Le Premier ministre libanais sortant, Hassane Diab, dont le gouvernement gère les affaires courantes depuis sa démission le 10 août dernier, est revenu sur son bilan, affirmant avoir été surpris par le degré de corruption au sein de la classe politique au pouvoir, se défendant ainsi d'assumer l'entière responsabilité de la grave crise qui frappe le Liban depuis l'été 2019.
Dans un entretien télévisé accordé à la chaîne britannique BBC dans son édition arabophone, Hassane Diab a abordé de nombreux dossiers, notamment la gestion des affaires courantes, l'enquête sur l'explosion meurtrière du 4 août au port de Beyrouth, le tracé de la frontière maritime avec Israël, ou encore le trafic de drogue à destination de l'Arabie saoudite.
En début d'entretien, il a répondu à des questions sur la crise socio-économique qui accable le Liban et qui ne cesse de s'aggraver de jour en jour.
Situation "exceptionnelle"
"La situation économique et sociale était mauvaise dès le départ, suite à des accumulations durant des décennies. Mais nous ne nous attendions pas à une série de catastrophes en seulement six mois", a souligné le Premier ministre sortant, qui a dû gérer durant son mandat le début de la pandémie de coronavirus, l'explosion catastrophique du 4 août, ainsi que les séries de manifestations antipouvoir déclenchées le 17 octobre 2019.
"Ne contribuez-vous pas à l'aggravation de la crise, en refusant de réunir le gouvernement sortant afin d'examiner les dossiers urgents ?", lui demande la journaliste de la BBC. "Non, cela est faux. Nous ne refusons pas (la tenue de sessions extraordinaires). Mais l'article 64 de la Constitution dit clairement que le gouvernement sortant expédie les affaires courantes, dans le sens étroit du terme", a insisté Hassane Diab. "La situation est cependant exceptionnelle", lui lance-t-elle. "La situation est exceptionnelle, certes, mais depuis 1979 jusqu'à ce jour, en 41 ans, il n'y a eu qu'une seule réunion d'un gouvernement sortant, a rappelé Hassane Diab. En tant que cabinet qui gère les affaires courantes, nous ne pouvons pas nous réunir".
Le président de la République Michel Aoun et son allié chiite, le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah, poussent en faveur d'un renflouement du cabinet Diab, à l'heure où le pays est sans gouvernement depuis bientôt neuf mois. Toutefois, Hassane Diab a fait savoir à plusieurs reprises qu'il s'opposait à une telle option et refuse jusque-là de réunir son cabinet. Parallèlement, l'impasse politique autour de la formation du gouvernement dont a été chargé Saad Hariri en octobre dernier s'approfondit, du fait du bras de fer politique qui l'oppose au chef de l'État et à son gendre, le député Gebran Bassil.
"Pourquoi n'y a-t-il pas de gouvernement à ce jour, neuf mois après votre démission ? Qu'est-ce qui empêche la formation du cabinet ?", demande la journaliste. "Il y a des rivalités et des divisons politiques. Neuf mois sans gouvernement, c'est déjà très long en temps normal. Qu'en est-il alors lorsque l'on traverse des circonstances difficiles ? Il y a un manque évident de souplesse sur le plan politique, démarche nécessaire dans la formation des gouvernements", a estimé le Premier ministre sortant.
Les subventions
En outre, Hassane Diab a été interrogé sur la rationalisation des subventions sur les produits de première nécessité, alors que les réserves de la banque centrale sont au plus bas, faisant craindre une inflation encore plus grave dans quelques semaines.
"Je suis contre la levée ou la rationalisation des subventions, avant d'avoir assuré une alternative à la population. Cette alternative, c'est la carte de paiement (électronique)", souligne M. Diab. "Mais personne ne sait qui va la financer", rétorque la journaliste. "Indépendamment de savoir qui va financer cette carte, et avant de dire aux Libanais que les prix des denrées vont augmenter, il faut leur assurer un système pour amortir la hausse des prix. Nous travaillons pour la mise en place de cette carte, et c'est pour cela que je me suis rendu au Qatar dernièrement. Les Qataris se sont dits prêts à aider, mais la question nécessite encore davantage d'étude", a expliqué Hassane Diab. Les autorités n'ont toujours pas réussi à finaliser le projet de carte électronique censées être attribuée aux familles les plus pauvres du pays pour les aider à acheter des matière essentielles en temps de crise.
