« C’est une histoire folle à tous les niveaux. » Sur Twitter, la réaction d’un internaute résume le tollé provoqué ces derniers jours par des révélations portant sur un accord secret, l’accord « Assad-Poutine-Netanyahu », qui a permis d’assurer le retour d’une civile israélienne détenue en Syrie.
Tout commence le 2 février, lorsqu’une jeune femme de 23 ans parvient à traverser la frontière en direction de la Syrie sans attirer l’attention des forces de sécurité en présence. Originaire d’une famille ultraorthodoxe d’une colonie de Cisjordanie, celle-ci n’en est pas à son coup d’essai : elle avait déjà essayé de s’introduire illégalement en Jordanie ou à Gaza. Elle se fait arrêter peu après son arrivée sur le territoire syrien, puis incarcérer.
Les négociations en vue d’obtenir son retour débutent rapidement. Pour les autorités israéliennes, il s’agit d’éviter les erreurs du passé en réagissant vite afin de ne pas laisser traîner l’affaire, comme dans le cas du jeune Avera Mengistu, détenu à Gaza depuis son entrée illégale en 2014. La jeune femme est rapatriée en Israël vendredi et, en retour, Israël annule la condamnation d’une druze résidant dans le plateau du Golan et accepte le retour dans leur pays de deux bergers syriens. L’histoire officielle s’arrête là : un échange classique de prisonniers en somme. Mais de récentes révélations, relayées par plusieurs médias dont les très sérieux New York Times et Haaretz, indiquent que l’élément-clé de l’accord réside ailleurs, dans une clause tenue secrète : Israël aurait accepté de financer l’envoi de centaines de milliers de vaccins russes contre le Covid-19, à Damas.
« Un succès sur tous les fronts »
D’un point de vue technique, cette opération entre deux États ennemis qui n’entretiennent aucune relation diplomatique officielle n’a été rendue possible que grâce à un tiers. Le New York Times et Haaretz révèlent que les négociations se sont faites grâce à la médiation de Moscou, fidèle allié du régime de Bachar el-Assad et du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu. Moscou a non seulement servi d’intermédiaire entre les deux gouvernements, mais a également permis le transit de la civile israélienne de Syrie en Russie, puis de Russie jusqu’en Israël, tout en assurant un succès politique en interne à ses deux alliés. Ce n’est pas la première fois que la Russie coordonne de la sorte avec Israël. En 2016, elle avait déjà aidé au retour d’un char israélien saisi par les Syriens au Liban en 1982. Mais cette fois, l’opération prend la forme d’un succès régional pour Moscou, à l’heure où le Moyen-Orient ne figure plus sur la liste des priorités de l’administration américaine. « La Russie sort gagnante en donnant à Netanyahu une victoire politique ; elle gagne également en renforçant son influence sur le régime Assad en lui assurant les vaccins dont il a besoin », résume Nicholas Heras, chercheur à l’Institute for the Study of War (ISW). « Cet accord est un succès sur tous les fronts pour Moscou », poursuit ce dernier.
Cette affaire tombe d’autant mieux pour Benjamin Netanyahu qu’il joue sa survie politique dans moins d’un mois lors des élections législatives prévues le 23 mars. Une survie liée à « la croyance, par le public israélien, qu’il est capable d’assurer leur protection. Et de ce point de vue là, permettre la libération d’une Israélienne détenue par Assad est une victoire », note Nicholas Heras. « Israël a toujours fait et continuera de faire tout ce qui est en son pouvoir pour ramener nos citoyens », s’est félicité le Premier ministre dans un communiqué, tout en cherchant à rassurer, lors d’une conférence de presse, sur le fait que « pas une seule dose de vaccin israélien n’a été mobilisée » dans cet accord.
À Damas, l’arrivée des vaccins russes représente également une victoire inespérée. Le régime syrien, qui entrera dans sa 11e année de guerre à la mi-mars, n’a pas encore débuté sa campagne de vaccination. Mais pour les observateurs, l’arrivée du Spoutnik V devrait représenter une nouvelle arme pour le régime qui a longtemps utilisé l’aide humanitaire pour consolider son contrôle sur les populations.
