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Manipulés ou résignés, qu’on leur réponde !

Un peu de neige nous a consolés de la fournaise où nous sommes précipités depuis plusieurs mois. Quand vous êtes en enfer, vous ne vous attendez pas à ce qu’il neige. Vous ne vous attendez pas non plus au retour des saisons. Or le cocon blanc qui s’est tissé autour de nos plateaux et montagnes ces dernières semaines nous a rappelé la rassurante linéarité de la nature au moment même où le Liban, État et peuple, bascule dans l’une des plus terribles fractures de son histoire. Les raisons de celle-ci s’éclairciront quand nous aurons suffisamment de recul pour en saisir les fatales convergences. Pour l’heure, les Libanais ont faim, les Libanais sont en détresse, les Libanais sont en colère, et tout est paralysé.

Des villes où les rideaux de fer se ferment les uns après les autres, où les banques sont réduites à des boîtes postales et où des queues se forment aux stations d’essence et devant les boulangeries dans l’espoir de grappiller une dernière fois quelques réserves avant que l’essentiel devienne inaccessible, une fois de plus nous nous tournons vers ceux que nos voix ont conduits au pouvoir, et nous ne voyons personne.

« Aoun demande à Salamé d’identifier les causes de la dépréciation de la livre », lisait-on hier dans les grands titres. Tout citoyen mis en danger par cette flagrante absence de gouvernance est en droit, ici, d’être interpellé : voilà plus d’un an que la livre est en chute libre. Est-il possible qu’en un an le président de la République n’ait pas eu le temps de demander au gouverneur de la Banque centrale les causes de cette dépréciation ? Quels que soient les défauts de ce dernier ou les soupçons qui peuvent peser sur sa personne ou ses fameux montages financiers, le président n’est-il pas au courant que ce pays est une passoire, et que pour complaire à ses alliés, toutes les denrées subventionnées à l’arrachée, et tant qu’à faire le peu de devises rares qui circulent sur le marché, sont aspirées outre-frontière ? N’est-ce pas par là qu’il faut commencer pour boucher le tonneau des Danaïdes qui nous sert d’économie ? N’est-il pas temps de mettre un frein, au moins le temps de se ressaisir, à ces trafics auxquels semble assurée une couverture de complaisance, avant même de se plaindre du fardeau des réfugiés dont nul ne doute que leur présence a été monnayée sous une forme ou une autre et avalisée par tous ceux, au sommet du pouvoir, qui y ont trouvé leur intérêt ?

À la souffrance occasionnée par la crise qui nous impose une adaptation rapide à des changements accélérés s’ajoute celle d’être littéralement ignorés, en tant qu’individus et citoyens, par une classe politique qui se détourne littéralement de notre sort pour ne songer qu’à son propre repêchage, sa propre remise en selle et sa postérité. Qu’elle comprenne alors que tant son silence que ses discours et ses manigances opaques ne suscitent en nous que méfiance, mépris et dégoût. « Qu’ils manifestent donc, dit-on en haut lieu, ils peuvent le faire, ils ont faim. » Merci pour le constat et merci à celui qui l’a inspiré. On imagine la haie de thuriféraires qu’il a dû franchir pour faire parvenir l’information. Cela dit, trois mots d’empathie ne mangent pas de pain, sans en fournir non plus à ceux, précisément, qui ont faim. Que les gens se soulèvent, on les accuse d’être manipulés. Qu’ils ne se soulèvent pas, on dénonce leur résignation. Mais que dans les deux cas, leur action reste sans réponse, et que sans cesse elle se heurte à l’indifférence d’une classe politique atone, rigide, sans imagination et sans projet, sans le bout du bout d’une solution à offrir, voilà qui est plus déshumanisant encore que d’être réduit comme une bête à la quête quotidienne de sa pitance et de celle de ses enfants.

Mais que font-ils donc ? Qu’ont-ils à proposer à un peuple au bord de l’anéantissement à part leur colère, tout entière illustrée par les vociférations devenues virales du vice-président du Parlement ? Il y a tant à dire d’ailleurs sur cet emportement, cette absence de maîtrise de soi qui montre à quel point ces gens ne maîtrisent plus rien. La colère est bien la gouvernance des faibles. La réponse des sans réponse. Par un impressionnant jeu de miroirs déformants, à la colère de la rue, ultime recours des désespérés, répond la colère du pouvoir face au constat de sa légitimité perdue. Il a suffi au vice-président d’être interrogé par un journaliste qui n’était pas un courtisan pour tomber de sa monture. Pas étonnant que chacun de ces pôles improductifs entretienne une chaîne de télévision à sa propre gloire.

Sur la même page du journal, on lisait aussi : « Un Libanais de 24 ans lève 30 millions de dollars aux États-Unis. » Vertigineux écart entre le succès de ce jeune adulte qui nous donne un frisson d’espoir et cette classe politique sénile, stérile, empêtrée dans des agendas étrangers malveillants. « Au fond des victoires d’Alexandre, on trouve toujours Aristote », disait le général de Gaulle. On n’attendra pas le verdict de l’histoire pour constater que ces gens n’avaient pas les qualités nécessaires pour conserver et relégitimiser sans cesse le pouvoir qui leur a été confié. À leur monde clos, à leurs sérails assassins, à leurs palais décomposés, à l’autorité des armes qui leur donnait l’illusion de pouvoir se passer de culture répondra, lumineuse, une exceptionnelle jeunesse en qui le Liban peut encore fonder ses plus grands espoirs. En attendant, vos biscuits, vous de là-haut, gardez-les. C’est d’un pays que nous avons besoin.

Un peu de neige nous a consolés de la fournaise où nous sommes précipités depuis plusieurs mois. Quand vous êtes en enfer, vous ne vous attendez pas à ce qu’il neige. Vous ne vous attendez pas non plus au retour des saisons. Or le cocon blanc qui s’est tissé autour de nos plateaux et montagnes ces dernières semaines nous a rappelé la rassurante linéarité de la nature au moment...

commentaires (3)

Les libanais commencent à se réveiller et lorsqu’ils rugissaient personne ne peut plus faire semblant de ne pas les entendre ni les arrêter. Lecompte à rebours a commencé. TIC TAC, TIC TAC.

Sissi zayyat

18 h 31, le 04 mars 2021

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Commentaires (3)

  • Les libanais commencent à se réveiller et lorsqu’ils rugissaient personne ne peut plus faire semblant de ne pas les entendre ni les arrêter. Lecompte à rebours a commencé. TIC TAC, TIC TAC.

    Sissi zayyat

    18 h 31, le 04 mars 2021

  • LES CAVERNES SONT VIDES. LES ALIBABAS ONT TRANSFERE L,ARGENT SOUS DES NOMS ET DES OFFSHORES DIVERS DANS DES PARADIS FISCAUX. QUAND AUX DEPOTS DU PEUPLE DEPENSES ET SE DEPENSENT ENCORE SUR LA SYRIE ET L,IRAN PAR LES TRAFIQUANTS DES MERCENAIRES ET LEURS PARAVENTS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 56, le 04 mars 2021

  • merci pour ce bel article, le problème, c'est que les thuriféraires sont nombreux, et le ou les tonneaux des Danaïdes , sont secs ils n' y a plus grand choses pour les boucher. les décideurs vivent dans leurs tour d'argent, et sont incapables de voir.... ils prennent les libanais pour des débiles, la sanction sera terrible ...

    Élie Aoun

    10 h 06, le 04 mars 2021

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