage des 24 heures françaises à Beyrouth. De sources proches de Baabda, on confie à L’OLJ que « le discours du ministre et les échanges qu’il a eus font l’objet d’une évaluation ». Idem à la Maison du Centre, où même si Saad Hariri a en principe renoncé à jeter l’éponge, on continue de peser le pour et le contre d’une récusation à l’aune du nouveau discours français et de tout le contexte politique qui entoure la mise en place d’une nouvelle équipe ministérielle. Selon des sources proches de Saad Hariri, les Français sont conscients que le principal problème à ce niveau est lié à la personne de ce dernier dont le président de la République et son gendre, le chef du CPL, Gebran Bassil, ne veulent plus. Pour Paris, il est primordial que ce problème soit réglé. Chose difficile compte tenu de l’inimitié qui s’est installée entre Baabda et la Maison du Centre où les points de vue divergent quant à l’opportunité d’une récusation de Saad Hariri.
Le camp rapproché du Premier ministre désigné souhaite qu’il rende le tablier, surtout que le Liban « est sur le point d’entrer dans une phase excessivement difficile aux plans social et économique, avec les mesures impopulaires qui devraient être prises, et pour éviter surtout qu’il ne soit tenu pour responsable du blocage alors que son souci premier, dit-on, est de mettre en application l’initiative française de redressement », qui commence par la formation d’un cabinet de mission, composé d’experts capables de tirer le Liban de l’ornière et de lancer des réformes sérieuses.
En face, le groupe des anciens chefs de gouvernement (Fouad Siniora, Tammam Salam et Nagib Mikati) reste farouchement opposé à une récusation dans laquelle il voit « une décision irresponsable qui livrerait le pays au tandem CPL-Hezbollah, ce qui donnerait l’impression que Saad Hariri était l’obstacle à la formation d’un cabinet et se répercuterait négativement sur le leader sunnite, au double plan interne et externe ».
Dans les prochains jours, les réunions devraient se multiplier à la Maison de Centre, avant que Saad Hariri ne se prononce sur la démarche qu’il compte suivre, probablement après la fête du Fitr. Et pour cause : d’ici là, les contours d’un éventuel règlement international envisagé pour la région pourraient se préciser et plus important encore, le prince héritier saoudien, Mohammad ben Selman, aura discuté avec le président français, Emmanuel Macron, du dossier libanais en marge du congrès sur le Soudan que Paris accueillera le 17 mai.
Une éventuelle récusation sera donc d’ici là gelée, d’autant que, selon des sources proches de Nabih Berry, les tractations pourraient reprendre au sujet du dossier gouvernemental. Bkerké et Aïn el-Tiné seraient le pivot de cette nouvelle tentative de déblocage. Un proche de M. Berry souligne ainsi que Jean-Yves Le Drian aurait assuré devant le président de la Chambre que l’initiative française était toujours sur la table, ce qui aurait encouragé ce dernier à remettre sur le tapis, de nouveau, la formule d’un gouvernement de 24 ministres.
commentaires (8)
Qu'on cesse de rêver! Comme dit l'adage libanais: falej la t3alej, ou , en perdant beaucoup en traduisant en français: à hémiplégie, point de remède!
Georges MELKI
15 h 23, le 10 mai 2021