Paradoxalement, la dynamique diplomatique internationale et arabe engagée en faveur d’un déblocage au Liban semble pousser vers plus de durcissement au niveau des acteurs locaux, alors qu’en coulisses, les efforts conduits par le président de la Chambre Nabih Berry pour dégager une formule consensuelle autour du cabinet n’ont pas été abandonnés.
Les positions en flèche récentes des deux ministres français et égyptien des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian et Sameh Choucri, au sujet de la crise libanaise et des responsabilités à ce niveau, ont eu pour effet d’accentuer la polarisation politique, particulièrement autour des prérogatives constitutionnelles et, par voie de conséquence, de l’esprit de Taëf. Elles encouragent le Premier ministre désigné Saad Hariri à s’accrocher davantage à deux de ses principales conditions pour la mise en place d’un cabinet : pas de minorité de blocage, pas de ministres partisans ou parachutés, alors qu’en face, le camp du président de la République, qui se prévaut toujours de son droit constitutionnel d’imposer ses choix pour la formation du gouvernement, se considère victime d’une campagne de désinformation dont il attribue la responsabilité au Premier ministre désigné.
Cela a transparu dans les propos que le chef de l’État Michel Aoun a tenus hier devant le secrétaire général de la Ligue arabe, Houssam Zaki, et à travers le mécontentement aouniste qui a suivi la tournée et le discours de Sameh Choucri mercredi à Beyrouth, et dont les médias proches du Hezbollah et du CPL s’en sont faits l’écho. Parce que, en excluant le chef du CPL Gebran Bassil – surnommé par ses adversaires le président de l’ombre – du parterre de personnalités politiques avec qui il s’est entretenu et en choisissant de s’exprimer à partir de la Maison du Centre pour témoigner du ras-le-bol, et des craintes arabes et internationales face au blocage persistant au Liban, le chef de la diplomatie égyptienne a voulu envoyer un message fort aux acteurs politiques libanais. Un message qui rejoint celui que les dirigeants français n’ont pas arrêté depuis quelques semaines d’adresser aux responsables pour les presser de mettre de côté leurs intérêts personnels au profit de la formation d’un cabinet de mission porteur de projets de réformes.
La mission de Houssam Zaki à Beyrouth fait partie de cette même dynamique. Il s’agit essentiellement d’une mission de reconnaissance au cours de laquelle le diplomate arabe a entendu les explications que donne chaque partie des causes du blocage et des solutions possibles à la crise, et fait comprendre à ses interlocuteurs que la Ligue est prête à se lancer dans une mission de bons offices s’ils le souhaitent. Il n’en demeure pas moins que M. Zaki s’est surtout fait l’écho de l’exaspération arabe et internationale sur un ton qui est quand même resté beaucoup plus nuancé que celui de Sameh Choucri, quoique dans le fond il s’y assimilait. Son entretien avec Michel Aoun n’était pas très positif puisqu’en marge des échanges d’usage, le secrétaire général de la Ligue arabe a directement interpellé le chef de l’État sur le point de savoir s’il est ou non attaché à l’accord de Taëf en laissant entendre que son comportement ne montre pas qu’il est fidèle à l’esprit de ce texte qui avait mis fin à la guerre libanaise, rapporte notre correspondant politique Mounir Rabih.
Or, le respect de Taëf reste au cœur de la dynamique de la diplomatie arabe soucieuse de barrer la route à tout rebondissement ou processus qui pourrait déboucher sur un Doha 2 (en référence à l’accord de Doha de 2008) qui supplanterait l’accord de Taëf avec tous les risques que cela comporte, selon notre chroniqueur politique Philippe Abi-Akl.
