Les explosions du 4 août 2020 ont provoqué l’émoi de la communauté internationale et donné l’occasion à celle-ci de manifester une nouvelle fois son soutien à un pays déjà meurtri par de multiples crises. En décembre dernier, l’ONU, l’Union européenne et la Banque mondiale ont ainsi adopté le cadre de réforme, de relèvement et de reconstruction (dit plan 3RF) qui introduit un nouveau système de conditionnalité et de mécanismes institutionnels pour régir le versement de l’aide internationale et la supervision de la mise en œuvre des réformes requises.
Bien que le plan 3RF soit limité dans le temps (2 ans) et dans son champ d’intervention (la réponse aux conséquences de l’explosion du port de Beyrouth), il est considéré comme un modèle pouvant être déployé plus largement, notamment s’agissant du traitement des profondes crises – économique et financière, sociale, politique et sanitaire – auxquelles fait simultanément face le Liban. Au risque de renforcer une très grande dépendance du pays à l’égard de la communauté internationale et de servir à nouveau de palliatif à l’inaction d’une élite politico-confessionnelle défaillante. En utilisant le plan 3RF comme instrument de négociation pour contraindre cette dernière à l’adoption de réformes structurelles jugées indispensables, la communauté internationale parviendra-t-elle à éviter une reproduction de ses échecs passés ?
Échecs
La conditionnalité de l’aide internationale est loin d’être une idée neuve et son efficacité s’est jusque-là heurtée à la nature clientéliste du système politico-confessionnel libanais. Ce système reposant avant tout sur l’allocation des ressources publiques par le biais de mécanismes de distribution au sein des institutions officielles – comme les recrutements au sein de la fonction publique par exemple –, il impliquait un financement croissant via un endettement continu de l’État – essentiellement en devises étrangères. Il reposait donc sur une condition fondamentale : un afflux continu et potentiellement illimité de capitaux étrangers dans le pays. D’où le rôle majeur du secteur financier libanais dans ce processus et la mise en place, il y a quelques années par la Banque centrale, d’un « schéma de Ponzi » capable de continuer à attirer les épargnants étrangers dans une conjoncture défavorable en échange de taux d’intérêt exorbitants.
Précédemment, à chaque fois que cette hypothèse d’un afflux infini de capitaux a été remise en cause en raison de défaillances macroéconomiques ou de la conjoncture, le système a bénéficié d’une bouée de sauvetage à travers une multitude de conférences internationales de donateurs – Paris I (2001), Paris II (2002) et Paris III (2007) – donnant lieu au déboursement de milliards de dollars en échange de promesses de réformes demeurées pour la plupart lettre morte : moins d’un quart des promesses faites par le gouvernement libanais lors de la conférence de Paris III ont ainsi été mises en œuvre, tandis que plus de la moitié de l’aide promise a été effectivement déboursée. La leçon semble toutefois avoir été retenue depuis, dans la mesure où l’absence totale d’exécution des réformes auxquelles le Liban s’était engagé lors de la conférence CEDRE de 2018 s’est cette fois traduite par le non-déblocage des 11 milliards de dollars promis.
Le Liban étant aujourd’hui en défaut de paiement, les mécanismes traditionnels d’allocation clientéliste des ressources publiques par les canaux institutionnels sont désormais paralysés, obligeant les partis politiques à utiliser des canaux informels et moins efficaces : pour schématiser, l’offre de colis alimentaires et de combustible pour le chauffage a été substituée à l’offre d’emplois et de permis de construire… Dans ce contexte, l’aide internationale est considérée par la classe politique comme une nouvelle opportunité pour se renflouer et récupérer certaines de leurs structures clientélistes essentielles.
Le nouveau prêt de 246 millions de dollars de la Banque mondiale destiné à financer la création d’un filet de protection sociale d’urgence (baptisé ESSN en anglais), actuellement en examen au Parlement, symbolise par exemple le risque d’un nouvel échec de l’aide internationale en matière de réformes du système. Dépourvu de toute contrepartie en matière de réformes structurelles par le gouvernement, ce programme de ciblage de la pauvreté pourrait ainsi être utilisé comme un outil pour racheter le soutien des familles vulnérables dans les circonscriptions des différents partis traditionnels. À cet égard, le fait que le gouvernement libanais ait pu obtenir que les fonds en dollars soient déposés à la Banque centrale – dont le gouverneur, Riad Salamé, fait actuellement l’objet d’une enquête en Suisse pour blanchiment d’argent aggravé – et reversé en livres aux bénéficiaires (à un taux de 6 240 LL/USD, soit une décote de plus de 30 % par rapport au marché noir) constitue un signal assez alarmant.
Nouvelle approche
Certes, le nouveau modèle institutionnel du plan 3RF renforce le rôle des organisations de la société civile, qui seront sélectionnées pour former un organe de contrôle indépendant et représentées dans le groupe consultatif. Elles doivent ainsi jouer un rôle de surveillance, en veillant à la bonne mise en œuvre du programme. Il est toutefois peu probable que cela permette d’atteindre le résultat escompté. Si la société civile et les ONG libanaises sont souvent louées pour leur dynamisme, dont témoigne notamment leur expansion constante – en miroir de la faiblesse des institutions étatiques– dans les activités relatives au développement, elles souffrent d’une forte fragmentation – qui entrave leur impact politique – ainsi que d’une forte dépendance vis-à-vis des donateurs – compromettant leur capacité à contester les orientations prises par ces derniers.
Pour s’assurer que son aide se traduise concrètement par l’adoption des réformes exigées, la communauté internationale devrait changer plus radicalement son approche. D’abord, en tirant pleinement parti du levier politique dont elle dispose actuellement pour promouvoir un processus décisionnel aussi participatif que possible et prendre en compte les opinions non seulement des organisations de la société civile, mais aussi des groupes politiques émergents. En outre, elle devrait utiliser son influence pour donner la priorité à la mise en œuvre de réformes qui contribuent à réintégrer la population dans le giron étatique (via la garantie de l’indépendance judiciaire ou la fourniture universelle de services de base) et l’éloigner des structures politico-confessionnelles. Par ailleurs, cela implique également, du côté des organisations de la société civile, du secteur privé et des groupes politiques émergents, de faire un véritable effort de coordination politique pour défendre une cause commune : l’adoption d’un programme de refonte économique, politique et sociale au Liban – établi indépendamment de l’agenda des donateurs. Pour une fois, ce front commun devrait dépasser le simple rôle de lanceur d’alerte ou de chien de garde et se constituer en véritable acteur politique.
Ce texte est une adaptation synthétique d’un article publié en anglais sur le blog du Middle East Directions Programme de l’Institut universitaire européen (Florence).
Par Sami ZOUGHAIB
Économiste
En bref donc toute aide internationale au Liban pour sortir de la spirale de l’échec consiste à changer nos actuels responsables qui doivent comparaitre devant une Justice internationale . Est-ce possible ?
20 h 02, le 10 mars 2021