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Politique - Décryptage

Les nuits chaudes de Tripoli : des acteurs multiples et des agendas différents

Dans le tableau sombre et morne qu’offre actuellement le Liban, le retour des manifestations et la relance du mouvement de protestation au cours des derniers jours, notamment à Tripoli, ont créé l’événement et suscité de nombreuses interrogations.

En début de semaine, et au plus fort des mesures de confinement, les protestataires sont descendus dans la rue à Beyrouth, au Sud, dans la Békaa et au Nord. Ils ont fermé des artères principales et crié leur colère et leur ras-le- bol du bouclage, du chômage forcé et des conditions économiques de plus en plus dramatiques. Ces protestations sont bien sûr totalement justifiées, car au Liban, depuis plus d’un an, les crises s’accumulent et s’amplifient sans qu’aucun espoir ne se profile à l’horizon. Désormais près de la moitié des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté et aucune sortie de crise ne semble en vue, bien au contraire. Sous prétexte que la priorité est à la lutte contre le Covid-19, aucun effort n’est déployé pour trouver des solutions à la crise économique et sociale. Vue sous cet angle, la relance du mouvement de protestation était non seulement compréhensible mais aussi tout à fait normale, en dépit de l’expansion de la pandémie. Mais ce qui a attiré l’attention des services de sécurité, c’est que les protestataires appartenaient à une même coloration confessionnelle, voire à un même camp politique, puisque les manifestations et la fermeture des routes n’ont eu lieu que dans les régions à majorité sunnite. Dans ce contexte, il faut préciser que le courant du Futur est la seule formation sunnite à avoir une telle influence dans toutes ces régions. De là à conclure que les protestataires ont été encouragés à descendre dans la rue par le courant du Futur, qui essayait ainsi d’envoyer un message au président de la République qu’il accuse d’entraver la formation du gouvernement, il n’y a qu’un pas.

Reportage

« Nous voulons mourir en martyrs »

Les sources de la présidence ont aussitôt riposté en déclarant à la chaîne al-Mayadeen que la présidence ne cède pas aux pressions et que ce qui n’a pu être obtenu par la politique ne peut l’être en utilisant la rue... De son côté, le président du Conseil désigné a publié un communiqué pour appeler les protestataires à se retirer des rues, voulant ainsi se dégager de toute responsabilité dans la relance du mouvement de protestation. À Saïda, à Barja, à Taalabaya et à Beyrouth, les manifestants ont suspendu leurs activités. Peut-être pour mieux redescendre dans les rues, comme le disent certains, mais à ce stade, ils s’en sont retirés. Seule la ville de Tripoli continue à être le théâtre de scènes de protestation parfois violentes, à la limite des émeutes.

Depuis le début de cette semaine, Tripoli connaît donc des nuits chaudes et violentes, au cours desquelles les manifestants n’hésitent pas à s’en prendre aux soldats, mais aussi aux éléments des FSI et en particulier ceux de la branche des renseignements, dont un des bureaux au sérail de la ville a été attaqué. En même temps, les forces de l’ordre ont riposté violemment et un jeune homme a été gravement atteint dans la nuit de mercredi à jeudi avant de mourir des suites de ses blessures.

Tous ces éléments montrent que ce qui se passe à Tripoli est différent du mouvement qui s’est manifesté dans la Békaa, au Sud et à Beyrouth, la capitale du Nord étant, depuis quelque temps déjà, tiraillée entre plusieurs influences contradictoires et devenant une scène d’affrontement entre différentes forces.

Selon des sources de sécurité bien informées, il y aurait donc plusieurs acteurs différents dans les émeutes de Tripoli, qui lancent une série de messages politiques, en plus des groupes de la société civile qui ont des revendications précises dépassant les mesures de confinement et la crise sociale.

