Aline, mère et grand-mère, est catégorique. Elle ne s’inscrira pas sur la plateforme dédiée à la vaccination contre le Covid-19 du ministère libanais de la Santé. « Me faire vacciner ? Non merci. Nous manquons de recul par rapport au vaccin anti-Covid-19. Et tellement d’histoires ont été rapportées par les médias. » Elle n’envisage pas non plus d’enregistrer son fils présentant une myopathie. « J’ai trop peur des séquelles », avoue-t-elle. De toute façon, elle « ne sort pratiquement pas » et « prend toutes les précautions nécessaires », avec ou sans pandémie. Même si elle fait partie des aînés, Layla, 91 ans, n’est « pas très chaude pour se faire vacciner ». Les informations relatant le décès de personnes âgées en Europe, quelques jours après avoir reçu leur première dose de vaccin, l’ont particulièrement refroidie. Et ce même si ces décès sont très peu nombreux et si, pour l’heure, ils n’ont pas été attribués au vaccin. « Je vis seule et je ne vois pas grand monde », dit-elle. Le Liban a lancé jeudi la plateforme en ligne de vaccination, avec trois jours de retard, alors que plus de 80 millions de personnes dans le monde ont déjà reçu au moins leur première dose. Une grande partie de la population attend avec impatience l’arrivée des premiers lots du vaccin américano-allemand Pfizer/BioNTech annoncée pour début février. D’autres, malgré leurs appréhensions, ont décidé de se protéger et de protéger leurs proches. Comme Fady, retraité de 64 ans, cardiaque, qui a fini par se rendre à l’évidence. « Je ne voulais pas du vaccin. Mais j’ai côtoyé de près plusieurs personnes contaminées. L’une d’entre elles est décédée et deux autres luttent toujours pour leur survie. Je me ferai donc vacciner pour ma famille, car je suis une personne à très haut risque », dit cet ancien chef d’entreprise. Et ce « quels que soient les effets secondaires ».
Manque de confiance dans les autorités
Face à eux, les vaccino-sceptiques affichent leur méfiance à l’égard d’un produit développé en moins d’un an, vu l’urgence de la situation sanitaire mondiale. Une méfiance qui se traduit en un « désir d’attendre », de « ne pas figurer parmi les premiers vaccinés » ou, plus radicalement, de « passer ». « Le vaccin a été adopté avant même les résultats des tests sur les effets secondaires » à long terme, dit Huguette, architecte d’intérieur. « Je crains aussi qu’il ne soit pas efficace contre les variants britannique et sud-africain. »
Début janvier, des équipes de chercheurs de Pfizer/BioNTech ont conclu, après différentes études, qu’il était « improbable » que le variant anglais « échappe à la protection » de leur vaccin. Le cas échéant, ont-ils ajouté, la « flexibilité » de la technologie de ce vaccin à ARN messager permettrait d’adapter le vaccin à une nouvelle souche du virus. Lundi, Moderna annonçait, pour sa part, que son vaccin suscitait, dans des études en laboratoire, la production d’anticorps contre les variants anglais et sud-africain du coronavirus. De manière générale, l’inquiétude des experts porte plutôt sur l’efficacité des vaccins face aux variants sud-africain et brésilien.
Quoi qu’il en soit, Huguette n’est pas pressée de se faire vacciner. « Pas pour l’instant », dit-elle. De toute façon, elle ne figure pas parmi les personnes prioritaires. En revanche, pas question de prendre le moindre risque concernant sa mère. « Je suivrai les conseils de son médecin traitant », assure-t-elle. Même méfiance de la part de Georges, 65 ans, directeur dans le domaine des assurances. « Nous entendons tellement de choses inquiétantes sur les conséquences néfastes du vaccin, sans savoir si elles sont vraies ou non, que cela m’inquiète », avoue-t-il. « Mais je ne suis pas contre le vaccin. N’étant pas parmi les personnes prioritaires, je ne pense d’ailleurs pas l’avoir de sitôt », ajoute-t-il. Au cœur des hésitations des Libanais, figure aussi, et peut-être surtout, la perte de confiance envers leur classe dirigeante. Car ils doutent de sa capacité à organiser correctement le processus de vaccination. « Je n’ai pas confiance dans le système », lance Souad, une employée âgée d’une cinquantaine d’années. « Je crains que les autorités ne respectent pas les règles de conservation du produit et que la chaîne du froid soit rompue (le vaccin Pfizer doit être stocké à -70 degrés, NDLR). » Même scepticisme de la part de Zanzoun. « Si je vivais ailleurs, je n’hésiterais pas à me faire vacciner. Mais au Liban, je n’ai juste pas confiance. Il y a trop de magouilles, trop de mensonges », martèle l’avocate qui a pourtant « une peur bleue d’être contaminée par le coronavirus ».
