La Companies House, registre des sociétés britannique, a décidé samedi de suspendre les mesures de radiation de Savaro Ltd, la société suspectée d’avoir importé le nitrate d’ammonium dont l’explosion, au port de Beyrouth, a ravagé la capitale le 4 août dernier. Une décision jugée cruciale dans les milieux du conseil de l’ordre des avocats de Beyrouth qui, dans le cadre de sa stratégie d’action, s’était mobilisé pour empêcher la satisfaction de la demande de liquidation volontaire présentée par la compagnie Savaro le 12 janvier, afin que celle-ci n’échappe pas à sa responsabilité dans le dossier.
« Il s’agit d’une percée majeure au plan international, qui devrait influer positivement sur l’enquête nationale », juge via L’Orient-Le Jour Nasri Diab, avocat volontaire travaillant en étroite collaboration avec le bâtonnier Melhem Khalaf. « La suspension de la radiation de la société devrait encourager le juge d’instruction près la Cour de justice, Fady Sawan, à aller de l’avant dans les investigations », estime ce professeur universitaire, qui voit en outre dans la mesure adoptée un moyen d’empêcher l’entreprise d’échapper à la justice. « Si la société avait été radiée, il aurait été impossible de la poursuivre et, éventuellement, de lui réclamer une réparation des préjudices causés. »
Alerté par l’avis publié sur le site de la Companies House, dans lequel il est fait état de la demande de radiation, le barreau de Beyrouth, qui représente plus de 1 400 victimes ou proches de victimes de la double explosion du port, s’était mis à rassembler, au lendemain du 12 janvier, des documents prouvant que Savaro Ltd est une société suspecte. Moins de dix jours plus tard, il adressait une première lettre au registre des sociétés pour l’avertir que la compagnie fait l’objet de poursuites engagées par le juge d’instruction près la Cour de justice, Fady Sawan. Selon Nasri Diab, le barreau de Beyrouth a envoyé une deuxième lettre le 25 janvier au même destinataire, après avoir fait des recherches prouvant qu’il s’agit d’une société « dormante ». « Depuis sa création, Savaro Ltd présente de faux bilans, quasiment vides, qui limitent à un maximum de 1 000 livres sterling les flux d’argent dans les passifs et les actifs », indique dans ce cadre Me Diab.
Convergence d’efforts
Entre-temps, à Londres, suite aux informations de l’agence Reuters selon lesquelles l’identité des propriétaires effectifs de Savaro Ltd n’est pas mentionnée dans le registre des sociétés, deux parlementaires britanniques, Margaret Hodge et John Mann, avaient dénoncé le fait qu’on ne pouvait connaître les noms des bénéficiaires effectifs. « Les autorités britanniques doivent enquêter, d’autant qu’il semble que des informations imprécises aient été fournies », avait déclaré Mme Hodge. « Il est choquant et très nuisible pour la réputation du Royaume-Uni que la Companies House et notre système national d’enregistrement des sociétés puissent être si facilement exploités », s’était indigné pour sa part M. Mann. S’en est suivie une correspondance initiée par le barreau de Beyrouth, dans laquelle le bâtonnier Melhem Khalaf a demandé de faire converger les efforts pour parvenir à suspendre les mesures de liquidation de la société.
Mercredi dernier, le bâtonnier apprenait ainsi de Mme Hodge qu’elle avait exhorté le secrétaire d’État aux Affaires, à l’Énergie et à la Stratégie industrielle à empêcher que la compagnie Savaro soit radiée du registre des compagnies. Trois jours plus tard, l’avis du gel de la radiation était diffusé sur le site du registre. La Companies House avait également reçu une demande dans le même sens présentée par un cabinet britannique d’avocats mandaté par le barreau de Beyrouth. Le registre de commerce anglais a ensuite été sollicité par un groupe de quatre avocats libanais représentant quelques victimes étrangères, notamment des travailleurs bengalais et des réfugiés syriens et palestiniens. Un des avocats, Mazen Hteit, affirme à L’OLJ que leur démarche, menée en coordination avec le conseil de l’ordre des avocats de Beyrouth, vise à « faire prévaloir les droits des victimes marginalisées ». « En les intégrant au procès, on leur donne une chance de se voir elles aussi indemniser », note-t-il.
Il reste que les mesures de suspension de la liquidation de Savaro Ltd prendront fin le 6 août prochain. Si d’ici là les motifs de l’opposition à sa radiation persistent, les opposants pourraient soumettre de nouvelles objections à la Companies House. Celles-ci se baseraient à nouveau sur le fait que radier avant la fin du procès une société mise en examen lui permettrait d’échapper à la justice.
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Tous ces pays prétendent combattre le terrorisme en déclenchant des guerres qui coûtent beaucoup de vies humaines et d’argent et les laissent ouvrir des sociétés obscures et transiter de l’argent sale dans leurs banques sans se soucier de leur but. Les chefs de fil de ces organisations sont sous leurs yeux et ils cherchent ailleurs prétextant ne pas les voir ou détenir suffisamment de preuves pour les condamner. Ils s’attaquent à la queue alors que c’est la tête qu’il faut viser. A croire que dans ce monde il n’y a plus d’hommes politiques à la hauteur de la tâche. CHURCHILL nous manque.
Sissi zayyat
10 h 49, le 09 février 2021