À l’issue de deux jours d’entretiens avec de hauts responsables russes, le Premier ministre désigné Saad Hariri est rentré hier soir à Beyrouth avec l’assurance d’un engagement de la part de ses interlocuteurs au Kremlin d’œuvrer en vue d’aplanir les obstacles qui bloquent la naissance du gouvernement. Une assurance qui se fonde sur l’espoir, du côté russe, de parvenir à un assouplissement de la position du chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, qui doit se rendre à son tour à Moscou dans les prochains jours.
À la recherche d’appuis internationaux l’habilitant à mieux contrer ses adversaires politiques, M. Hariri vient ainsi d’achever une visite de deux jours en Russie qui survient après ses déplacements en France, en Égypte, au Qatar et aux Émirats arabes unis. Hier, il s’est entretenu avec le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, de la situation libanaise et, plus particulièrement, de la crise gouvernementale. Le diplomate a réitéré devant son interlocuteur libanais la position exprimée la veille par le président russe Vladimir Poutine, à savoir le soutien de la Russie à la formation, le plus rapidement possible, d’un cabinet qu’il présiderait, et « qui devrait être capable de résoudre la crise et de s’attirer le soutien des pays arabes et de la communauté internationale », selon des propos rapportés par le bureau de presse du chef du courant du Futur. Pour sa part, le ministère russe des Affaires étrangères a publié un communiqué dans lequel il a indiqué que MM. Lavrov et Hariri ont insisté sur « la nécessité d’accélérer la sortie des crise économique et sociale à travers la formation d’un gouvernement de mission composé de technocrates capables, et qui bénéficie du soutien des principales forces politiques et confessionnelles du pays ».
La veille, et alors qu’il était censé rencontrer Vladimir Poutine, Saad Hariri a dû se contenter d’un entretien téléphonique avec le chef du Kremlin. Aucun motif convaincant n’a pu être fourni pour expliquer ce revirement de dernière minute qui suscite une multitude d’interrogations. Car c’est surtout avec M. Poutine que M. Hariri espérait s’entretenir et non pas tant avec M. Lavrov qu’il avait déjà rencontré aux Émirats le 9 mars dernier et qui lui avait déjà exprimé son appui.
À Saad Hariri, le président russe a toutefois assuré, selon des informations rapportées dans la presse, que son pays continuera de jouer un rôle prépondérant pour inciter toutes les parties à coopérer en vue de faciliter la naissance d’un gouvernement de technocrates sans tiers de blocage, une formule qui épouse la feuille de route française. Moscou – qui reçoit prochainement, outre Gebran Bassil, le chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt ainsi que son rival sur la scène druze, le chef du Parti démocratique libanais Talal Arslane, dans les semaines qui viennent – va ainsi tenter, à son tour, une ultime médiation pour rapprocher les points de vue après l’échec des interventions française et égyptienne.
« Encore un déplacement pour rien », commente toutefois un chef de file politique au Liban pour signifier que la visite du Premier ministre désigné à Moscou n’aura servi à Saad Hariri que de défouloir et un moyen de renflouer son image politique. Le responsable réagit au fait qu’aucune percée n’ait pu être enregistrée au niveau de la formation du gouvernement, l’expérience ayant démontré que la solution semble résolument aux mains des acteurs libanais et non des capitales étrangères que M. Hariri a sillonnées au cours des trois derniers mois. C’est d’ailleurs l’un des constats que font les diplomates étrangers de passage à Beyrouth et qui se résume par une formule simple : la formation du cabinet est du seul ressort des Libanais, le dénouement de la crise également. La communauté internationale est disposée à aider a posteriori, et à certaines conditions uniquement, lorsqu’une équipe capable d’enclencher les réformes sera mise en place.
