Le point de vue de... Le point de vue d'Albert Kostanian

Le Liban, à l’épreuve du coût du changement

Le Liban, à l’épreuve du coût du changement

D.R.

Le soulèvement populaire d’octobre 2019 n’a pas été vain comme le déplorent les déçus, nombreux par les temps qui courent. Il a, au contraire, créé une rupture à plus d’un niveau. Deux s’avéreront essentielles pour favoriser l’émergence d’un Liban nouveau que la population appelle de ses vœux, mais dont les attributs restent à définir : la première rupture concerne la légitimité de représentation, retirée à la classe politique par le soulèvement massif de la population. Ce qui a ouvert la voie à un ensemble d’initiatives et d’expressions collectives, politiques, sociales ou artistiques, jeunes, ouvertes et citoyennes, qui cherchent désormais à représenter, collectivement, une volonté populaire. La seconde concerne les piliers idéologiques de l’ancien régime, ces mythes fondateurs qui ont « frigorifié » la République pendant 30 ans et qui ont mené à son effondrement, notamment au niveau de la vision du « vivre-ensemble » et de la formule institutionnelle qui en découle, mais aussi au niveau du pacte social et du modèle économique en vigueur, et enfin au niveau de la vocation régionale du Liban, et de sa gestion du conflit avec Israël.

Or c’est toute une nouvelle vision qui doit être bâtie autour de ces trois piliers pour pouvoir prétendre à un changement réel et profond. Le peuple libanais a certes retiré à l’ancien régime sa légitimité de représentation mais il ne l’a pas encore pour autant attribué aux forces nouvelles. C’est à ce niveau-là qu’un calcul implicite, celui du coût du changement, intervient. Les Libanais ont intégré le coût induit par la classe politique sortante, à savoir une corruption endémique et une incompétence hors normes, mais n’ont pas la visibilité pour pouvoir jauger les coûts d’une transition vers un régime nouveau, dont les contours restent flous. Ce coût pourrait néanmoins être perçu comme étant important, tellement l’enracinement des mythes fondateurs est profond. Ainsi, nombre de Libanais pourraient questionner l’abandon d’une formule confessionnelle pour une formule nouvelle, encore inconnue à ce jour, mais qui irait sans doute dans le sens d’une « dilution » des communautés. Aussi, il serait normal pour les Libanais qui ont bénéficié de bien de largesses durant l’ancien régime, et dont la consommation a été subventionnée pendant presque 30 ans, de questionner un ordre économique nouveau. Ils pourraient, en effet, craindre d’être privés de cette liberté économique mythifiée au profit d’une répartition plus volontariste des richesses et d’une économie régulée. Enfin, les tenants de la doctrine de la résistance active et armée face à Israël auraient du mal à envisager un changement de cap alors que les relations du Liban avec l’hinterland arabe sont en passe d’être reconfigurées par le nouveau train de paix israélo-arabe.

En somme, certains de nos compatriotes, minés par l’incertitude et les déceptions qu’ils ont connues dans le passé, seraient probablement amenés à préférer « un mal connu à un bien qui reste à connaître ». D’où le besoin pressant de réflexion et de clarté. La révolution ne peut pas faire l’économie d’un projet pour pouvoir réussir. Et ce projet ne doit pas être l’expression du plus petit dénominateur commun, quand rien n’empêche l’émergence d’une offre politique diversifiée à partir des décombres de l’ancien régime. L’unité à tout prix n’est que chimère, c’est la coopération entre les forces politiques nouvelles qui comptera, et non pas l’uniformisation forcée. Les forces aspirantes au changement doivent donc écrire, formaliser, publier, expliquer et débattre d’idées pour définir le Liban 3.0.

Au niveau politique et institutionnel, il est ainsi grand temps de réinventer un nouveau mythe national à même de redéfinir le contrat qui lie les différentes composantes de l’édifice libanais. Et en passant, de libérer l’individu du joug du communautarisme tout en modernisant la gouvernance du pays. Ainsi, déconfessionnalisation politique et décentralisation poussée, voire fédéralisme géographique, pourraient constituer les termes d’un new deal fondateur d’une Troisième République. Sur le plan économique, la répartition des pertes du système financier donnerait la direction concernant le modèle sociétal à venir et constituerait le prélude à un programme tangible et réaliste pouvant palier l’incertitude qui mine les déposants libanais. Aussi, il est grand temps de penser un modèle productif alternatif et de revoir la fiscalité pour créer une solidarité nationale sans pour autant abandonner les fondements de l’économie libérale qui prévaut au Liban. En matière de politique étrangère, les tenants du changement doivent impérativement se positionner par rapport à la nouvelle donne régionale qui menace le modèle d’affaires du Liban, essentiellement porté vers l’export de services et de main-d’œuvre qualifiée. Et c’est là que les forces motrices du changement vont devoir faire preuve de courage et revenir sur les fondements du conflit avec Israël, édicter les règles d’engagement à observer et définir une position volontariste pour le Liban face aux conflits endémiques de la région. Cela pourrait se faire en donnant de la substance à la neutralité proposée dernièrement mais dont les contours restent vagues.

