
Une carte montrant l’avantage que retirerait le Liban s’il négociait sur les 1400 km² de plus dans le tracé des frontières. Carte tirée du texte de la pétition
Une pétition circule actuellement en vue d’appeler à l’amendement du décret 6433 afin d’y inclure les conclusions d’un rapport britannique qui donne au Liban un droit sur 1 400 km² de plus dans le tracé de la frontière maritime avec Israël, un avantage considérable pour l’exploitation future d’un champ minier frontalier. L’idée de la pétition a surgi lorsque Issam Khalifé, géographe et historien de renom, a été sollicité par le collectif Libanais de France et l’association Adel afin de donner aux expatriés une conférence explicative sur le contentieux de la délimitation de la frontière maritime entre le Liban et Israël. Les négociations entre les deux pays, qui avaient été lancées en octobre dernier par l’intermédiaire des Américains, sont suspendues depuis le mois de décembre à cause d’un différend entre les deux parties sur la superficie exploitable qui revient de droit au Liban. C’est d’ailleurs en expliquant les raisons de ce litige – notamment une erreur d’appréciation de la part du Liban et une instrumentalisation de cette erreur de départ de la part de l’État hébreu – que le collectif a décidé, conjointement avec le professeur Khalifé, de rédiger une pétition, et de la faire circuler localement et internationalement en vue de faire valoir le droit du Liban. Le texte s’adresse notamment au chef de l’État Michel Aoun et au gouvernement démissionnaire, les appelant à amender le décret 6433, responsable de l’erreur de départ.
« À défaut de la rectification de cette erreur monstre, nous serons en présence d’une affaire de haute trahison », assure le professeur Khalifé à L’Orient-Le Jour. Une mise en garde qu’il n’a cessé d’exprimer depuis des mois dans les médias pour alerter l’opinion publique sur ce « crime » commis – volontairement ou involontairement – à l’égard des ressources énergétiques auxquelles ce Liban a droit, selon lui.
Entre-temps, un collectif de juristes s’est constitué pour plancher sur l’étude d’une « plainte pour haute trahison » mettant en cause plusieurs responsables libanais si ces derniers ne prennent pas l’initiative de modifier le décret vicié.
Jeudi, et à l’occasion d’une conférence de presse au Centre culturel d’Antélias, le professeur Khalifé a expliqué les tenants et aboutissants de ce dossier d’une « extrême gravité » et lancé un ultime appel pour corriger la série de faux pas commis par les autorités libanaises. La pétition, qui continue de circuler, a recueilli à ce jour 1 215 signatures de Libanais résidant à l’étranger et 1 000 signatures au Liban, « toutes tendances politiques et toutes communautés confondues », insiste le géographe. M. Khalifé tient également à souligner que ce dossier doit absolument être extirpé des clivages et tiraillements politiques de tout genre si le Liban tient à faire entendre sa voix auprès de la communauté internationale et sauvegarder ses richesses pour les générations futures.
Le litige
La pétition expose clairement l’historique du contentieux et dénonce le laxisme de l’État libanais qui, à ce jour, n’a rien fait pour faire reconnaître, par les canaux de la légalité, ses droits. En date du 17 août 2011, l’Office hydrographique britannique (UKHO) a soumis un rapport au gouvernement libanais à sa demande, avant la promulgation du décret 6433 du 1er octobre traçant les frontières maritimes de la zone économique exclusive libanaise, dont la frontière maritime du Sud avec une ligne partant d’un point proche du cap de Naqoura au point 23 au large (voir la carte jointe). Le rapport de l’office britannique affirme le droit du Liban sur une superficie supplémentaire de 1 400 km² au sud du point 23 et précise qu’il est disposé à réaliser l’étude technique correspondante au cas où le gouvernement libanais le lui demanderait, peut-on lire dans le texte de la pétition. Malheureusement, le décret 6433 – qui avait été signé par le ministre des Transports de l’époque Ghazi Zeaïter (bloc Amal) – fut écrit sans tenir compte de ce rapport qui ne fut même pas présenté au Conseil des ministres, alors présidé par Nagib Mikati.
