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Société - Rapport

Les silos du port de Beyrouth pourraient s’effondrer

Devenus le symbole tragique de l’explosion du 4 août, une partie des silos à grains, qui risque de s’effondrer, devrait être démolie, selon une mission d’expertise menée par un ingénieur français.

Les silos du port de Beyrouth pourraient s’effondrer

L’ingénieur suisse Emmanuel Durand scannant au laser les silos de Beyrouth endommagés par l’explosion du 4 août 2020. Photo Dia Mrad

Dans un rapport qu’il vient de remettre aux autorités libanaises et que L’Orient-Le Jour a pu consulter, Emmanuel Durand, ingénieur français basé à Genève, recommande la démolition partielle des silos du port de Beyrouth avant qu’ils ne s’effondrent. La structure a été très impactée par la double déflagration du 4 août qui a coûté la vie à plus de 200 personnes et ravagé des quartiers de la capitale libanaise. L’expert a rendu ses conclusions à l’équipe Beirut Port Silos, une cellule de crise composée d’ingénieurs, de professionnels de l’environnement, d’universitaires et d’experts créée à l’initiative du ministre de l’Économie Raoul Nehmé. D’après ses dernières mesures, la partie nord a été lourdement endommagée à sa base et risque de bientôt s’effondrer.

Emmanuel Durand est un spécialiste de la construction des silos. Sa société de consulting Amann Engineering livre des expertises à des industriels du monde entier. Il est venu volontairement à Beyrouth au mois d’août, juste après l’explosion. « C’était comme un appel », dit-il à L’OLJ. Sa mission volontaire a consisté au départ à aider et à former un groupe d’étudiants de l’Université Saint-Joseph dans leur travail de relevés et mesures au niveau des bâtiments de la capitale, pour sauver notamment le patrimoine architectural. Pour cela, il dispose d’une technique de terrain qui capte des données avec une précision sans égal : un scanner laser trois dimensions qui mesure les distances, la température, surveille les mouvements et prend des images 3D et infrarouges. L’appareil permet aussi d’afficher des images de l’intérieur d’une structure sans avoir à y entrer, ce qui protège les intervenants de tout danger.

Scans graphiques et thermiques effectués par Amann Engineering sur les silos de Beyrouth.


À l’issue de cette mission avec les étudiants libanais, les autorités proposent à l’ingénieur de mettre ses compétences au service du groupe silos dédié à l’immense structure qui contenait, il y a encore quelques mois, tous les grains qui alimentaient le pays. « En septembre, j’ai fait le premier relevé au laser pour déterminer l’état géométrique du silo et les résultats ont révélé une inclinaison conforme au sens de l’explosion. » Il lui semble impossible que les silos aient pu être conçus de la sorte tant le bâtiment a été construit à la perfection par une compagnie tchèque qui avait remporté un appel d’offres à la fin des années 70. « On ne construit pas un tube parfaitement cylindrique et penché. C’est impossible. »

La partie nord doit être démolie

Contrairement aux apparences, le bâtiment n’est pas un monolithe. Les silos de Beyrouth sont constitués de deux blocs complètement indépendants au niveau de la structure. Ils sont composés de 48 cylindres hauts de 48 mètres conçus pour contenir au total 120 000 tonnes de grain. La partie sud est située côté ville et la partie nord, qui a le plus souffert, côté mer. C’est sur ce bloc que l’ingénieur a constaté l’inclinaison qui lui a mis la puce à l’oreille.

Emmanuel Durand revient alors au Liban fin novembre, soit deux mois après ses premières mesures. Cette fois, les résultats montrent que les silos n’ont pas bougé. La géométrie est stable, mais les mesures thermiques dans le cœur du bâtiment alertent quant à un risque imminent d’incendie. Les grains à l’intérieur ont fermenté en raison de leur exposition à l’eau de pluie. « Ça ne faisait que monter en température, ma dernière mesure affichait 70 degrés et à 100, ça prend feu. 10 000 tonnes qui prennent feu, vous imaginez ? » D’après les calculs de l’ingénieur, l’incendie aurait pu se déclarer entre Noël et le Nouvel An.

C’est grâce à ces mesures thermiques, suivies d’un transfert d’une grande masse de grains vers d’autres zones, que le drame a été évité.

Scans graphiques et thermiques effectués par Amann Engineering sur les silos de Beyrouth.

Fin mars, l’ingénieur français est de retour à Beyrouth. Cette fois, les mesures ne sont pas rassurantes. Si le bloc sud n’a toujours pas bougé, le bloc nord, lui, s’est incliné de 25 cm en hauteur. « C’est beaucoup pour un silo. La marge tolérée est de 10 cm maximum normalement. Cela veut dire qu’il bascule. » Mais il n’y a pas que le haut qui présente des déformations. Emmanuel Durand constate aussi que les pieds ne sont plus alignés et les mesures prises par le scan laser confirment les doutes qu’il avait déjà eus en septembre, à savoir que les pieux qui soutiennent le bâtiment en sous-sol sont endommagés. Les silos sont en effet posés sur une forêt de pieux comme des crayons hauts de 16 mètres. Cette base n’a pas résisté non plus à l’explosion. « J’avais déjà alerté le groupe que le terrain ne pouvait pas avoir échappé à l’impact de la déflagration. Regardez le cratère qu’a fait le blast, il est à seulement 20 mètres des silos. Les pieux ont été fracassés. »

L’inclinaison du bloc est en effet inquiétante et son aggravation est due à la saison des pluies. Les dernières mesures prises par l’ingénieur ont montré qu’il avait penché de 250 mm en 120 jours, soit près de 2 mm par jour. « À titre de comparaison, avant d’être stabilisée, la tour de Pise en Italie penchait de 5 mm par an, là les cylindres s’inclinent de 2 mm par jour, vous imaginez ? » Dans les conclusions qu’il a rendues au groupe de travail, Emmanuel Durand préconise la démolition de la partie nord de la structure car son effondrement semble inévitable. « Ce n’est pas ce que j’aurais souhaité, mais c’est comme si vous aviez une jambe saine et une jambe qui a la gangrène. Malheureusement, il faut la sectionner. »

Que va-t-il advenir des silos historiques de Beyrouth qui ont protégé la partie ouest de la ville et sauvé des vies en absorbant une part importante de l’énergie dégagée par l’explosion ? Le débat ne fait que commencer.


Dans un rapport qu’il vient de remettre aux autorités libanaises et que L’Orient-Le Jour a pu consulter, Emmanuel Durand, ingénieur français basé à Genève, recommande la démolition partielle des silos du port de Beyrouth avant qu’ils ne s’effondrent. La structure a été très impactée par la double déflagration du 4 août qui a coûté la vie à plus de 200 personnes et ravagé...

commentaires (3)

Mr. Durant à qui vous parlez il n'y a pas de gouvernement et leHezbollah le détruit jour après jour???

Eleni Caridopoulou

17 h 37, le 06 avril 2021

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Commentaires (3)

  • Mr. Durant à qui vous parlez il n'y a pas de gouvernement et leHezbollah le détruit jour après jour???

    Eleni Caridopoulou

    17 h 37, le 06 avril 2021

  • Comme le liban il va finir par s'effondrer ...

    Zeidan

    22 h 08, le 05 avril 2021

  • Espérons que l'Etat prendra sérieusement le problème en main avant que le silo en question ne tombe sur ceux qui travaillent à proximité. Une fois ne serait pas coutume, le temps est compté afin d'éviter une nouvelle catastrophe.

    Un Libanais

    21 h 24, le 05 avril 2021

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