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Touche pas à mon juge !

Le plus navrant est qu’avec un minimum de cette impartialité qui sied aux juges, elle aurait pu rêver de se voir en héroïne de tous les Libanais, et non en phénoménale curiosité juridique devenue, de surcroît, objet de discorde nationale.

Le fait est que notre pays mis à sac par ses propres dirigeants aurait sacrément besoin d’une sorte de Jeanne d’Arc en robe noire bravant gaillardement et indistinctement tous les bûchers de la corruption. Ce qu’on a là plutôt, c’est une apparatchik en perpétuelles transes qui collectionne les coups d’éclat à grands renforts de publicité, mais réserve son zèle à un camp bien précis.


Si donc la procureure du Mont-Liban, Ghada Aoun, a amplement mérité son label de magistrat d’exception, ce n’est certes pas dans le sens où elle l’entendait. L’insubordination à l’autorité hiérarchique peut très bien en effet susciter l’admiration quand on y a recours pour la bonne cause, celle du droit; c’est bien volontiers qu’on y voit alors la forme la plus noble d’irrévérence, voire d’insolence, dans le courage. Le panache s’en va en fumée toutefois, quand la rébellion s’affuble de frénésies partisanes confinant à l’hystérie : quand, pour chacune de ses performances dûment télévisées, la juge se fait délibérément escorter de vociférantes hordes partisanes ; quand elle s’autorise à haranguer ses troupes en se glorifiant de ses exploits ; quand ces attroupements appellent forcément des manifestations adverses. On s’est affronté dans la rue, qui pour le procureur de la République et qui pour la procureure du Mont-Liban entrée en insurrection : à force d’outrances, se trouve plus que jamais politisé – et même confessionnalisé à mort – le débat sur une justice libanaise en proie aux ingérences politiques.


La dame Ghada Aoun a beau être le personnage central de ce carnaval, cela n’en fait pas pour autant une star. Plutôt que la pasionaria d’un peuple volé par ses propres dirigeants, elle apparaît comme le fantasque et, somme toute, pathétique instrument d’une entreprise dont la perversité n’a d’égale que la balourdise, l’incroyable naïveté avec laquelle elle est conduite. De toute évidence, l’objectif en est d’orienter vers certaines directions, à l’exclusion d’autres, le cours des investigations dans les innombrables affaires de corruption qui éclaboussent une bonne partie du personnel dirigeant : les plus corrompus se montrant, comme à l’accoutumée, les plus tonitruants dans leur exigence de sanctions…


En déférant la procureure Aoun devant l’Inspection, en l’invitant à se conformer aux directives de ses supérieurs, les plus hautes autorités judiciaires n’ont fait, hier, que parer au plus pressé. Or, et sans évidemment préjuger du bien-fondé ou non des investigations prêtant à litige, la question demeure posée quant aux suites pratiques de cette singulière affaire. De même, le problème reste entier pour une justice libanaise arraisonnée par les puissants et dont on attend, sans trop y croire, qu’elle brise elle-même ses chaînes.


Le mal qui mine la justice n’est pas bien nouveau. Atterrant est déjà le tableau qu’en brossait, samedi dernier, la ministre tutélaire elle-même, qui déplorait la dévotion de certains juges aux diverses fractions en lice : la gangrène politico-financière ayant, faut-il croire, le malin pouvoir de les rendre intouchables. Mais sans doute faut-il revoir à la hausse le diagnostic. Car dans ce climat de déglingue généralisée, c’est au Palais de justice que menace maintenant de s’installer, après avoir infecté tant d’autres institutions, l’épidémie d’absurde, d’irrationnel, de bordélique imbroglio. De démence.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Le plus navrant est qu’avec un minimum de cette impartialité qui sied aux juges, elle aurait pu rêver de se voir en héroïne de tous les Libanais, et non en phénoménale curiosité juridique devenue, de surcroît, objet de discorde nationale. Le fait est que notre pays mis à sac par ses propres dirigeants aurait sacrément besoin d’une sorte de Jeanne d’Arc en robe noire bravant...