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Nos Lecteurs ont la Parole

Le rôle des chrétiens du Liban et leur place spécifique dans la région

Le rôle des chrétiens du Liban et leur place spécifique dans la région

« Le patriarche Raï est le héros de la révolution » Anwar Amro/AFP

J’écris tout en m’inquiétant pour le sort et le rôle des chrétiens au Liban et je dis, en totale allégeance au Liban, que le danger auquel sont exposés les chrétiens s’étend à tout le Liban. Sans les chrétiens et leur coexistence avec les musulmans, le Liban n’aurait pas existé et son existence n’aurait pas de sens. Les chrétiens du Liban ne sont pas les chrétiens de l’Orient et ne sont pas liés aux chrétiens de l’Iraq dont un million et quart ont émigré depuis l’émergence de Daech. De même, ils ne sont ni les chrétiens du Soudan ni ceux de la Syrie.

Les chrétiens du Liban sont les gardiens du cèdre du fait de leur coexistence avec les musulmans. Ils sont son socle et sa raison d’être, historiquement et géographiquement parlant. Si le Liban comprenait uniquement des musulmans, son existence n’aurait pas de sens et sa carte aurait été totalement différente. Quand je dis chrétiens, je parle aussi de leur culture, de leur mode de vie et de leurs relations intellectuelles, tout en notant que leur culture diffère de celle des coptes d’Égypte, des chrétiens d’Iraq et des chrétiens du Soudan, etc.

Les chrétiens du Liban sont à la base du lien tissé avec les musulmans du Liban, comme l’a clairement expliqué Fouad Siniora. Ce lien ou cette coexistence réussissait bien sous le règne de Fouad Chéhab, ainsi qu’avec Béchara el-Khoury et Raymond Eddé. Quant à Bachir Gemayel, il a joué un certain rôle en essayant de normaliser les relations avec Israël. Aujourd’hui, il ne reste que quatre États arabes toujours hostiles à Israël, alors que tous les autres ont totalement normalisé leurs relations avec lui.

Le secret du succès de Fouad Chéhab, Béchara el-Khoury, Raymond Eddé et Bachir Gemayel, c’est qu’ils se sont respectés eux-mêmes face à la propagation de l’islam. Cheikh Béchara el-Khoury avait participé à la fondation de la Ligue des États arabes et avait rassuré les Arabes en leur soulignant, quand ils ont voulu adopter la règle du vote, que nous sommes une minorité et qu’avec l’adoption de la règle du vote à la majorité, notre identité et notre rôle seraient perdus. Ainsi, les pays arabes, l’Égypte et l’Arabie saoudite en tête, ont réagi favorablement à cette opinion et ont fini par adopter la règle du vote à l’unanimité pour la prise des décisions.

Quand Fouad Chéhab rencontra Gamal Abdel Nasser, la légende de son temps, il insista, en ce temps d’unité, pour que la réunion se tienne dans une tente à la frontière libano-syrienne ; la moitié de la tente était placée en territoire libanais et l’autre moitié sur le territoire de la République arabe unie (au moment de l’union de la Syrie avec l’Égypte) ! Fouad Chéhab respecta l’arabisme de Abdel Nasser dans sa politique étrangère et, de son côté, Abdel Nasser respecta le « libanisme » de Fouad Chéhab au niveau de la politique intérieure. Les militants de l’arabisme critiquèrent l’arabisme chéhabiste qui fut imparfait en raison de la prédominance du « libanisme ». Comme le disait Mounah el-Solh à l’époque : « Le chéhabisme avait choisi la politique consistant à adopter peu d’arabisme pour échapper à un arabisme quasi total. »

Fouad Chéhab s’est respecté et a été énormément respecté par Abdel Nasser.

Le Liban a traversé une période de paix et de sécurité car il a réussi à suivre une politique adoptant un arabisme particulier à lui ainsi qu’un « libanisme » total !