Appréhensions quant à la formule des trois 8
Pour l’heure, c’est la politique de la fuite en avant qui se poursuit alors que se corse le bras de fer entre Saad Hariri et le chef de l’État, Michel Aoun, qui n’arrivent toujours pas à s’entendre sur une formule viable, les deux parties s’accusant mutuellement de continuer à bloquer le processus. Entre les deux camps, les mêmes crispations persistent. Dans les milieux haririens, on fait part des appréhensions du Premier ministre désigné quant à la formule d’un cabinet de 24 (8 ministres pour chaque camp politique), soutenue par le chef du PSP et le chef du Parlement Nabih Berry. Dans un jeu de calcul des équilibres, l’on dit craindre, du côté du courant du Futur, une alliance entre le CPL et le camp chiite, de sorte à conférer au Hezbollah une marge de manœuvre assez large lui garantissant ainsi la répartition par tiers. Cela signifierait que le tandem chiite, Amal et le Hezbollah, serait à pied d’égalité avec les chrétiens et les sunnites en matière de partage du pouvoir. Un déséquilibre qui, aux yeux du sunnisme politique, serait en violation des accords de Taëf. À tous ceux qui préconisent que la seule issue à la crise serait, pour M. Hariri, de se réunir avec le chef du CPL, les sources proches du Premier ministre désigné répondent qu’une telle rencontre serait fatale au chef du courant du Futur qui aurait perdu toute crédibilité, ne serait-ce qu’aux yeux de sa base populaire.
« M. Hariri ne sait plus quelle excuse trouver pour renvoyer la balle dans notre camp et nous faire assumer la responsabilité du blocage », rétorque un responsable aouniste. Alors que dans les milieux proches de Baabda, on assure que le chef de l’État a déjà effectué plusieurs concessions et accepté la formule des trois 8 sans tiers de blocage, c’est la même rengaine du côté du CPL. « À ce jour, Saad Hariri refuse de nous dire qui va nommer les ministres. Ce que nous réclamons n’est pas sorcier, à savoir l’unité des critères dans le processus de désignation », affirme ainsi une source du parti de Gebran Bassil. Comprendre que si M. Hariri, le Hezbollah et autres forces politiques vont eux-mêmes nommer leurs candidats, le principe de réciprocité doit s’appliquer au CPL.
Le problème, dit le politologue Karim Bitar, est que « le président Michel Aoun, depuis son élection, voire avant, n’a toujours pas intégré l’idée que les prérogatives du chef de l’État ne sont plus les mêmes qu’avant les accords de Taëf ». M. Bitar fait allusion à la problématique de savoir à qui revient la compétence de former le gouvernement à proprement parler, un litige qui oppose MM. Aoun et Hariri depuis plus de huit mois. Selon M. Bitar, entre les deux hommes, il y a une compréhension différente de la Constitution, à laquelle viennent s’ajouter un fossé générationnel, des tempéraments extrêmement différents et une guerre d’ego devenue ingérable, à l’heure où les priorités sont ailleurs. Bien que le camp du chef de l’État et le Hezbollah aient consenti à faire preuve de souplesse, la hantise du tiers de blocage reste toujours de rigueur, constate encore le politologue en allusion au Premier ministre désigné.
Wehbé évoque à Athènes la question des réfugiés syriens
Le ministre sortant des Affaires étrangères, Charbel Wehbé, a été reçu hier à Athènes par son homologue grec, Nikos Dendias, dans le cadre d’une réunion qui a regroupé le Liban, la Grèce et Chypre autour des développements dans la région. M. Wehbé a profité de cette occasion pour évoquer plusieurs dossiers avec ses homologues, notamment celui du flux de réfugiés dans le bassin méditerranéen.
M. Wehbé a également discuté des questions de lutte contre le terrorisme et de stabilité et de sécurité. « Les défis auxquels nous faisons face dans l’est du bassin méditerranéen sont de taille et pourraient affecter l’avenir du Liban. C’est pourquoi les solutions doivent être radicales, et nous ne devons pas nous contenter d’administrer des “analgésiques” », a-t-il estimé, espérant une contribution de l’ONU sur ces dossiers.
« Le Liban accueille 1,5 million de réfugiés syriens et environ 500 000 réfugiés palestiniens depuis 1948, a rappelé le ministre. Le Liban supporte ce fardeau, alors qu’aucun autre pays du monde n’a un tel ratio entre le nombre de réfugiés et celui de la population. » Il a estimé que cela « nécessite un soutien total de la part de la communauté internationale, afin que le Liban ne soit pas seul à gérer cela ».
commentaires (5)
Saad Hariri n’a toujours pas compris qu’il n’est pas à la hauteur du poste de Premier Ministre. Il n’a ni les compétences ni le savoir faire. Il est grand temps qu’il se retire et laisse la place à un homme de poigne
Lecteur excédé par la censure
09 h 29, le 18 avril 2021