La question du Hezbollah est évidemment d’une importance cruciale pour l’émergence d’un Liban pacifié et réconcilié avec son peuple. Bien que son règlement soit lié à des dynamiques qui dépassent le contexte libanais, la position des forces aspirant à révolutionner le pays ne peut souffrir d’aucune ambiguïté par rapport à la nécessité de rétablir le monopole de la violence et de condamner tout projet d’inféodation à quelconque volonté étrangère. Les forces du changement, en affirmant un véritable projet de vie pour le Liban, retireront par ce fait le tapis de sous « l’éléphant », le privant ainsi du monopole de la vision.

En conclusion, ce sont ceux qui misent, non sans un brin de cynisme, sur la faim pour voir le peuple réinvestir les rues, qui risquent d’être déçus. Les révolutions sont, bien rarement, mues par le seul aspect revendicatif. Elles sont, au contraire, motivées par un idéal crédible et mobilisateur. Pour passer d’un soulèvement populaire à une véritable révolution, la réflexion reste une voie incontournable.

Le soulèvement populaire d’octobre 2019 n’a pas été vain comme le déplorent les déçus, nombreux par les temps qui courent. Il a, au contraire, créé une rupture à plus d’un niveau. Deux s’avéreront essentielles pour favoriser l’émergence d’un Liban nouveau que la population appelle de ses vœux, mais dont les attributs restent à définir : la première rupture concerne la...

commentaires (4)

en resume, la pre-conclusion est LA CONDITION 1ere a tout changement vers le mieux: DESARMEMENT DE HEZB. POINT. sans lequel impossible d'arriver a changer quoique ce soit de tangible.

Gaby SIOUFI

10 h 54, le 28 février 2021

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Commentaires (4)

  • en resume, la pre-conclusion est LA CONDITION 1ere a tout changement vers le mieux: DESARMEMENT DE HEZB. POINT. sans lequel impossible d'arriver a changer quoique ce soit de tangible.

    Gaby SIOUFI

    10 h 54, le 28 février 2021

  • Excellent! Comme toujours, Albert K a deux longueurs d’avance sur nous tous.

    Akote De Laplak

    10 h 44, le 28 février 2021

  • TROP DE SOUHAITS IRREALISABLES ET DE SI ON FAISAIT CA OU CA DANS CET ARTICLE QUI VOGUE DE MEANDRE EN MEANDRE ET REVE DE FIL D,ARIANNE. LE LIBAN EST CONSTITUE DE COMMUNAUTES RELIGIEUSES DONT CHACUNE, DANS UN MOYEN ORIENT OU CERTAINES ONT ETE REDUITE A NEANT, A PEUR ET A RAISON POUR SON EXISTENCE ET SON DEVENIR. TOUT LIBAN NOUVEAU NE PEUT SE BATIR QUE SUR CETTE CONSTANCE. LE MODELE SUISSE OU MEME CELUI DE L,ILE MAURICE SONT LES SEULS EXEMPLES A CHOISIR. JE PREFERE LE MODELE SUISSE DES CANTONS A LIBRE CIRCULATION QUI GARANTISSENT L,UNITE DU PAYS. BERRY EN AVAIT PARLE ET DIT UNE FOIS QUE C,ETAIT LA SEULE SOLUTION. EN FAIT C,EST LA SEULE SOLUTION POLITIQUEMENT, ECONOMIQUEMENT ET CIVILEMENT. LE REALISER ET L,APPLIQUER LE PLUS VITE C,EST EVITER D,AUTRES CATASTROPHES AU PAYS.

    MON CLAIR MOT A GEAGEA CENSURE

    09 h 22, le 28 février 2021

  • De grands principes certes, mais aucune proposition pratique, aucune formule réaliste, aucune clé de répartition des pertes .... bref de la littérature que les intellectuels vont approuver mais pendant ce temps 50% du peuple meurt de faim et contrairement à la conclusion de l’auteur, c’est cette partie du peuple qui n’a plus rien à perdre qui va renverser la table.

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 15, le 28 février 2021

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