
Ghada Aoun, lors d’une de ses perquisitions dans les locaux de la société Mecattaf. Photo Marc Fayad
Dans un pays qui sombre lentement mais sûrement au rythme notamment de la déliquescence de ses institutions, la justice réussissait encore à préserver, relativement, ce qui restait de son prestige. Mais depuis deux semaines, une bonne partie de la population, quoique désabusée, est interloquée par les frasques de la procureure générale du parquet d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, suite à la décision du procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, de la dessaisir des dossiers relatifs aux crimes financiers.
Comment ce bras de fer qui ternit l’image de la profession est-il perçu par les magistrats et comment réagissent-ils face à ce déballage inédit au Liban ? Initialement réticents en raison de leur devoir de réserve, plusieurs juges ont finalement accepté de faire part de leurs impressions à L’Orient-Le Jour, sous couvert d’anonymat, afin d’expliquer qu’ils ne sortent pas indemnes de ce feuilleton pathétique. Un magistrat affirme ainsi hésiter « entre la farce et le drame » pour qualifier les perquisitions ultramédiatisées dans les locaux de la société de convoyage de fonds Mecattaf, que Ghada Aoun a effectuées à plusieurs reprises dans le cadre de son enquête sur une affaire visant le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, et le PDG de la Société Générale de Banque au Liban (SGBL), Antoun Sehnaoui, dont elle refuse de se dessaisir. Et ce malgré le fait qu’elle ait été de facto dessaisie de l’affaire par le procureur Oueidate.
« Le spectacle est désolant. J’exerce mon métier depuis des décennies et jamais un juge respectable ne s’est comporté de la sorte (…). C’est un crime de fracasser des portes pour pénétrer dans des propriétés privées. La procureure s’est rendue coupable de vol avec effraction, d’autant plus qu’elle n’a pas agi dans le cadre d’un flagrant délit. Elle a eu recours à un serrurier, qui l’a aidée à forcer une porte d’entrée afin de rechercher des données », martèle un magistrat sexagénaire.
« Un scandale, une honte, un manque de distinction », s’exclame sa consœur trentenaire, que l’on appellera Lana par souci de confidentialité. « À l’Institut d’études judiciaires nous avons appris, pendant trois ans, qu’un juge doit faire preuve de réserve. » Pour elle, l’attitude de la procureure est inacceptable et ne pourrait même pas être justifiée par l’argument avancé par Mme Aoun selon lequel la décision de M. Oueidate serait illégale : « Un juge doit avant tout respecter les procédures. Si Ghada Aoun estime qu’elle est en droit de poursuivre l’enquête dont elle a été dessaisie, elle doit exercer un recours judiciaire plutôt que donner une image désavantageuse de la justice. » Commentant l’action intentée mardi auprès du Conseil d’état par la juge contre M. Oueidate pour excès de pouvoir et usurpation de prérogatives, Lana indique que si elle l’avait fait dès le début, « la justice n’aurait pas pris un aussi grand coup ».
Mauvais exemple
Lana estime qu’un mauvais exemple a été donné aux autres magistrats. « Chaque juge aura tendance désormais à ne plus s’imposer de bornes, à moins que le conseil de discipline ne prenne des sanctions », affirme-t-elle. « La procureure a contribué à nourrir la méfiance des citoyens à l’égard des juges et de la justice, une justice déjà fêlée et qui est à présent pratiquement détruite (…). On n’a de cesse de faire devant moi un amalgame entre elle et les magistrats dans leur ensemble », dit cette magistrate.
Si elle est vivement critiquée par certains, Ghada Aoun trouve toutefois des défenseurs. Un magistrat qui a travaillé avec elle dans un même tribunal évoque « son intégrité et son honnêteté ». « Elle n’a ni rancune ni mauvaise foi », affirme-t-il, soulignant qu’elle « tient à remplir la mission qui lui incombe de par son métier ». Sans vouloir entrer dans le détail de sa démarche, il estime que « tout acte judiciaire doit être évalué selon qu’il relève de l’intérêt public ou d’intérêts privés (…). Le fait que la magistrate soit proche d’un parti politique (CPL, aouniste) ne lui ôte pas le mérite de se battre pour une enquête qui a des chances de se répercuter favorablement sur toute la société », ajoute-t-il. L’enquête a été lancée pour vérifier si la compagnie n’a pas servi d’intermédiaire pour faciliter l’exfiltration de millions de dollars, notamment pour le compte de la SGBL dont le PDG fait l’objet d’une poursuite.
Les médias pointés du doigt
Pour sa part, un magistrat à la retraite qualifie d’« intolérable » la politisation de la justice qui, selon lui, ne concerne toutefois qu’une « minorité » de magistrats. Il accuse les médias de se focaliser sur « quelques » juges politisés et de contribuer ainsi à construire une mauvaise réputation pour l’ensemble de la magistrature, alors que, assure-t-il, la grande majorité de ses confrères travaillent discrètement, et loin de toute politisation.
Dans le même esprit, une juge de 42 ans dénonce « l’acharnement des médias à braquer les projecteurs sur les seuls mauvais côtés de la justice, ce qui nuit à cette institution et, plus généralement, au pays ». Elle propose plutôt « la création d’un atelier de travail auquel participeraient magistrats, journalistes, avocats et membres de la société civile ».
« Si on appliquait la loi, abstraction faite de toute autre considération, on ne serait pas arrivé à un tel état d’étiolement de la justice », estime un juge haut placé avant d’ajouter : « Malheureusement, la loi reste pour beaucoup un simple point de vue. »
Dans un pays qui sombre lentement mais sûrement au rythme notamment de la déliquescence de ses institutions, la justice réussissait encore à préserver, relativement, ce qui restait de son prestige. Mais depuis deux semaines, une bonne partie de la population, quoique désabusée, est interloquée par les frasques de la procureure générale du parquet d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun,...
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Si elle avait commencé par interpeler le gendre sanctionné par les E.U pour connaître le vrai du faux on aurait peut être cru à son courage et son implication dans les affaires louches comme le blanchiment d’argent des milices depuis et vers notre pays. Lorsqu’on est juge on se doit d’être impartial et non pas se cacher derrière les pistons qui l’ont nommé pour assurer leurs arrières en prétendant le professionnalisme et la droiture. Le deux poids deux mesures ne passent plus dans l’esprit des libanais on est juge ou on ne l’est pas. Ce que nous voyons comme déchaînement sur un seul camp ne nous fait pas croire à sa sérénité.
Sissi zayyat
12 h 28, le 20 mai 2021