Un arabisme libanais fondé sur la liberté

Le Liban est un pays arabe, mais son arabisme est un arabisme libanais fondé sur la liberté et la démocratie. De ce fait, il diffère de l’arabisme du Baas, celui des prisons et des assassinats en Syrie et des charniers en Irak. Il n’est pas l’arabisme des commissions comme au Soudan et n’est pas un arabisme religieux comme dans le Golfe et en Algérie ! L’arabisme du Liban est fondé sur une structure diversifiée, civile et civilisée, et surtout sur la liberté. C’est un arabisme qui aurait pu trouver une solution à la cause palestinienne si toutes les armées arabes, réellement « toutes » les armées arabes, n’avaient pas pris le pouvoir pour libérer la Palestine après 1948, alors qu’elles ne savaient ni gouverner ni se battre. La Palestine est toujours dans la même situation d’antan alors que les trois quarts des États arabes ont normalisé leurs relations avec Israël !

L’arabisme du Liban n’est pas l’arabisme baasiste de Mounah el-Solh qui accusa le chéhabisme de choisir la politique visant à « adopter peu d’arabisme pour échapper à un arabisme quasi total ». L’arabisme du Liban est avant tout la liberté qui constitue son noyau et il est possible uniquement par le biais de la neutralité du Liban.

L’année 1967 fut celle de la chute de Abdel Nasser qui est décédé en 1970 !

Le christianisme libanais arabe avait un rôle à jouer avec Raymond Eddé, mais celui-ci, ennemi juré du chéhabisme, ne fut pas élu président après Fouad Chéhab. Il reste qu’il avoua, trois jours avant son décès, que Chéhab a bâti un État et une nation et qu’il avait eu tort dans sa guerre contre le chéhabisme. En fait, Raymond Eddé était un patriote et un défenseur de la liberté, laquelle n’était pas garantie sous le chéhabisme. Au lieu de Raymond Eddé, ce fut l’accord du Caire après le chéhabisme et comme conséquence le mini-État palestinien. Raymond Eddé s’est opposé à l’accord du Caire et même Abdel Nasser a trouvé étrange la ratification dudit accord par le Liban, alors qu’il connaissait la situation et la composition du Liban.

Les deux héros de la résistance chrétienne

Raymond Eddé n’a jamais rendu visite à Abdel Nasser et continua à s’opposer à l’accord du Caire et son mini-État palestinien qui voulait libérer la Palestine à partir de Jounieh et Ouyoune el-Simane. De même, les chrétiens s’étaient opposés à l’accord du Caire car il avait détruit la cause palestinienne et causé la guerre civile au Liban. Alors que Raymond Eddé s’opposait à l’État palestinien à partir de l’étranger, Bachir Gemayel s’y opposait au Liban même. La guerre civile a réussi à faire sortir les organisations palestiniennes par la porte, mais les services secrets « alaouites » sont entrés par la fenêtre pour gouverner le Liban sous des noms chrétiens tels qu’Émile Lahoud et Élias Hraoui !

Les deux héros de la résistance chrétienne face aux services secrets alaouites furent alors Raymond Eddé et Bachir Gemayel, et ce jusqu’à l’assassinat de Bachir !

Depuis ce temps, Bachir est assassiné chaque jour… Quant à Raymond Eddé, le héros de la résistance libanaise, il n’avait jamais cessé d’intervenir auprès des instances internationales et ce jusqu’à son décès.

Une opportunité historique est ensuite apparue à la faveur de l’émergence d’un islam politique sunnite au Liban dont le slogan est « Le Liban d’abord et avant tout ». Mais avec l’apparition de l’islam politique sunnite, l’histoire a encore une fois joué contre le Liban. Après le retrait des services secrets alaouites, la communauté chiite occupa les premiers rangs en raison d’une alliance avec l’Iran et d’un accord chiito-chrétien (remplaçant l’accord du Caire) conclu à Mar Mikhaël, d’où le nom d’« accord de Mar Mikhaël ».