Le ralliement aux théories du complot et aux fausses informations
Dans le débat, s’invitent toute une série de questions et la difficulté, parfois, d’obtenir une réponse claire. « Je développe des formes sévères d’allergie. Qui peut m’assurer que je peux être vaccinée sans danger ? » demande Patricia, 71 ans. Barricadée chez elle car une grande partie de sa famille a été contaminée, cette grand-mère, qui présente aussi « des problèmes cardiaques », attend des réponses avant de prendre la moindre décision. Les Libanais, à l’instar de la population mondiale, « baignent dans un contexte de fake news partagées sans filtres sur les réseaux sociaux ». Nombre d’entre eux « rallient les théories du complot sur des conséquences soi-disant néfastes du vaccin ». C’est ce qu’observe Albert Moukheiber, docteur en neurosciences et psychologue clinicien franco-libanais basé à Paris. Dans ce contexte marqué par l’aggravation de la pandémie et l’arrivée des vaccins, « la peur gagne les Libanais ». À cause de la hausse vertigineuse des décès, d’une part, de la nouvelle technologie, celle de l’ARN messager (ARNm), utilisée pour certains vaccins, d’autre part. Les vaccins de Pfizer-BioNTech et Moderna utilisent tous les deux la technique vaccinale à ARN messager, une molécule présente chez tous les êtres vivants. Si la technologie est plutôt nouvelle, une chose est pourtant claire: les vaccins à ARN messager ne peuvent pas, contrairement à ce que certains affirment, modifier l’ADN, car cette molécule ne peut pas entrer dans le noyau de la cellule.
« Le problème ne réside pas dans la peur, celle-ci étant normale », estime Albert Moukheiber. Il réside principalement dans le fait que « les Libanais n’ont pas de leader disposant d’un capital de confiance pour les orienter et les informer », poursuit ce spécialiste du comportement humain. D’où cette « méfiance à l’égard de la classe politique » qui se traduit par un refus intentionnel de se faire vacciner. Or, « si la réaction au niveau de l’intention est normale vu que les vaccins ne sont toujours pas arrivés au Liban », il sera nécessaire d’observer « la différence entre l’intention et le comportement effectif », souligne M. Moukheiber. En France, à titre d’exemple, alors qu’une importante partie de la population avait annoncé son intention de ne pas se faire vacciner, la tendance s’est inversée dès le démarrage de la campagne de vaccination.
commentaires (5)
Malgré tous ces bruits qui circulent sur le net et dans les média français , je suis volontaire pour être vacciné . Le scandale du sang contaminé a provoqué en France une extrême défiance vis à vis des avis médicaux émanant des politiques . Mais depuis l'invention du vaccin il y a tellement de maladies qui ont été éradiquées que l'on ne peut qu'avoir confiance . Il peut exister des effets secondaires mais c'est hélas le cas dans toutes les actions des médecins . Je travaillais comme responsable d'entrepôt dans la grande distribution quand je me suis fait vacciner contre la grippe pour la première fois en 1990 . J'habitais à Châlons/Marne où les hivers sont froids et les automnes humides . Depuis 30 ans je n'ai plus connu ces attaques grippaires qui vous mettent KO pour une semaine . J'avais réussi à obtenir de la direction que les salariés volontaires puissent se faire vacciner directement dans les locaux de l'entreprise . Tout le monde y trouvait son compte , patron comme employés . Je suis en retraite mais je ne tiens pas à rester prudemment caché jusqu'en fin de vie . Je vais donc me faire vacciner ...
yves gautron
20 h 24, le 29 janvier 2021