Le juge Fadi Sawan, chargé de l'enquête sur la double explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, a interrogé jeudi, en tant que témoin, l'ancien commandant en chef de l'armée Jean Kahwagi, rapporte l'Agence nationale d'Information (Ani, officielle). Il s'agit d'une des premières auditions du juge d'instruction près la Cour de justice, après plusieurs semaines d'interruption de l'enquête, en raison de l'ingérence de plusieurs responsables politiques et du confinement strict imposé pour lutter contre la pandémie de coronavirus.
Le général Kahwagi, qui dirigeait la troupe au moment où le chargement de nitrate d'ammonium à l'origine de la déflagration est arrivé dans le port de Beyrouth (en 2013), avait déjà été entendu comme témoin dans le courant du mois d'août 2020, à l'instar d'autres responsables sécuritaires. Son audience aujourd'hui devant le juge aurait duré près d'une heure et demi, rapportent certains médias libanais, dont la chaîne locale al-Jadeed.
"Renvoyer" le nitrate d'ammonium
Selon un communiqué publié par l'avocat de M. Kahwagi, Karim Pakradouni, après l'interrogatoire, l'ancien commandant a affirmé devant le juge que l'armée "avait fait et fait toujours son devoir", conformément aux lois en vigueur et au règlement interne de la troupe.
"A la fin de l'année 2015, la Direction des douanes avait demandé dans une lettre si l'armée avait besoin de nitrate d'ammonium, lequel se trouvait dans le hangar 12", a notamment dit le général Kahwagi au juge. Ce dossier avait été transmis à la Direction chargée de l'acquisition de matériel, qui a mené une inspection des sacs de produits chimiques et a analysé leur contenu en laboratoire, a-t-il ajouté. Il a encore affirmé que "la troupe avait fait savoir aux douanes qu'elle n'avait pas besoin d'un tel composé, surtout en de telles quantités, alors que son utilisation est limitée et que le nitrate d'ammonium se dégrade avec le temps, ce qui rend dangereux son stockage à long terme". Selon lui, l'armée ne disposait alors pas de capacités de stockage suffisantes et n'avait pas les moyens de s'en débarrasser. "Sur la base de cela, l'armée avait informé les douanes, dans une lettre envoyée le 7 avril 2016, qu'elles pouvaient contacter une société libanaise d’explosifs, la Lebanese Explosive Company ou Majid Chammas & Co, afin de voir si elle pouvait tirer profit de ces matières, à défaut de quoi il fallait renvoyer le chargement dans leur pays d'origine, aux frais de l'importateur".
Nouveaux interrogatoires
Le juge Sawan poursuivra ses interrogatoires lundi prochain, en convoquant des personnes qui n'ont pas encore été entendues dans le cadre de l'enquête, dont certaines font l'objet de poursuites. Une trentaine de personnes, notamment des responsables sécuritaires et militaires, ainsi que des civils, se trouvent actuellement derrière les barreaux dans le cadre de l'enquête.
La double explosion du 4 août était due au stockage de plusieurs milliers de tonnes de nitrate d'ammonium, sans mesures de précaution, dans le hangar 12 du port de Beyrouth. Elle a fait plus de 200 morts, des milliers de blessés et ravagé des quartiers entiers de la capitale libanaise. L'enquête avait été suspendue après l'inculpation par Fadi Sawan, le 10 décembre, du Premier ministre sortant, Hassane Diab, et de trois anciens ministres, pour négligence. M. Diab et les anciens ministres Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter, qui sont également députés, avaient refusé de se rendre à leur convocation par le juge Sawan et ces deux derniers avaient ensuite présenté un recours contre le magistrat, ce qui avait forcé la suspension de l'enquête. Mi-janvier, le procureur a été autorisé à reprendre ses investigations, sans qu'aucune réponse n'ait été jusqu'à présent donnée concernant le recours des députés.
La lenteur de l'enquête et les ingérences politiques ont provoqué la colère d'une grande partie de la population et surtout des proches des victimes de la double explosion, qui ont manifesté à plusieurs reprises devant le domicile du juge Sawan. L'ONG internationale Human Rights Watch (HRW) avait pour sa part déploré l'échec des autorités libanaises à "rendre une quelconque forme de justice". Tous les appels à une enquête internationale ont été rejetés par les autorités libanaises qui ont toutefois été épaulées par des experts internationaux lors des premières investigations sur le terrain.
commentaires (2)
Je reve (c'est plutot un cauchemar oui) Le commandant en chef de l'armee est mis au courant officiellement de la presence de 2750 tonnes d'EXPLOSIFS au port. Son devoir serait d'envoyer tout de suite la troupe controler le site et s'assurer de le securiser. Au lieu de quoi, il donne des conseils inutiles et stupides .... Et il a le culot de presenter ce type d'EXCUSES au juge d'instruction ? Et ce dernier ne le met pas en examen tout de suite ? On se demande lequel est le pire des deux.... Ps: OLJ : je soupconne que votre "charte" vous dispense de publier n'est ce pas ?????
Michel Trad
21 h 09, le 11 février 2021