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Un pays qui n’en pue plus !

Les Libanais passent pour des maniaques de la propreté dans les strictes limites de leur chez-soi, prompts toutefois à oublier leurs bonnes manières sur la voie publique, qu’ils jonchent volontiers de détritus divers. Mais qu’en serait-il donc quand ce sont la politique, la corruption et les rivalités sectaires qui s’ingénient, de concert, à faire de notre minuscule pays un grand dépotoir ?


Car elle est partout désormais, la pourriture : celle des esprits, des consciences de nos gouvernants. Ce n’est plus seulement à nos biens qu’elle s’en prend, mais à notre existence même, à notre santé du moins. Ce scandaleux mépris de la vie humaine, rien ne pouvait mieux l’illustrer que l’incroyable somme de malveillances, de prévarications et de criminelles négligences qui a précédé, accompagné et même suivi la double et dévastatrice explosion du 4 août dernier dans le port de Beyrouth.


Car cette véritable caverne d’Ali Baba n’a probablement pas fini de révéler tous ses monstrueux secrets. Il aura fallu ainsi recourir à une entreprise allemande spécialisée dans l’évacuation de matières sensibles pour nous débarrasser d’une cinquantaine de conteneurs rouillés bourrés de produits toxiques, inflammables ou explosifs qui croupissaient depuis des années sur les quais. Jamais vu une telle chienlit, les Beyrouthins l’ont échappé belle, ont commenté, ébahis, les bons Samaritains teutons…


Non point que l’on soit beaucoup mieux loti dans les campagnes. 124 tonnes de belles carpes mortes d’empoisonnement et flottant, ventre à l’air, dans les glauques eaux du lac Qaraoun, ce n’est pas seulement un drame écologique propre à indigner les militants de la préservation animale. Ce n’est pas seulement le scandale de ces poissons bourrés de toxines et dont un certain nombre a néanmoins atterri dans l’assiette du consommateur. Que les causes en soient naturelles ou dues au déversement chaotique de déchets, notamment chimiques, la pollution du fleuve Litani demeure surtout le résultat prévisible d’une longue tradition de négligence étatique. C’est surtout un crime de trahison qui se poursuit contre le premier fleuve du Liban, contre cette ressource naturelle, cet or bleu qui, un jour, pourrait être plus précieux encore que ces gisements d’hydrocarbures sous-marins qui excitent tant l’appétit des pillards de la République.


Ce n’est pas ce type de pollution toutefois que s’en vient traiter Jean-Yves Le Drian, attendu aujourd’hui à Beyrouth, et qui s’est fait précéder d’une salve d’interdictions d’accès au territoire français frappant des personnages tenus pour responsables de l’actuel blocage politique et institutionnel. En butte aux réticences des acteurs locaux, l’initiative du président Emmanuel Macron a perdu, au fil des mois, une bonne partie de ses éléments forts. Il n’en reste plus, pour le moment du moins, que l’exigence de célérité dans la formation d’un gouvernement.


Ce sont des plaidoyers pro domo que réciteront sans doute, devant le ministre français des AE, ses interlocuteurs. À leur tête figure un président convaincu de son droit naturel de choisir les ministres chrétiens et de se doter d’une majorité relative au sein du futur cabinet.


Il n’est pas impossible cependant que Le Drian rencontre, dans la foulée, le chef du camp présidentiel. Déjà sanctionné par les États-Unis, ce dernier croyait, il y a quelques jours, conforter sa prétention à représenter les mêmes chrétiens grâce au vibrant témoignage, délivré sur place, d’un ministre hongrois. Fort imprudente initiative, puisque cette Excellence magyare, membre du parti nationaliste et populiste au pouvoir, est elle-même en butte aux accusations de corruption dans son pays. Outre le président de l’Assemblée, le visiteur français devrait s’entretenir enfin avec le Premier ministre désigné, partenaire privilégié de la France mais qui faisait sa coquette hier en faisant courir le bruit qu’il est sur le point de jeter l’éponge.


Ajustez bien votre masque sanitaire, Monsieur Le Drian. L’air vivifiant du Liban c’est de l’histoire ancienne, il y a belle lurette que ça ne sent plus le jasmin !


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Les Libanais passent pour des maniaques de la propreté dans les strictes limites de leur chez-soi, prompts toutefois à oublier leurs bonnes manières sur la voie publique, qu’ils jonchent volontiers de détritus divers. Mais qu’en serait-il donc quand ce sont la politique, la corruption et les rivalités sectaires qui s’ingénient, de concert, à faire de notre minuscule pays un grand...