À une semaine de l’expiration du bouclage total imposé depuis le 14 janvier afin d’enrayer la progression du Covid-19, le secteur privé donne de la voix pour démontrer ses effets dévastateurs sur l’économie, martelant par la même occasion son opposition à toute prolongation des restrictions actuelles au-delà du 8 février.
Dans un communiqué publié hier, l’Association des commerçants de Beyrouth (ACB) a sollicité le droit pour ses membres de rouvrir leurs portes dès lundi prochain comme prévu, appelant expressément les autorités à ne pas changer d’avis. À l’heure actuelle, seule une fraction des commerces, essentiellement alimentaires, ont encore le droit d’ouvrir leurs portes – surtout pour assurer des services de livraisons, alors que ceux jugés non essentiels paient une fois de plus le prix fort, avec « zéro chiffre d’affaires » à leur actif en ce début d’année, précise une source proche de ces filières.
Baisses d’impôt
Si cette dernière reconnaît qu’il y a eu « des transgressions » (avec des commerces non essentiels qui ouvrent discrètement leurs portes, des épiceries ou même de petits supermarchés qui servent des clients à l’entrée), l’ACB assure de son côté que les commerces n’ont pas participé à la propagation du virus, compte tenu de la faiblesse de l’affluence. La clientèle se raréfie, alors que son pouvoir d’achat a été rongé par la dévaluation de la monnaie nationale, qui a perdu 80 % de sa valeur depuis le début de la terrible crise dans laquelle le pays s’est engouffré depuis 2019. L’ACB assure enfin que les commerces ne présentent pas les même dangers que les restaurants et les bars, citant « d’autres secteurs où la densité (de personnes) est élevée et qui ont conduit au pic épidémique que nous connaissons ». Une manière pour l’association de pointer indirectement du doigt le secteur de la restauration dans son ensemble, accusé d’avoir contribué à la flambée des contaminations, en particulier lors des fêtes de fin d’année.
Par ailleurs, l’ACB demande au ministère des Finances, qui a récemment finalisé l’avant-projet de budget pour 2021, d’anticiper la baisse des revenus de l’État en raison de la diminution de l’activité commerciale. En effet, le dernier indice trimestriel a fait état d’une contraction du chiffre d’affaires réel des commerces de détail (calculé en retirant l’effet de la hausse des prix) de 82,5 % en glissement annuel au troisième trimestre 2020. L’association a également brandi le spectre, de plus en plus tangible, d’une faillite massive de nombreux commerces en raison des nombreux obstacles auxquels ils sont confrontés.
Pour toutes ces raisons, le secteur commercial demande aux autorités libanaises de ne pas prolonger le confinement strict, s’engageant à réduire son effectif à « 50 % » par exemple, et d’effectuer des tests PCR « réguliers » pour ses employés. L’ACB demande également une suppression des impôts et des frais pour les années 2020 et 2021, et si possible, que l’État subventionne « 20 % du chiffre d’affaires ou 80 % des paiements de salaires », entre autres mesures de compensation pour les pertes occasionnées.
Supermarchés
Particulièrement remonté contre les mesures en vigueur depuis la mi-janvier, qui ont contraint les grandes surfaces à se limiter aux services de livraison, Nabil Fahed, le président du syndicat des propriétaires de supermarchés, a de son côté dénoncé une « perturbation de la chaîne d’approvisionnement ». L’entrepreneur rapporte que les grandes surfaces du pays ont subi des baisses de plus de 90 % de la demande, même si les livraisons ont pu légèrement augmenter depuis le début de cette période, couvrant désormais 7 % de la demande environ, soit quatre points de plus qu’avant le début du confinement. Nabil Fahed estime enfin que même les commerces alimentaires qui ont ouvert illégalement – toutes catégories confondues – ont constaté un recul de la demande situé entre « 70 % et 80 % ».
