En s’abstenant de signer hier l’amendement du décret 6433/2011 déterminant les coordonnées de la zone économique exclusive (ZEE) libanaise en Méditerranée et en renvoyant la patate chaude au Premier ministre sortant Hassane Diab, le président Michel Aoun a ouvert grande la porte devant les spéculations politiques. Et pour cause : il est lui-même l’initiateur de cet amendement, supposé faire gagner au Liban 1 430 kilomètres supplémentaires en mer, dans la perspective des prospections pétrolières offshore et qu’il souhaite faire consigner auprès des Nations unies avant qu’Israël ne commence à extraire le gaz offshore très prochainement.
Le texte avait été signé lundi par les deux ministres sortants de la Défense, Zeina Akar, et des Travaux publics, Michel Najjar, après une longue période de flottement et de tiraillements politiques. Michel Najjar avait en effet formulé de fortes réserves sur la procédure, estimant qu’un document d’une telle importance devait être voté en Conseil des ministres et ne voulant pas assumer la responsabilité d’une décision qui engage le sort du pays. Ces tiraillements avaient été associés à une polémique sur le point de savoir s’il appartient aux deux ministres des Travaux et de la Défense ou au Premier ministre et au chef de la diplomatie de signer le décret. Le département de législation et des consultations auprès du ministère de la Justice devait trancher en faveur des deux premiers. Le document a été ensuite envoyé par la présidence du Conseil au chef de l’État pour « approbation exceptionnelle », le gouvernement d’expédition des affaires courantes ne pouvant pas se réunir pour l’entériner, selon Hassane Diab.
Baabda a cependant créé la surprise en refusant de le parapher, estimant dans un communiqué, « sur base d’un avis du département de la législation et des consultations, qu’il appartient au gouvernement, même d’expédition des affaires courantes, de l’approuver en raison de son importance et des conséquences qu’il pourrait avoir ». La présidence s’est basée pour cela sur le texte du décret qui stipule qu’il doit être approuvé par le gouvernement. « Le président de la République détermine la procédure la plus favorable pour protéger la nation », précise le communiqué, qui cite les articles de la Constitution concernant ses propres prérogatives et celles du cabinet.
Technique et politique imbriquées
Il s’agit là d’un nouveau rebondissement qui complique davantage ce dossier. Le Liban officiel a encore une fois réussi le tour de force de plonger une affaire déterminante pour l’avenir du pays dans les méandres de la politique politicienne. Le technique et le politique ont fini par s’imbriquer dans le dossier des pourparlers indirects avec Israël sur la frontière maritime sud. Celui-ci avait pourtant bien démarré en octobre dernier, avec la tenue de quatre rounds de pourparlers à Naqoura, sous l’égide des Nations unies, avant de se compliquer quelques semaines plus tard suite à de nouvelles revendications libanaises dont l’effet direct a été la suspension des discussions.
Si personne ne conteste le bien-fondé des revendications libanaises, la question est de savoir pourquoi l’affaire de l’erreur topographique – qui a poussé le Liban à réclamer les 1 430 km supplémentaires – n’a pas été soulevée durant les pourparlers de Naqoura, puisque l’accord-cadre des négociations auquel Beyrouth et Tel-Aviv ont souscrit sous l’égide des États-Unis ne fait pas mention de superficies ou de frontières, relève-t-on de sources proches des négociateurs. Il était possible de parvenir à un compromis à la faveur des négociations, estime-t-on de mêmes sources. Dans ce contexte, d’aucuns prêtent au chef de l’État une double intention : celle de chercher à inscrire à son actif une réalisation de taille en obtenant la correction d’une erreur topographique remontant à 2011, alors que son mandat touche à sa fin sur un constat d’échec non négligeable. Et celle d’essayer dans le même temps de mettre à profit ce dossier pour marquer des points au niveau politique.
En refusant de signer le décret, Michel Aoun ferait donc d’une pierre deux coups : pousser Hassane Diab à réunir le gouvernement, ce qui va dans le sens d’un renflouement qu’il souhaite pour le cabinet démissionnaire, et reprendre l’initiative au niveau des négociations avec les Américains grâce à la carte des pourparlers avec Israël. Sur le premier point, il a très peu de chances d’obtenir gain de cause, estime-t-on de sources proches du Premier ministre sortant, en relevant que ce dernier est inébranlable sur la question.
Restent les négociations avec les Américains. L’affaire du décret est intervenue à la veille des entretiens que le sous-secrétaire d’État américain pour les Affaires politiques David Hale, arrivé en soirée à Beyrouth, doit entamer aujourd’hui avec les responsables libanais, afin de les presser de former un gouvernement capable de lancer les réformes exigées par la communauté internationale. Les pourparlers autour de la frontière maritime et les nouvelles exigences libanaises seront tout naturellement au menu des discussions, d’autant que Washington, tout comme Israël, avait exprimé son opposition à ce qu’ils avaient appelé « la surenchère » libanaise.
Une surenchère à laquelle le président de la Chambre Nabih Berry, qui avait œuvré avec les Américains pour l’établissement de l’accord-cadre, est également hostile. Nabih Berry craint que les nouvelles exigences libanaises ne compromettent cet accord, surtout que les Israéliens ont menacé d’étendre « unilatéralement » leur ZEE jusqu’au sud de Saïda. Il redoute que le Liban ne puisse réaliser aucun gain, surtout si le décret est envoyé aux Nations unies.
Selon les mêmes sources, en refusant de signer le décret, le chef de l’État garde la porte ouverte à des négociations qu’il mènerait avec les Américains, avec pour finalité un allégement des pressions économiques sur le Liban et une levée des sanctions que Washington avait imposées à son gendre, le chef du CPL Gebran Bassil. Dans les milieux proches de la présidence de la République, on rejette cependant cette lecture et on insiste sur la volonté du chef de l’État de préserver les droits du Liban tout en respectant les règles constitutionnelles.
commentaires (5)
Boone nouvelle... Que le gaz reste en sous-sol. il reviendra, s' il est toujours là , aux generations futures, meilleures gestionnaires du bien public, on ose l' esperer..! Sinon, il viendra apurer le pillage organise de la classe politique actuelle, er absoudre leurs crimes !
LeRougeEtLeNoir
15 h 32, le 14 avril 2021