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Lifestyle - Patrimoine

La Beirut Heritage Initiative tire la sonnette d’alarme : La mémoire de Beyrouth est en jeu

Huit mois après la double explosion au port, la reconstruction se voit ralentie faute de dons et de prêts internationaux suffisants.

La Beirut Heritage Initiative tire la sonnette d’alarme : La mémoire de Beyrouth est en jeu

La Beirut Heritage Initiative travaille en faveur de la restauration du patrimoine culturel et bâti de Beyrouth. Photo DR

Préserver le patrimoine libanais est essentiel, il en va de considérations historiques autant qu’esthétiques. On ne peut pas vivre dans un pays où l’on élimine toute trace du passé. Huit mois après le drame du port le 4 août 2020, quelque 600 bâtiments historiques datant de l’époque ottomane ou bâtis entre 1930 et 1970 restent inhabitables, ayant subi des destructions et des dommages très sévères. Leurs anciens occupants désespèrent d’y retourner un jour. Deux architectes, Joy Kanaan et Abdul-Halim Jabr, membres du comité de la Beirut Heritage Initiative (BHI), qui regroupe des spécialistes à même de déterminer l’intérêt historique des bâtiments, expliquent à L’Orient-le Jour la situation actuelle. « Les biens immobiliers qui revêtent une importance architecturale et culturelle n’ont pas bénéficié d’aides financières pour être restaurés », précise Abdul-Halim Jabr. « On peine à trouver des fonds pour financer les réparations. Les dégâts sont très lourds, et souvent, les occupants de ces bâtiments sont des ménages à faibles revenus. De plus, les matériaux de construction étant en grande partie importés, la facture est très salée pour eux, alors ils attendent de voir quels financements extérieurs pourraient être disponibles. Mais tant que le Liban n’a pas mis en œuvre une série de réformes pour pouvoir bénéficier de l’aide internationale, ces bâtisses seront les otages de la double crise économique et politique », ajoute-t-il. De ce fait, il serait très facile de laisser ces habitats se dégrader afin d’user de ce prétexte pour les démolir. Jabr rappelle que « la diaspora libanaise s’était vite mobilisée au début de la tragédie pour venir en aide aux familles sinistrées, avec la priorité de reloger les habitants des quartiers vivant dans l’épicentre de la double explosion. Huit mois plus tard, on se retrouve dans une seconde phase qui consiste à réparer et sauver les bâtiments patrimoniaux gravement affectés. Mais vu les conditions politiques du pays et son économie à terre, la diaspora hésite à verser des dons pour la reconstruction », précise Abdul-Halim Jabr.

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Aujourd’hui, la BHI tente de faire appel aux associations et donateurs internationaux pour secourir ce qui reste de l’étoffe patrimoniale beyrouthine. Des efforts qui s’annoncent laborieux et longs, l’aide financière restant trop lente à arriver. Toutes les donations accordées à cette initiative passent par un audit du cabinet Ernst&Young par souci de transparence. Les comptes sont ainsi vérifiés et audités selon les normes internationales. Le volet financier de la BHI est géré par Youmna Ziadé Karam qui représente la Fondation nationale pour le patrimoine. L’impact de chaque donation est maximisé, et s’accompagne d’une stratégie de maîtrise des coûts et d’optimisation des ressources.

La Maison bleue, ou Medawar 479, avant la double explosion du port. Photo Dia Mrad

Un champ miné

Quant aux donations privées, « elles sont directement versées aux ONG qui disposent chacune de leur programme d’intervention. La priorité est donnée à la réparation des petites unités, à la pose des vitres et des portes pour permettre de reloger les personnes démunies et les plus vulnérables », indique l’architecte. Ainsi, dans les zones de Rmeil, Marfa’, Medawar et Mar Mikhaël où, selon les statistiques, 24 667 logements abritaient quelque 100 000 personnes, « les travaux prioritaires étaient destinés à la restauration des petits logements afin de rendre leur maison aux habitants sinistrés », souligne encore Abdul-Halim Jabr, qui ajoute que du côté de la Quarantaine, l’association Offre-Joie a fait des réparations respectueuses des normes. Le défi de la restauration des bâtiments anciens est une question d’argent. « La conservation de ce legs sera un parcours miné d’embûches, car toute cette opération est aujourd’hui tributaire des ONG », relève l’architecte, soulignant que la BHI ne cherche pas à rivaliser avec les uns et les autres. « Notre motivation est de sauver le patrimoine et d’empêcher qu’il soit dénaturé », affirme-t-il. Comme ce fut le cas, par exemple, avec la pose de fenêtres en aluminium sur un vieux bâtiment situé rue Pharaon.

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« La démarche est délicate et nécessite l’intervention de spécialistes dans ce domaine », renchérit sa consœur, l’architecte Joy Kanaan. « La restauration des vieux bâtiments doit à la fois répondre aux critères de mise aux normes, et s’entendre dans le respect de la conservation du patrimoine et de la cohérence de l’immeuble. Aussi, plus les collaborations sont nombreuses, plus on avance dans le travail. » Elle tient à préciser que la BHI a établi un partenariat avec plusieurs organisations, dont Together Li Beirut, une initiative lancée pour revitaliser les quartiers sinistrés en restaurant les logements et les commerces ; Beb w shebbek, née à la suite de la tragédie du port dans le but de remplacer les portes et les fenêtres des maisons détruites, ou encore Live Love Beirut, dont les volontaires sont engagés, entre autres, à aider les personnes dans le besoin par des actions concrètes. La Beirut Heritage Initiative collabore aussi avec les restaurateurs du BBHR (Beirut Built Heritage Rescue), un groupe de professionnels formé pour assister la Direction générale des antiquités dans le recensement des dégâts et dans l’action urgente afin de consolider les bâtiments à valeur patrimoniale.

