Le Liban serait en position de faiblesse dans les négociations techniques indirectes qu’il mène avec son voisin israélien sur le tracé disputé de leur frontière maritime commune. Et cette position est décriée par l’équipe de négociateurs dirigée par le général Bassam Yassine, qui réclament davantage de fermeté de la part de l’État libanais face à Israël. Une fermeté qui leur permettrait de négocier sur base d’une plus grande superficie que celle revendiquée par le Liban en 2011, parce que la carte enregistrée par le Liban auprès des Nations unies en 2011 est erronée, disent-ils.Et sans un amendement par les autorités libanaises du décret présidentiel 6433 émis le 1er octobre 2011, le pays du Cèdre n’a selon eux aucune chance de peser dans la balance des négociations avec l’État hébreu. Ce décret, cosigné par le président de l’époque Michel Sleiman, le Premier ministre Nagib Mikati et le ministre des Travaux et des Transports Ghazi Zeaïter, notifiait un certain tracé auprès de l’ONU. Les négociateurs réclament d’y ajouter un droit supplémentaire sur 1 430 km2 de plus dans le tracé de la frontière maritime sud, sur base des conclusions du rapport de l’Office hydrographique britannique (UKHO).
C’est le message qu’a lancé hier à travers l’Institut Issam Farès de l’AUB, lors d’un webinaire, la délégation libanaise officielle chargée des discussions, constituée du général Bassam Yassine, du colonel Mazen Basbous et des experts Nagib Massihi et Wissam Edmond Chbat, alors que les négociations sont interrompues depuis le mois de décembre, suite à un différend sur la superficie à considérer, après quatre rounds entamés en octobre 2020. Un message multiple adressé non seulement à la classe politique locale et au parrain américain, mais aussi à l’opinion publique qu’elle estime nécessaire de sensibiliser à la question, « face à une information contraire et à celle de l’ennemi israélien », car « l’arme la plus importante des négociations, c’est bien le soutien populaire ». À la classe politique locale, c’est un tonitruant « Amendez le décret 6433, faute de quoi vous serez considérés comme des collaborateurs ! » qu’a lancé le général Yassine, accusant sans les nommer les parties politiques qui refusent de faire le pas. « L’intérêt stratégique du Liban en dépend », a-t-il aussi martelé. Pour ce faire, la commission affirme se baser sur des considérations techniques et légales. « Si vous voulez des négociations techniques et légales, écoutez-nous. Mais si vous partez de considérations politiques, c’est à vous de les mener », a-t-il ajouté. À l’administration américaine, qui joue le rôle de modérateur, le chef de la délégation a demandé « davantage d’équité », car « une solution équitable entre le Liban et Israël serait une situation gagnant-gagnant pour les deux parties ».
La position légale et technique au cœur d’une communication
En initiant, hier, une campagne de communication tous azimuts, modérée par le chercheur Marc Ayoub, l’équipe libanaise de négociateurs a décidé de passer à la vitesse supérieure. Non seulement « en réponse au ministre israélien de l’Énergie, Yuval Steinitz », qui a accusé le Liban, en novembre 2020, d’avoir changé de position sept fois, et d’adopter des positions contradictoires selon qu’il s’agisse de ses frontières avec Israël ou la Syrie. Mais surtout, « pour faire entendre clairement la position libanaise légale et technique, avec pour objectif de défendre les droits du peuple libanais ». L’initiative fait suite à la pétition lancée début mars par un certain nombre de juristes libanais sous l’égide de l’historien Issam Khalifé, avec pour objectif de lancer des poursuites contre les responsables libanais pour haute trahison, s’ils ne modifient pas le décret mis en cause.
