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Nos Lecteurs ont la Parole

La nouvelle loi sur la protection domestique : un écran de fumée ?

Depuis un certain temps, nos médias et réseaux sociaux pullulent d’histoires concernant les violences conjugales et domestiques. Un an de pandémie, de confinement et d’isolation a apporté son lot de souffrance à des centaines, voire des milliers de familles. Les assignations à résidence et les restrictions de déplacement ont enfermé les femmes et les enfants derrière les murs sans aucune possibilité de déplacement et ont ainsi renforcé la probabilité de violences conjugales. Lier le phénomène à la pandémie du coronavirus masque une triste réalité : cette situation est très loin d’être un phénomène nouveau et n’est certainement pas une conséquence de la pandémie, contrairement à ce qui est illustré. En effet, la violence contre les femmes et les enfants est depuis longtemps un fléau qui frappe notre société au quotidien. Malheureusement, les nouvelles lois 204/2021 contre la violence domestique et 205/2021 contre le harcèlement sexuel ne sont qu’un petit pansement, pour une grande blessure.

Le nombre de plaintes liées à la violence domestique contre les femmes et les enfants a atteint un niveau grave et incomparable à celui des années précédentes, avec 1 468 cas reçus au cours des 12 derniers mois, contre 747 l’année précédente. Les paramètres juridiques de la loi 422/02, supposée protéger les enfants, sont loin d’être parfaits. N’étant appliquée que lorsque « l’intérêt de l’enfant est en danger », cet intérêt varie d’une famille, d’une communauté et d’une région à d’autres, ce qui pose la question de la liberté d’interprétation qui pourrait conduire dans la majorité des cas à un manque de responsabilité de la police, mais aussi des courts de justice vis-à-vis de la protection des enfants. Une autre limite se situe au niveau de la liste exhaustive de menaces possibles contre les enfants dont les définitions sont interprétables selon des significations multiples. De plus, un nombre important d’entre elles sont insolites et ne répondent pas à la véritable situation, donnant ainsi à l’agresseur la possibilité d’échapper à la justice. Par exemple, « un environnement exposant l’enfant à l’exploitation, ou portant atteinte à sa santé, sa sécurité, sa vie ou son éducation le rend sujet à des agressions corporelles sexuelles ou violentes au-delà des mesures disciplinaires habituelles non préjudiciables » : cet environnement est non seulement pas suffisamment clair, mais aussi ouvre la voie à des possibilités interminables.

Certes, le point le plus problématique est celui de la possibilité offerte aux parents d’adopter des « mesures correctives et disciplinaires » qui ne sont ni énumérées ni détaillées, leur laissant donc la liberté du choix qui leur semble le plus approprié. Cela peut donc aller d’un simple rappel aux règles à la violence verbale, et même à une violence physique. Comme les lois reflètent les sociétés qui les mettent en place, ces prérogatives non seulement reflètent les caractéristiques de la société orientale et patriarcale qui est la nôtre, mais elles sont aussi un indicateur de tous les risques d’une telle société et de ses défectuosités.

Le problème ne se limite pas à la question des enfants… Les femmes aussi restent toujours très vulnérables aux yeux de la loi libanaise. Cela se corse par le fait que la violence domestique reste toujours un sujet tabou, mais elle est aussi perçue par la plupart comme étant une affaire familiale privée, expliquant ainsi pourquoi une majorité de femmes victimes se tournent vers leurs proches pour obtenir de l’aide. La nouvelle loi apporte une définition claire de la violence domestique et des pratiques criminelles qui peuvent se produire pendant ou à cause de la vie conjugale, et ce en ajoutant la violence économique à la liste de violences sanctionnées. De plus, l’ordonnance de protection rendue en faveur de la femme victime de violence domestique inclut désormais ses enfants âgés de 13 ans et moins, et finalement elle renforce les sanctions contre les auteurs de crimes de violence domestique. Cependant, malgré ces améliorations, la loi actuelle ne criminalise toujours pas le viol conjugal, alors qu’une femme sur trois dans le monde est victime de violences sexuelles de la part de son partenaire. Les femmes donc demeurent dans un dilemme cornélien – soit rester et souffrir aux mains de leurs agresseurs, soit s’échapper sans aucune garantie de protection en pleine pandémie.

Derrière les portes fermées et en temps de pandémie, certaines femmes n’ont aucun accès, ou ont un accès limité, au téléphone ou à internet, et sont souvent dépendantes financièrement de leur famille ou leur conjoint. C’est donc un moment critique, et une intervention urgente est nécessaire. Une solide collaboration entre la police, le système de justice pénale, le secteur de la santé et les organisations locales de défense des droits des femmes est cruciale pour apporter une aide immédiate et efficace, et un soutien adéquat aux femmes et aux enfants souffrant de violences domestiques.

Contrairement à ce que de nombreuses personnes pensent, la solution ne se situe pas toujours dans les textes. Même avec toutes les interventions et toutes les améliorations législatives possibles, la mauvaise application de la loi ou sa non-application, et le traitement incorrigible des cas de violence conjugale sont un obstacle incontestable. L’exemple le plus choquant est une photo d’un enfant de 11 ans menotté par un membre des FSI en plein milieu du Palais de justice le 28 décembre 2020, qui créa un choc au sein de la société libanaise. Malheureusement, il ne s’agit pas d’un cas isolé, juste d’une situation ayant pu être photographiée au « bon moment » et partagée en ligne, mettant en lumière le calvaire de dizaines d’enfants arrêtés chaque année au Liban.

Les solutions sont connues, elles sont là : davantage de juges spécialisés dans les lois juvéniles et la violence domestique ; l’ouverture de la possibilité de preuves par tout moyen pour la victime; la possibilité de fournir toutes les informations nécessaires, d’une façon claire et transparente, sur les établissements de santé, les lois et les services disponibles aux niveaux local et national afin d’assurer que les victimes soient en mesure d’accéder à tous les moyens de protection. À long terme, les lois discriminatoires sur le statut personnel constituent un autre obstacle majeur à surmonter. À moins que ces lois ne soient réformées en prenant en compte la vraie protection des individus et les rôles des genres réalignés vers l’égalité, la violence domestique persistera, et le nombre de victimes, qui est déjà en nette hausse, ne fera qu’augmenter.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

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