La Maison bleue, ou Medawar 479, après la double explosion du port. Photo Dia Mrad

Des alliances pour unifier les actions

Dans une première phase d’urgence et grâce à l’importante subvention débloquée par Aliph (Alliance internationale pour la protection du patrimoine), la « BHI a bâché et étayé 12 immeubles. Il fallait absolument éviter des infiltrations d’eau avant l’arrivée des pluies qui causeraient encore plus de dégâts », explique Joy Kanaan. La seconde phase a été consacrée à la consolidation des structures, à retaper des façades et des fenêtres. Elle relève que ce travail est entamé avec Together Li Beirut sur un groupe de bâtiments situés dans le Gholam Cluster à Mar Mikhaël. L’architecte signale également que la BHI entreprendra la restauration complète du bâtiment Rmeil 722 où la déflagration a provoqué de très lourds dégâts. La charpente du toit sera remise en état. Façades, balcons, portes, fenêtres à triples arcades et plafond en bois baghdadi seront restaurés. De même, l’enduit intérieur à la chaux sera appliqué, suivi de la peinture. En parallèle, Together Li Beirut interviendra sur trois bâtiments riverains qui seront restaurés. Avec le support des ministères français de la Culture et de la Transition écologique, « les escaliers Gholam seront mis en valeur et leur espace végétalisé », ajoute Joy Kanaan. Cette voie piétonne, qui se décline en une volée de 73 marches, est empruntée depuis un siècle par des générations de Beyrouthins. Elle a été construite à l’emplacement d’un sentier sablonneux, le long de la source d’eau al-Sabil, qui existait dans le passé. Elle relie la rue d’Arménie (rue principale de Mar Mikhaël) à la rue Salah Labaki. Ces escaliers ont pris officiellement le nom de Gholam, en référence à la famille du notaire Antoine Gholam. Son fils Béchara précise que les autorités mandataires les ont édifiés dans les années 1920.

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Prochain projet de la BHI, la restauration du Shoreline Cluster autour des travaux de réparation de la Maison bleue (ou Medawar 479) qui seront financés par la Fondation Honor Frost, du nom d’une archéologue écossaise pionnière de l’archéologie sous-marine dans le bassin méditerranéen. « C’est un grand projet, vu l’ampleur des dégâts de la structure et de la façade. Même l’intérieur a été ravagé », souligne Joy Kanaan. Le cluster devrait aussi intégrer le café Emm Nazih, dont un des deux bâtiments, un édifice vieux de 150 ans, s’est partiellement effondré pendant les intempéries hivernales et menace toujours de s’écrouler. Située juste en face du port, l’enseigne créée en 2012 a été fortement touchée le 4 août, avec huit personnes blessées parmi ses employés et sa clientèle, et subi d’importants dégâts matériels. Estimés à 200 000 dollars, les travaux de restauration du site ont jusqu’à présent effrayé la plupart des ONG, qui ont préféré se concentrer sur la restauration d’enseignes aux dimensions plus modestes. Reconstruire encore et toujours. Tel semble être le défi permanent du Liban.

La Maison bleue, ou Medawar 479, en février 2021. Photo Dia Mrad


Un collectif indépendant

C’est dans l’urgence qu’une action concertée a été lancée et organisée par la Beirut Heritage Initiative (BHI), un collectif indépendant et inclusif en faveur de la restauration du patrimoine bâti et culturel de Beyrouth, créé à la suite de la double explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020. L’objectif est de fédérer les compétences de tous au sein d’une action unifiée, performante et transparente. Son comité fondateur est composé de Rony Araygi, Fadlallah Dagher, Abdul-Halim Jabr, Joy Kanaan, Lynn Tehini Kassatly et Youmna Ziadé Karam. Beirut Heritage Initiative regroupe des professionnels, dont l’ordre des ingénieurs et architectes de Beyrouth, l’ordre des avocats de Beyrouth ainsi que des ONG spécialisées dans le patrimoine culturel : Beirut Built Heritage Rescue (BBHR2020), la Fondation nationale du patrimoine (FNP), Arab Center for Architecture (ACA), International Council on Monuments and Sites (Icomos), International Council of Museums (ICOM), UN Blue Shield, Save Beirut Heritage (SBH), Live Love Beirut, Arc-en-ciel et Beb w shebbek.

Préserver le patrimoine libanais est essentiel, il en va de considérations historiques autant qu’esthétiques. On ne peut pas vivre dans un pays où l’on élimine toute trace du passé. Huit mois après le drame du port le 4 août 2020, quelque 600 bâtiments historiques datant de l’époque ottomane ou bâtis entre 1930 et 1970 restent inhabitables, ayant subi des destructions et des...

commentaires (2)

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Eleni Caridopoulou

17 h 51, le 06 avril 2021

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Commentaires (2)

  • ????????????????????

    Eleni Caridopoulou

    17 h 51, le 06 avril 2021

  • on ne sait plus par ou commencer! ya haram

    Jack Gardner

    11 h 09, le 06 avril 2021

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