Les épisodes de violence suscités par la course aux produits subventionnés ou à l’obtention d’un colis alimentaire sont malheureusement devenus récurrents. Un premier décès a même été enregistré, celui d’un jeune de 23 ans, Karim Mohieddine, tué dans une rixe dans le quartier de Khannak à Tripoli, au Liban-Nord, au moment d’une distribution de colis alimentaires.
Le drame est survenu mardi soir devant les bureaux de l’association Musulmans dans le monde. Un habitant de la ville, surnommé cheikh Sultane, avait reçu quelque 500 colis alimentaires d’un donateur en Australie, explique à L’Orient Today Chadi Nachabé, membre du conseil municipal de Tripoli. « Le cheikh a distribué des coupons aux bénéficiaires, qui devaient recevoir chacun un colis », poursuit-il.
Or, pendant la distribution, quatre individus ont essayé d’en prendre plus. Une altercation s’en est suivie entre les volontaires et les indélicats. Elle a rapidement dégénéré et des coups de feu ont été tirés. « Ces individus sont connus pour être des fauteurs de troubles, affirme M. Nachabé. L’un d’eux s’était même muni d’un revolver. » Karim Mohieddine, qui s’était porté volontaire pour la distribution des colis alimentaires, a été atteint de plusieurs balles. Il n’a pas tardé à succomber à ses blessures. Deux autres jeunes ont été blessés et hospitalisés.
Selon une source de sécurité, la branche des renseignements des Forces de sécurité intérieure (FSI) ont arrêté le tireur présumé, un Syrien, ainsi que son collaborateur, de nationalité libanaise.
Parallèlement, dans un supermarché à Dahr Sarba, dans le Kesrouan, un homme a été blessé suite à des affrontements autour de bidons d’huile subventionnés, entre des employés syriens et des Libanais. Selon un message vocal, dont l’origine n’est pas connue mais qui a été largement partagé sur les réseaux sociaux, les employés en question auraient averti leurs proches que de l’huile subventionnée serait disponible et proposé de mettre des bidons de côté. Un Libanais, indigné, a alors réclamé qu’un des Syriens lui donne un bidon d’huile. Un employé du supermarché l’a alors frappé à la tête avec une bouteille de whisky. Sur une vidéo de l’incident ayant circulé sur les réseaux sociaux, on voit des jeunes se lancer au visage des paquets de produits alimentaires et des bouteilles avant d’en venir aux mains. Les FSI ont dû intervenir pour ramener le calme.
Tension et frictions
Dans un Liban en butte à une dépréciation de plus de 85 % de la valeur de la monnaie nationale et à une hyperinflation (le taux d’inflation des prix alimentaires était estimé à 402,25 % à décembre 2020 par la Banque mondiale, NDLR), les bagarres pour des produits subventionnés sont devenues quasi régulières. « Les consommateurs veulent obtenir à tout prix ces produits, explique à L’Orient-Le Jour Nabil Fahed, président du syndicat des propriétaires de supermarchés. Or ceux-ci ne sont pas toujours disponibles. Ce qui se traduit par un climat de tension donnant lieu à des dérapages. »
Pour lui, le problème a commencé lorsque les supermarchés ont été accusés de « cacher des produits subventionnés ». « Ce qui n’est pas vrai, assure-t-il. Nous avions, en accord avec le ministère de l’Économie, décidé d’exposer sur les rayons ces produits graduellement pour permettre au plus grand nombre d’en profiter. Et ce parce que des groupes de gens avaient l’habitude d’acheter l’ensemble des produits subventionnés en vue de les faire passer en contrebande. De plus, dans les régions où la présence des réfugiés syriens est importante, ces derniers essayaient de s’approvisionner autant que possible de ces produits. »
Ce mécanisme s’étant soldé par un échec, « nous nous sommes remis à exposer les produits subventionnés, d’un seul coup », poursuit M. Fahed. Lorsqu’ils doivent les réceptionner, les propriétaires des supermarchés sont désormais contraints de faire appel aux forces de l’ordre pour « assurer la sécurité » des clients et des employés. Aujourd’hui, ils demandent que les produits subventionnés soient distribués par le ministère des Affaires sociales et non plus vendus dans les supermarchés. En août 2020, l’Escwa indiquait que plus de 55 % de la population libanaise vivait désormais dans la pauvreté et peinait à subvenir à ses besoins de base.
Incidents provoqués
Pour Adib Nehmé, conseiller en développement et lutte contre la pauvreté, ces incidents récurrents « sont dus à une mauvaise gestion intentionnelle de la part des pouvoirs publics, dans le but de les provoquer ». Refusant de qualifier de « violents » ces incidents, il souligne que « la violence n’a jamais été liée à la pauvreté ». C’est le cas de « Tripoli, une ville qui a toujours été pacifique, même aux pires moments » de son histoire. « Les gens pauvres sont généralement pacifiques, insiste-t-il. Ce sont les profiteurs et les groupes affiliés aux zaïms, milices et partis qui ont recours à la violence, parce qu’ils jouissent de leur protection. Par contre, la pauvreté extrême entraîne souvent une augmentation du taux des vols et des bagarres. »
Pour M. Nehmé, « le pouvoir a recours au rationnement dans tous les secteurs et à tous les niveaux, ce qui se traduit par des incidents. Cela l’arrange, puisqu’il s’agit du seul moyen d’éviter que la population ne s’en prenne à lui », martèle-t-il. L’appauvrissement des gens permet en outre aux « partis et leaders traditionnels de distribuer des aides à leur base ou aux habitants de leurs régions ». « Ce n’est autre qu’un mécanisme de racolage politique », ajoute-t-il. Pour l’expert, ces incidents vont aller crescendo notamment si « le programme d’aide aux familles démunies voit le jour ». « Plus de 60 % des familles libanaises ont besoin d’une telle aide financière. Or, dans le meilleur des cas, 20 % des familles en bénéficieront, même moins », dit-il.
La solution ? « Que le pouvoir s’en aille. Il n’y a aucune chance que la moindre réforme ne soit entamée avec le pouvoir en place », conclut-il.
Le drame...
C'est insupportable de lire ça alors qu'on est au chaud chez soi. Pourquoi l'OLJ ne met-il pas en ligne une rubrique plus ou moins fixe recensant les différentes assoces, ONG ou autres qui distribuent des aides, en précisant, pour chacune, sa spécialité? Nous pourrions de la sorte envoyer de l'argent en ciblant, suivant les régions aidées et la spécialité de chacune: aides alimentaires, aides scolaires, etc. Par exemple, pourquoi laisser au Hezbollah le monopole de l'aide aux Sudistes? Il y a certainement beaucoup d'ONG honnêtes et font leur job correctement à part Beit el-Baraké et les ONG qui ont collecté de l'argent pour le Liban après le 4 août: UNICEF, Ordre de Malte, Croix-Rouge française...
18 h 08, le 15 avril 2021