Des considérations étroites
Selon les informations de Baabda, M. Aoun « a exposé à son hôte les obstacles empêchant la formation d’un cabinet, réaffirmant l’engagement du Liban à appliquer Taëf dont est issue la Constitution qui devrait être respectée par tous, notamment pour ce qui a trait à l’établissement, à l’action et à la dissolution des autorités constitutionnelles ». Le chef de l’État a en outre désigné comme étant « infondés les propos suggérant que Taëf est menacé et qui sont relayés par des parties connues, concernées par la mise en place du gouvernement », en allusion à Saad Hariri à qui il a reproché de ne pas tenir compte des dispositions de la Constitution relatives à la formation du gouvernement. Un peu plus tard, la présidence de la République devait tweeter ces mêmes propos du chef de l’État, relayés par la suite par Houssam Zaki dans ses déclarations à la presse à Baabda. Ce dernier, qui a presque tenu le même discours après ses entretiens avec le président de la Chambre Nabih Berry, le Premier ministre sortant Hassane Diab et Saad Hariri, a insisté sur le fait que « la crise économique qui accable le Liban ne peut pas être réglée sans une issue préalable à la crise politique ».
Tout en rappelant que la politique de la Ligue arabe « s’aligne sur celle de la France », il a insisté sur « la priorité que représentent les responsabilités nationales et non pas les considérations étroites ». « Ce sont elles qui doivent prévaloir pour qu’on puisse aider l’État et le peuple libanais », a-t-il averti, avant de mettre l’accent sur la sortie de crise que représente l’initiative Berry. Celle-ci consiste à mettre en place un gouvernement de 24 ministres sans minorité de blocage. Favorable au départ à un cabinet de 18, Saad Hariri a fini par accepter cette formule qui bute toujours sur l’insistance du camp présidentiel à nommer les ministres chrétiens.
Celui-ci n’est toujours pas près de lâcher prise, bien qu’il se retrouve de plus en plus isolé et pointé du doigt dans le blocage gouvernemental. Engagé dans une épreuve de force déterminante pour son avenir politique, le chef du CPL Gebran Bassil ne veut pas laisser Saad Hariri remporter la bataille, en dépit de la pression colossale exercée sur lui, aussi bien au niveau international que local. Or, il se retrouve aujourd’hui complètement isolé dans cette bataille, avec pour seule arme le blocage, d’autant qu’il ne peut même pas compter sur son allié chiite, le Hezbollah, pour arracher à Saad Hariri une formule qui lui permettrait d’avoir le tiers de blocage au sein de la nouvelle équipe ministérielle. Selon notre chroniqueur politique Philippe Abi-Akl, le député de Batroun a eu une discussion houleuse sur ce point précis avec Wafic Safa, chef de la section de coordination et de liaison du Hezbollah, durant une réunion que les deux hommes ont tenue récemment, d’autant que le parti chiite reste intraitable sur la question : non à une minorité de blocage détenue par un seul parti. Il reste cependant prêt à soutenir M. Bassil dans toutes les batailles qu’il engagerait sur certains dossiers, ce qui reste trop peu pour le chef du CPL qui redoute qu’un cabinet dirigé par Saad Hariri ne soit amené à gouverner au cas où, pour une raison quelconque, le chef de l’État serait dans l’incapacité d’assumer ses fonctions avant la fin de son mandat.
Dans le communiqué qu’il a fait paraître au terme de sa réunion par visioconférence hier, le groupe parlementaire du Hezbollah a indirectement sermonné M. Bassil en réaffirmant que « personne ne pourra contrôler les décisions du gouvernement ». « Personne ne devrait se faire d’illusions et croire qu’il pourrait mener le pays là où il le désire. Et personne ne pourra établir des équations qui lui permettraient de contrôler les décisions du prochain gouvernement », a souligné le groupe qui a par ailleurs plaidé pour « une approche réaliste » de la question gouvernementale, « de façon à définir correctement les poids politiques ». Une pique adressée cette fois au Premier ministre désigné.
Les positions en flèche récentes...
commentaires (3)
24 ministres ok sans rémunération .....
Eleni Caridopoulou
17 h 30, le 09 avril 2021