Pour ne rien arranger, les distributeurs de produits alimentaires pourraient bientôt faire face à d’autres problèmes, qui prendront forme « dans quelques semaines », poursuit Nabil Fahed. Tout d’abord, une partie des producteurs de produits laitiers ou les éleveurs de volailles ont cessé d’approvisionner de nombreuses enseignes pour des questions de rentabilité. Enfin, la baisse spectaculaire d’activité de ces commerces a réduit les liquidités disponibles pour pouvoir importer l’ensemble des produits manquants. Une situation qui pourrait provoquer une réduction des stocks alimentaires « de moitié », selon la mise en garde publiée par le président du syndicat des importateurs des denrées alimentaires, Hani Bohsali, dans un communiqué. Il a rappelé que les procédures de paiement aux fournisseurs étrangers étaient rendues plus compliquées par la fermeture des banques.
Agriculteurs et industriels
Les commerçants ne sont pas les seuls à se plaindre du confinement strict et à refuser sa prolongation. Contacté par L’Orient-Le Jour, le président du syndicat des agriculteurs de la Békaa, Ibrahim Tarchichi, reproche aux autorités d’avoir surtout limité la liberté des citoyens de circuler et de consommer, alors même que les chiffres concernant la propagation du virus n’ont pas encore reflété l’efficacité des restrictions. Selon lui, les Libanais achètent habituellement entre « 2 000 à 2 500 tonnes de fruits et légumes par jour », qu’il est virtuellement impossible d’écouler juste en livrant. Il souligne également que les mesures prises par les autorités ont favorisé les producteurs qui ont les moyens de recruter des livreurs aux dépens des autres.De son côté, le président de l’Association des agriculteurs, Antoine Hayek, relève que si les prix de la majorité des produits sont revenus à la normale, soit au niveau d’avant-confinement, la crise du dollar qui affecte la capacité des producteurs à acheter graines et engrais pour replanter risque d’avoir des conséquences dramatiques sur l’inflation à moyen terme, notamment sur certains produits, comme les concombres.
Quant aux industriels, ils ont obtenu la semaine dernière certains aménagements au bouclage total afin de pouvoir répondre notamment aux besoins des hôpitaux et des habitants, ainsi qu’aux exportations (sur présentation de la commande). Étaient également concernées les entreprises produisant des emballages pour les industries exemptées depuis le début (usines pharmaceutiques, de matériel médical et agroalimentaires), ou encore celles pour qui la fermeture totale coûte trop cher (comme les fonderies).
Selon l’Association des industriels (AIL), près de « 6 000 demandes d’ouverture » ont été adressées via la plate-forme dédiée, sur lesquelles 300 ont été acceptées et autant refusées. Ces mesures devaient permettre à terme de ramener au travail 5 000 ouvriers dans les usines cette semaine, selon un communiqué publié samedi par le ministre sortant de l’Industrie Imad Hoballah. Un chiffre confirmé par l’AIL, qui précise que ce nombre s’ajoute aux employés des secteurs déjà exemptés, alors que l’industrie libanaise emploie habituellement « 195 000 » personnes, selon le vice-président de l’AIL, Ziad Bekdache. Toutefois, les usines sont tenues de fonctionner à moins de 50 % de leurs effectifs et les travailleurs présents sur les sites de production doivent subir des tests PCR mensuels. Les exemptions sont accordées pendant une courte période, nécessaire à la production de la commande.
Imad Hoballah veut lever les taxes douanières sur le matériel lié au Covid-19
Le ministre sortant de l’Industrie, Imad Hoballah, a signé hier un projet de décret qu’il a lui-même proposé, avec les ministres sortants des Finances Ghazi Wazni et de la Santé Hamad Hassan, afin de lever les droits de douane sur les produits médicaux utilisés par les hôpitaux et les laboratoires dans le cadre de la prévention et du traitement du coronavirus. Les taxes liées à la consommation interne sont également levées dans le cadre de ce décret, soit la TVA. Mais son application doit encore être signée par le Premier ministre sortant Hassane Diab et le président Michel Aoun.
commentaires (4)
Le secteur privé ... moins les hôpitaux privés, non?
Gros Gnon
21 h 42, le 02 février 2021