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Lifestyle - La Mode

« Huggs », la collection d’Ahmed Amer qui vous prend dans ses bras

« Des pièces de prêt-à-porter asexuées, ornées d’illustrations minimalistes reflétant la complexité des strates qui constituent l’individu et le citoyen. » C’est par cette brève présentation sur son compte Instagram qu’Ahmed Amer résume la philosophie qui sous-tend sa marque : intégration, engagement et empathie. La collection « Huggs » illustre bien cette cohérence. 

« Huggs », la collection d’Ahmed Amer qui vous prend dans ses bras

« Huggs », la collection manifeste d’Ahmed Amer. Photo Élias Abkar

Huggs est une collection de pièces uniques, bien qu’Ahmed Amer ait fait le choix d’inscrire ses créations dans le segment prêt-à-porter. Mais il ne s’agit pas ici d’une coquetterie. Après avoir illustré à travers des collections profondément réfléchies l’air du temps mauvais de Beyrouth et de la planète, le créateur libanais s’est trouvé aux prises avec une tragédie supplémentaire qui a eu pour effet d’apporter un éclairage particulièrement intense sur tout ce qu’il s’attelait à dénoncer dans ses premières collections : la corruption, la mal-gouvernance, l’effondrement du Liban et la pandémie par-dessus tout le reste. La double explosion du 4 août au port de Beyrouth a grandement affecté toute la scène créative de la ville qui, on le sait, y avait établi ses quartiers. Parmi les enseignes qui ont été le plus frappées par cette tragédie, Maison Titus, une galerie éclectique de design et de décoration, représentante entre autres des célèbres tissus Pierre Frey. Il faut imaginer cette dévastation et la destruction de ces textiles précieux et fragiles entre tous. Jeter est un crève-cœur, récupérer semble impossible. Il s’agit de tissus de rideaux et de mobilier rendus inutilisables par les éclats de vitre, les chutes de plâtre et l’épaisse fumée qui a pu s’y déposer. Mais il y avait là pour Ahmed Amer comme une mission, une détermination à sortir quelque chose du néant pour conjurer le néant. Il passera le fatidique été 2020 sur place, dans le local dévasté de Titus, à « créer, rêver et faire de l’art ».


« Huggs », la collection manifeste d’Ahmed Amer. Photo Élias Abkar

Ressusciter l’étincelle

Son obsession première est de parvenir à trouver au cœur du désespoir une forme d’espoir sans laquelle créer est inutile. Il lui faut un premier pas pour entamer ce chemin, un premier signe, et la seule évidence qui se présente à lui quand plus rien n’a de sens est l’amour. Prendre dans les bras, envelopper, murmurer que tout ira bien. Seul l’amour peut à ses yeux abattre les obstacles qui interdisent le passage de l’anxiété au réconfort. Trier d’abord, récupérer ce qui peut l’être, même par petits bouts. Concevoir ensuite le meilleur moyen de ressusciter l’étincelle éteinte et le faste saccagé de ces trésors textiles. Il ne s’agit pas d’un simple recyclage, mais d’une réécriture du matériau avec un sens nouveau, une nouvelle pertinence. De vraies questions se posent : à quoi peut ressembler un vêtement qui protège, transmet de l’amour à celui qui le porte comme à celui qui regarde ?


« Huggs », la collection manifeste d’Ahmed Amer. Photo Élias Abkar

Comme une main posée sur l’épaule

La vision qui se présente est presque celle d’un bibendum. Tant de blessés graves auraient peut-être pu être protégés par d’épaisses couches de tissu. Le projet qui démarre cet été-là s’appelle Huggs Throw. Il va se développer sur toutes les saisons de l’année suivante. Les formes et les coupes, épaules, manches, statures, vont s’imposer dans des volumes inhabituels, surdimensionnés. Une robe simple de forme crayon à profond décolleté en V, le genre de robe de soirée où l’on se sent paradoxalement à la fois fragile et puissante, fragile par la nudité offerte et puissante par l’attraction que l’on provoque, va s’offrir des manches ballon plissées qui ne sont pas sans rappeler le réflexe de défense de certains animaux dans la nature qui augmentent de volume pour impressionner l’adversaire. Le matelassage, brodé des illustrations signature d’Ahmed Amer où se profilent des personnages gribouillés habitant des récits oniriques, s’impose comme la quintessence du principe de protection à travers un ensemble pantalon curcuma satiné et blouson sans manches à boutons pression. Sur un autre ensemble pantalon vert forêt, simple, fluide, coupé avec élégance, le mannequin va porter les illustrations d’Ahmed Amer tracées au feutre noir à même la peau comme un tatouage. Sous la netteté de la composition, ces personnages semblent en chute libre, bras tendus, ou alors étalés sur l’asphalte tels qu’ils le furent au moment de l’explosion. Ailleurs, une chemise ou vareuse, en tissu imprimé marbre vert de dos, voit le jersey noir plissé qui compose l’avant déborder sur l’arrière comme une main posée sur l’épaule. Les symboles se bousculent à l’évidence dans cette pièce maîtresse d’une beauté à la fois dense et minimaliste.

Venu de l’architecture d’intérieur, Ahmed Amer a commencé par se lancer en tant qu’illustrateur avant de céder à sa passion pour la mode développée à Creative Space Beirut, une école de mode gratuite fondée par Sarah Hermez avec l’aide de Caroline Simonelli. Sa collection de diplôme, présentée en 2017 rue Foch, dans un espace guérilla transformé en grotte, montrait déjà l’activiste qui perçait sous le créateur. Dès lors, son style s’est affirmé à travers une empreinte cohérente jamais loin d’une approche sociale et politique du concept de vêtement.

Huggs est une collection de pièces uniques, bien qu’Ahmed Amer ait fait le choix d’inscrire ses créations dans le segment prêt-à-porter. Mais il ne s’agit pas ici d’une coquetterie. Après avoir illustré à travers des collections profondément réfléchies l’air du temps mauvais de Beyrouth et de la planète, le créateur libanais s’est trouvé aux prises avec une tragédie...

commentaires (2)

Ou peut-on voir la collection Huggs a Beyrouth?

CW

12 h 09, le 29 mai 2021

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Commentaires (2)

  • Ou peut-on voir la collection Huggs a Beyrouth?

    CW

    12 h 09, le 29 mai 2021

  • C'est ma soeur le mannequin!!! Superbe!!!

    christelle safi / JSSP

    20 h 01, le 12 mai 2021

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