Mieux connaître le dossier, c’est aussi reconnaître les erreurs du Liban. D’abord « l’erreur » commise en 2007, lorsque les autorités ont déterminé un point supposé équidistant entre le Liban, Chypre et Israël, dans le cadre d’une convention préliminaire destinée à délimiter la frontière maritime commune entre Chypre et le Liban. « Ce point n’était pas assez au sud. Mais à l’époque, il était difficile de le déterminer », note le colonel Basbous. Ensuite cette information adressée à l’ONU en 2010, déterminant les frontières maritimes de la zone économique exclusive libanaise, sous le nom de ligne 23. « Un tracé primaire, sans données légales et techniques disponibles, qu’il est toutefois possible d’amender en cas de données plus claires », commente-t-il. Deux erreurs que le voisin hébreu « exploite en 2011 », « s’arrogeant un droit sur 860 km2, délimités par le tracé imaginaire 31 ». « Ces eaux dont on dit qu’elles sont controversées sont un droit pour le Liban », insiste Mazen Basbous. Le pays du Cèdre avait pourtant reçu un rapport de l’UKHO, avant la promulgation du décret 6433, constatant le droit du Liban sur une superficie supplémentaire de 1430 km2. D’où la ligne 29 aujourd’hui revendiquée par l’équipe de négociateurs libanais bien plus au sud que la précédente. Mais il n’a « jamais été pris en compte » par les autorités libanaises.
Rejet catégorique des tracés 31 et 23
C’est alors qu’en 2012, un diplomate américain, Frederic Hoff, propose de répartir la zone de 860 km2 entre le Liban et Israël. Il accorde 490 km2 au Liban et 370 km2 à Israël. « Les autorités libanaises pensaient que cet accord était à l’avantage du Liban. Or c’était une flagrante injustice », souligne le colonel Basbous. D’autant que « le point de départ de la ligne se situait à trois miles au large de Ras Naqoura ». Suivront des études poussées de l’armée libanaise qui se penche sur le dossier entre 2014 et 2018. « Nos études ont confirmé celles de l’UKHO et celles de l’expert Nagib Messihi, basé à Genève ». D’où cette détermination à pousser les autorités à amender le décret pour reprendre 1430 km2. « Une initiative qui empêcherait (Israël) d’exploiter le champ gazier Karish, si précieux pour son économie », précise l’expert.
Aujourd’hui, les négociateurs locaux veulent montrer aux Israéliens et aux Américains leur « rejet catégorique des tracés 31 et 23 ». S’ils estiment que la ligne Hoff est injuste pour le Liban, ils se disent « prêts à relancer les négociations entamées en octobre dernier, en considérant exclusivement la ligne 29 qui part de Ras Naqoura et la ligne Hoff, proposée par le parrain américain ». Et pour cause, ces deux lignes partent de la pointe terrestre Ras Naqoura située à l’extrême sud du pays. Quant à la ligne 23, elle est aujourd’hui « caduque ». Alors que le tracé 31 considère le rocher Tekhelet comme point de départ, « un recours disproportionné, compte tenu que le rocher est étriqué, non habité, et quasiment immergé dans la mer ». C’est ce qu’explique Nagib Massihi, depuis Genève, se basant sur le droit international coutumier, contraignant pour tous les États. Et ce, considérant que « le Liban ne peut se rendre auprès des instances internationales pour faire valoir son droit », l’État hébreu n’étant pas partie de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (UNCLOS). Sans oublier que « le Liban ne reconnaît pas l’État d’Israël ». « Notre position est en harmonie avec le droit international, assure M. Massihi. De leur côté, les Israéliens ne respectent aucune technique de tracé des frontières. » Il ne reste plus au pouvoir libanais qu’à prendre la décision tant attendue. Une décision qui risque fort de ne pas venir, compte tenu des bisbilles politiques autour du dossier.
commentaires (10)
Les libanais se mettent sur une même table avec un autre pays qu’il dit ne pas reconnaître. Je crains qu’une fois les négociations terminées qu’elles ne soient caduques vu que c’est entre un pays reconnu qui est le Liban et autre fantôme celui là qui est Israël. Ils sont tellement ridicules dans leurs négociations sur tous les plans qu’il ne faut pas s’étonner qu’ils le soient encore plus dans ces négociations là. Ils vont les mains dans les poches discuter du plus grand accord jamais réalisé qui sauvera le pays et n’ont même pas vérifier la surface en question qu’au bout de quatre réunions ils se sont rendus compte que ça ne correspondait pas à la frontière maritime qu’ils croyaient discuter? C’est quoi ce délire?
Sissi zayyat
19 h 24, le 17 mars 2021