La communauté sunnite demeura sans leader après l’assassinat de Rafic Hariri, le décès de Saëb Salam et l’assassinat de Rachid Karamé. Le leadership chrétien s’affaiblit de plus en plus et finit par se joindre au leadership chiite religieux lié à l’Iran qui, lui, devenait plus dominant. Ainsi, le rôle des chrétiens, qui avait des caractéristiques arabes et occidentales ainsi qu’un équilibre culturel arabo-occidental faisant du Liban le pays de la liberté et de la culture mixte, s’est affaibli.

L’histoire ne pardonne pas

La culture des chrétiens n’a jamais été iranienne et même les Ottomans n’ont pas pu la « turquiser ». En fait, cette culture inspira la pensée nationaliste arabe non religieuse. Les musulmans ont beaucoup bénéficié de la culture des chrétiens et ces derniers ont inoculé leur culture occidentale à la pensée arabe.

Le leadership chrétien ne cessa de s’affaiblir et le rôle chrétien ne cessa d’être en contradiction avec son histoire et sa nature à tel point que la politique libanaise et le leadership chrétien sont devenus iraniens. Les chrétiens ont perdu leur rôle historique en concluant l’accord de Mar Mikhaël, devenant ainsi les protecteurs de la politique iranienne et même refusant l’initiative française.

Le leadership chrétien est aouniste sur le plan de la forme mais en fait, c’est Gebran Bassil qui est le vrai leader. On ne répétera pas les slogans lancés par les manifestants dès le début de la révolution du 17 octobre.

Le leadership chrétien n’a rien à voir ni avec Fouad Chéhab, ni avec Raymond Eddé, ni avec Bachir Gemayel.

Le leadership aouniste, que les chrétiens ont élu en lui assurant plus de vingt députés au Parlement, est en contradiction avec le leadership chrétien qui a marqué l’histoire ! Les chrétiens aujourd’hui ont agi contre leur histoire, contre leur culture et contre leur rôle historique. Pour qu’il récupère sa position en tant que premier leadership libanais, le leadership chrétien a besoin de personnalités comme Fouad Chéhab, Raymond Eddé et Bachir Gemayel.

Gebran Bassil joue aujourd’hui le rôle que jouait Milošević dans les guerres des Balkans, au sujet desquelles Samir Atallah a écrit un article intitulé « Ça ne vaut pas la peine », comparant les faits aux Balkans avec ce qui se passait et ce qui se passe toujours au Liban. Citant Fouad Chéhab, il dit : « Au début des années 70, j’ai voyagé à Belgrade où notre feu ambassadeur cheikh Mounir Takieddine, immergé dans la vie politique dans ce pays, avait écrit un ouvrage portant sur la vie de Tito. » Et d’ajouter : « Un jour, j’ai demandé à cheikh Mounir s’il craignait le retour de la balkanisation. Et de répondre qu’après Tito, tout est possible et chez nous (c’est à dire au Liban), tout est possible aussi après Fouad Chéhab. »

L’histoire ne pardonne pas. Faisons un saut dans le passé : la famille hachémite en Irak était populaire et était le leader historiquement et religieusement. Originaire de la région du Hijaz, elle se préparait pour régner sur toute la région arabe, en commençant par la Syrie, la Jordanie et l’Irak. Mais le 14 juillet 1958, le palais royal al-Rihab est pris d’assaut. La famille hachémite fut ainsi massacrée des mains des soldats et officiers car elle était allée contre l’histoire, et ce lorsque l’Émir Abdel Illah et Nouri el-Saïd ont serré la main de l’homme d’État britannique Eden alors que Le Caire était bombardée par les Anglais et que la population égyptienne été exterminée ! L’histoire ne les a jamais pardonnés.

L’histoire a condamné la famille hachémite à l’extermination quand elle perdit son rôle et alla contre l’histoire. Hélas ! Nouri el-Saïd n’a pas compris l’histoire.

Gebran Bassil, qui joue aujourd’hui le rôle de Milošević aux Balkans après Tito et le rôle de Nouri el-Saïd à Bagdad, insiste pour éloigner les chrétiens de leur histoire sous prétexte de la restauration de l’autorité et du pouvoir des chrétiens.