Par la suite, Israël a avancé une nouvelle ligne situant la frontière au point 1, qui prive le Liban de 860 km² en plus des 1 400 précédemment cités.
Des erreurs cumulées
Le décret 6433 prévoit la possibilité « de réviser les frontières de la zone économique exclusive et de les améliorer, et, par voie de conséquence, de modifier ses coordonnées au cas où des données plus précises seraient disponibles et selon les besoins en fonction des négociations avec les pays limitrophes concernés ».
Sur la base du rapport de l’UKHO, l’armée libanaise a donc préparé une étude préliminaire confirmant le droit du Liban sur la surface supplémentaire citée plus haut. En 2018, l’institution militaire a réussi à topographier la côte libanaise et la région de Naqoura avec une haute précision, obtenant des données bien plus précises. Par la suite, elle a établi un dossier technique et juridique complet confirmant la surface supplémentaire de la zone économique maritime libanaise en la portant précisément à 1 430 km². Ce dossier fut adressé au Conseil des ministres fin 2019 pour prendre la décision adéquate.
Or, sans la modification du décret mis en cause, la délégation libanaise sera obligée de négocier sur une surface disputée de 860 km² seulement, car la délégation israélienne refusera de négocier sur une autre base que celle fixée dans le décret libanais déposé auprès des Nations unies en 2011, et ce en dépit du fait que le président de la République ait donné ses instructions à la délégation de négocier sur la base du point 29 et non 23.
Si le décret n’était pas modifié et déposé auprès des Nations unies, le Liban pourrait obtenir, à la fin des négociations, une surface inférieure aux 860 km², ce qui induit la participation d’Israël à l’exploitation des champs pétroliers et gaziers du bloc libanais n° 9, et même l’imposition de conditions compliquant l’extraction du pétrole, comme c’est déjà le cas concernant le champ Aphrodite commun entre Chypre et Israël, précise le professeur Khalifé. Ce qui va compliquer l’action de la compagnie française Total qui a signé un contrat avec le gouvernement libanais pour l’extraction du gaz et du pétrole de ce bloc, et même empêcher, à l’avenir, d’autres compagnies d’envisager d’exploiter le bloc 8 frontalier et voisin du bloc 9, selon lui.
En revanche, en cas de modification du décret, la délégation israélienne sera contrainte de reprendre les négociations sur la base de 2 290 km² (860+1 430), ce qui garantira les droits du Liban sur les champs pétroliers et gaziers au sud du point 23.
« Tout retard pris pour modifier ce décret par le gouvernement libanais amènerait la délégation libanaise à reprendre les négociations sur la base d’une surface de 860 km², permettant à l’ennemi israélien de prendre part à l’exploitation des blocs libanais frontaliers de pétrole et de gaz numéros 8, 9 et 10 », précise le géographe dans sa pétition.
Ce même retard ferait perdre à l’amendement du texte sa valeur juridique si jamais Israël entamait l’extraction du champ gazier de Karish, qui se trouve à moitié dans les eaux territoriales libanaises, selon la nouvelle ligne établie par l’armée libanaise et adoptée par le président Aoun comme base de négociation, ce qui affaiblirait la position libanaise au regard des lois internationales, car Israël aurait mis le Liban devant un fait accompli.
Les signataires se sont adressés également à l’État français, le sollicitant pour soutenir ces revendications considérées légitimes, surtout au regard du fait que la France détient tous les documents historiques prouvant les droits libanais comme exposés dans cette pétition.
La pétition exhorte en outre les Nations unies, la Ligue arabe et toutes les organisations internationales à « aider les Libanais dans la défense de leurs droits légitimes, et à soutenir leur mouvement pour empêcher le pillage de leurs terres et leurs richesses ».
Cest la diversion du moment, pendant ce temps là les Libanais meurent de faim, de maladie et de désespoir...
10 h 02, le 07 mars 2021