La frontière maritime
Sur un autre plan, Hassane Diab a répondu à des questions au sujet du tracé de la frontière maritime entre le Liban et Israël, en vue de l'exploitation de ressources en hydrocarbures off-shore. Les négociations indirectes avaient été suspendues en décembre dernier, suite à une révision à la hausse des demandes libanaises en matière de tracé. Elles doivent reprendre la semaine prochaine, avec l'arrivée à Beyrouth de l'émissaire américain en charge du dossier. Mais le Liban risque de revenir à la table des négociations en ordre dispersé, alors que l'adoption d'une position unifiée sur le tracé n'a toujours pas été tranchée au sommet de l'État. Le chef de l'État refuse en effet de signer l'amendement au décret 6433/2011 qui donne au Liban un droit supplémentaire sur 1.430 km2 dans le tracé de la frontière maritime avec Israël, conditionnant toute signature à un consensus en Conseil des ministres.
"Aujourd'hui, en se basant sur les études de l'armée libanaise, le Liban a droit à un autre tracé par l'adoption de la ligne 29 (qui lui accorde les 1.430 km2 supplémentaires, NDLR)", a affirmé Hassane Diab. "Les ministres des Travaux publics et de la Défense ont paraphé le décret adéquat. J'ai aussi donné mon accord, et maintenant le dossier est entre les mains du président de la République. Nous attendons sa signature exceptionnelle", a-t-il rappelé, lançant une nouvelle fois la balle dans le camp du chef de l'État.
Le trafic de drogue
Par ailleurs, le Premier ministre sortant est revenu sur la saisie de drogue en provenance du Liban, qui a poussé l'Arabie saoudite à suspendre ses importations de fruits et légumes libanais, provoquant de nouvelles tensions entre les deux pays. "Le Liban refuse d'être la porte d'entrée du trafic de drogue à destination d'autres pays, notamment l'Arabie saoudite. J'ai insisté au cours de la réunion qui s'est tenue au palais présidentiel , sur la coopération sécuritaire avec les autorités saoudiennes. J'ai chargé également le ministre de l'Intérieur d'entrer en contact avec les autorités de Riyad", a précise M. Diab. "Je ne pense pas qu'il y ait une dimension politique à la décision saoudienne", a-t-il également dit, alors que Riyad reproche aux autorités libanaises de ne pas faire assez pour limiter l'influence du Hezbollah sur les rouages de l'État.
Enfin, Hassane Diab a commenté le dossier de l'explosion au port de Beyrouth qui a fait plus de 200 morts et 6.500 blessés, suite à la déflagration provoquée par des centaines de tonnes de nitrate d'ammonium stockées et négligées depuis 2013. Hassane Diab a été inculpé pour négligence dans le cadre de cette affaire, au côté de plusieurs autres ex-ministres et députés. Le Premier ministre sortant avait toutefois refusé de se présenter devant le juge en charge de cette enquête, dénonçant des accusations politiques à son encontre.
"Êtes vous toujours considéré comme suspect dans le cadre de l'enquête sur l'explosion au port de Beyrouth ?", a demandé la journaliste à Hassane Diab. "Cette question là relève de la Justice. Je ne m'en mêle pas", a répondu le Premier ministre sortant. "Mais vous avez refusé de vous présenter devant l'ex-enquêteur judiciaire". "Pas du tout, je n'ai pas refusé. Lorsque le procureur général près la cour de cassation, le juge Ghassan Oueidate, m'a contacté pour me demander si je n'avais pas de problème à être auditionné par le juge d'instruction, je lui ai dit que je n'avais pas d'objection, et que ce dernier pouvait le faire à tout moment. Mais lorsque celui-ci a engagé des poursuites contre moi, alors que l'affaire remonte à sept ans, et qu'il cherche à m'en faire assumer la responsabilité, il est clair qu'il s'agit d'une accusation politique. Et l'article 70 de la Constitution est clair : le jugement des présidents et Premiers ministres se fait devant le Parlement", s'est défendu Hassane Diab.
Commentant en conclusion son expérience gouvernementale, le Premier ministre démissionnaire a affirmé : "Ma mission à la tête du gouvernement a été très difficile, surtout en tant que technocrate apolitique. Je ne pensais pas être confronté à autant de corruption. Il y a un système profond qui contrôle tous les rouages de l'État. (...) Mais je ne regrette pas cette expérience, même si malheureusement une grande partie de la classe politique ne se soucie pas de l'intérêt du Liban et des Libanais".
commentaires (26)
ERRATUM: Merci de corriger Haro au lieu de Harro .A mon commentaire du 03mai2021 17h31 cordialement .
Le Point du Jour.
12 h 28, le 04 mai 2021