« Diplomatie du Covid-19 »
L’accord est également révélateur des dynamiques régionales et rappelle la nature ambiguë des rapports entre le gouvernement israélien et celui de Bachar el-Assad. Malgré ses frappes en territoire syrien visant les alliés régionaux de Damas, l’État hébreu a fait preuve de retenue sur la question syrienne, préservant le statu quo dans le plateau du Golan, revendiqué par les deux pays, et refusant de prendre position entre le régime et les rebelles. « En Syrie, Israël continue de se concentrer sur les forces iraniennes, afin de les repousser via les forces aériennes déployées – tout en maintenant une position ambiguë vis-à-vis du régime Assad », explique Mairav Zonszein, experte à l’International Crisis Group. L’accord paraît donc mettre en lumière la réalité des rapports israélo-syriens : des relations secrètes dirigées par un certain pragmatisme mais dissimulées derrière des dénis officiels.
Mais si l’accord a fait le bonheur des gouvernements, il a également provoqué des inquiétudes et fait enfler des polémiques déjà existantes, qu’il s’agisse de la responsabilité d’Israël à vacciner les populations de Cisjordanie et de Gaza, ou du débat plus général sur l’inégal accès au vaccin. Alors que près de la moitié de la population israélienne a déjà reçu une première dose du vaccin, Israël a très faiblement contribué à l’envoi de doses dans les territoires occupés – quelques milliers de doses pour les 2,8 millions de personnes résidant en Cisjordanie. Une faute morale et légale pour ceux qui considèrent qu’Israël est responsable, en tant que puissance occupante, de la coordination de la campagne de vaccination avec les autorités locales, ainsi que le requiert la convention de Genève.
Plusieurs dirigeants israéliens, en retour, avaient indiqué que le pays devait procéder à la vaccination de sa propre population avant de pouvoir aider les Palestiniens, se référant aux accords d’Oslo pour se décharger de toute obligation légale. Mais, en montrant que le gouvernement est prêt à fournir des quantités de vaccins pour l’extérieur, l’accord conclu avec la Syrie fait tache. « Nous faut-il attendre qu’un juif traverse la frontière avec Gaza pour que nous soyons vaccinés ? » avait alors ironisé sur Twitter le député de la Liste unie des partis arabes israéliens, Ahmad Tibi.
Plus que jamais, l’accord met en lumière l’usage politique du vaccin, utilisé comme un nouvel outil diplomatique – ici en monnaie d’échange. « Israël paie le régime syrien pour la libération d’une citoyenne, le paiement étant des vaccins Covid-19 », observe Nicholas Heras. Une somme qui reste certes à relativiser, étant donné que « les 1,2 million de dollars fournis à Poutine ne représentent pas une grosse somme lorsqu’on les compare à d’autres échanges », remarque Mairav Zonszein. Mais peu importe le prix, estime Nicholas Heras, la Russie est parvenue avec cet accord à peaufiner sa « diplomatie du Covid-19 », notamment grâce à l’efficacité reconnue de son vaccin. « Moscou tente de dépasser ses compétiteurs, les États-Unis ou la Chine, afin de devenir un fournisseur de choix dans la région », conclut ce dernier.
commentaires (18)
J'ESPERE QU'UNE PAQIX AVEC ISRAEL EST UN CADEAU INESPERE POUR LE LIBAN QUI RESOUDRA TOUS CES PROBLEMES ACTUELS , POLITIQUES ( annulation des milices de HB ), FINANCIER ( la manne du tourisme israeliens aussi bien juifs et non juifs d'ailleurs ) ET SANITAIRE ( avec une offre de 2 millions de vaccins gratuits immediatement ) LA VERITE ON PEUT REVER NON? MAIS IL Y A TOUJOURS UN ESPOIR DANS LA VIE DE S'EN SORTIR
LA VERITE
02 h 00, le 24 février 2021