Mais l’histoire ne pardonne pas…

La révolution n’est pas orpheline ;

les trafiquants de drogue, ceux qui se livrent au blanchiment d’argent et qui vivent sur le compte de la tutelle du juriste islamique iranien (wilayat el-faqih), de qui ils reçoivent de l’argent et des armes, réduisent le Liban en esclavage pour le compte de l’Iran.

La révolution a un héros : c’est le patriarche des chrétiens, le patriarche Béchara Raï, dont la voix retentit partout au monde quand il parle.

Le patriarche est Saad Zagloul, Abdel Kader al-Jazaëri et Richelieu : il est le héros de la révolution et le héros des chrétiens. Par son audace et son héroïsme, il œuvre à remédier à l’impasse politique actuelle. Nous soutenons tous le patriarche maronite Raï et nous sommes tous avec la neutralité du Liban.

Abdel Hamid el-Ahdab

Avocat

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

J’écris tout en m’inquiétant pour le sort et le rôle des chrétiens au Liban et je dis, en totale allégeance au Liban, que le danger auquel sont exposés les chrétiens s’étend à tout le Liban. Sans les chrétiens et leur coexistence avec les musulmans, le Liban n’aurait pas existé et son existence n’aurait pas de sens. Les chrétiens du Liban ne sont pas les chrétiens de...

commentaires (2)

C'est merveilleux de lire la pensee unique de notre cher maitre. On a tarde avant de realiser que le Liban traditionnel n'etait qu'une fantaisie.Ce n'est pas vrai que le vent de la laicite n'a commence a souffler seulement apres le 17 octobre. Ma generationn'avait aucun complexe religieux. Mes meilleurs copains d'antan etait des musulmans. On ne voyait pas la difference. C'est la politique des annees soixante qui a fait tout chavirer.Pour remonter la pente, il faudrait se devetir de la toge religieuse .Une entente ne peut aboutir que si l'on cesse de vivre dans le passe, que l'on cesse d'inventer des ennemis pour subventionner nos ambitions, que l'ennemi reside dans notre culture, que ;l'avenir n'est a personne, et certainement pas soumis a la volonte divine.

SATURNE

15 h 12, le 04 mars 2021

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Commentaires (2)

  • C'est merveilleux de lire la pensee unique de notre cher maitre. On a tarde avant de realiser que le Liban traditionnel n'etait qu'une fantaisie.Ce n'est pas vrai que le vent de la laicite n'a commence a souffler seulement apres le 17 octobre. Ma generationn'avait aucun complexe religieux. Mes meilleurs copains d'antan etait des musulmans. On ne voyait pas la difference. C'est la politique des annees soixante qui a fait tout chavirer.Pour remonter la pente, il faudrait se devetir de la toge religieuse .Une entente ne peut aboutir que si l'on cesse de vivre dans le passe, que l'on cesse d'inventer des ennemis pour subventionner nos ambitions, que l'ennemi reside dans notre culture, que ;l'avenir n'est a personne, et certainement pas soumis a la volonte divine.

    SATURNE

    15 h 12, le 04 mars 2021

  • Les chrétiens et la civilisation chrétienne ne peuvent être l'élément fédérateur pour former un Etat Islamo-chrétien. Il faudrait d'abord qu'il existe un peuple islamo-chrétien, il faudrait identifier foi naturelle de l'islam et foi catholique authentiquement divine et naturelle sans confusion ni séparation. Cela n'empêche pas la convivialité et la tolérance réciproque, une morale mais il ne peut exister un véritable Etat en même temps catholique et musulman. c'est une chimère séduisante, une morale étatique politique commune, mais qui tiendrait pour négligeable le caractère unique et divinement révélé de la Foi de l'Eglise catholique qui ne se réduit pas en un Etat bâti sur une multiplicité de religions contradictoires entre elles. Le Liban ne serait plus le Liban traditionnel, s'il devenait islamo-catholique ou optait pour un laïcisme radical.

    dintilhac bernard

    20 h 48, le 02 mars 2021

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