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Selon ces sources, parmi les acteurs politiques, il y a bien sûr les partisans du courant du Futur, qui cherchent à s’imposer dans la ville, sachant qu’au cours des dernières élections législatives ils n’ont pas obtenu de grands scores, se voyant contraints à nouer une série d’alliances pour pouvoir obtenir leurs sièges. Il y a aussi les groupes qui se sont ralliés à Baha’ Hariri, qui eux aussi cherchent à gagner en popularité à Tripoli, le frère de Saad Hariri ne cachant plus son intention de vouloir jouer un rôle sur la scène politique locale, surtout après l’affaiblissement du courant du Futur. Il y a aussi les partisans de l’avocat et activiste Nabil Halabi, qui a commencé à travailler pour le compte de Baha’ Hariri avant de s’installer en Turquie et de diriger depuis là-bas des groupes d’obédience turque. Baha’ Hariri a d’ailleurs été obligé de le désavouer, étant lui-même proche des Saoudiens et des Émiratis. On peut citer encore les partisans de l’ancien ministre de la Justice Achraf Rifi, qui a perdu une partie de son influence au cours des élections législatives de 2018 et qui cherche de nouveau à s’imposer en se présentant comme le porte-voix de ceux qui se sentent marginalisés à Tripoli. Achraf Rifi, qui a longtemps été l’homme fort des FSI et de la branche des renseignements au sein de ces forces, aurait perdu son influence et chercherait ainsi à se rappeler au bon souvenir de leurs nouveaux dirigeants. Enfin, et c’est là un élément nouveau dans les multiples conflits qui se déroulent à Tripoli, il y aurait aussi des tiraillements entre les partisans du directeur général des FSI, le général Imad Osman, et ceux du directeur de la branche des renseignements, le général Khaled Hammoud, qui ont semble-t-il des agendas différents, au Liban-Nord notamment. Selon les sources précitées, ce dernier département aurait ainsi un plan pour infiltrer les groupes de protestataires, afin de contrôler le terrain au Nord et en particulier à Tripoli, alors que les FSI en général ont des instructions strictes pour maintenir le calme et prendre des mesures contre les fauteurs de troubles.

À cause donc de la pauvreté, de la négligence de l’État et du manque de projet clair chez ses leaders traditionnels, Tripoli est ainsi livrée à elle-même et à des acteurs multiples, chacun ayant son propre agenda. Mais en définitive, quels que soient les objectifs politiques de ces différents acteurs, ils ne peuvent pas cacher la grande misère des habitants de la ville et l’absence de perspective d’avenir.

Dans le tableau sombre et morne qu’offre actuellement le Liban, le retour des manifestations et la relance du mouvement de protestation au cours des derniers jours, notamment à Tripoli, ont créé l’événement et suscité de nombreuses interrogations.
En début de semaine, et au plus fort des mesures de confinement, les protestataires sont descendus dans la rue à Beyrouth, au Sud, dans...

commentaires (5)

Résumé de l'article : Prez solide est bon, premier minist' est en fait premier milice méchant, nos frères tripolitains pauvres encore plus pauvre car l'état (non précisé dans le texte) est inutile. ...Allah yirham la série télévisée " Tales from the DéCryptage "

Wlek Sanferlou

14 h 51, le 29 janvier 2021

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Commentaires (5)

  • Résumé de l'article : Prez solide est bon, premier minist' est en fait premier milice méchant, nos frères tripolitains pauvres encore plus pauvre car l'état (non précisé dans le texte) est inutile. ...Allah yirham la série télévisée " Tales from the DéCryptage "

    Wlek Sanferlou

    14 h 51, le 29 janvier 2021

  • """"Selon les sources précitées, ce dernier département aurait ainsi un plan pour infiltrer les groupes de protestataires, afin de contrôler le terrain au Nord et en particulier à Tripoli, alors que les FSI en général ont des instructions strictes pour maintenir le calme et prendre des mesures contre les fauteurs de troubles."""" Et ce n’est pas un internaute qui le dit. Ainsi donc les révolutionnaires ont été infiltrés et la rivalité entre les différents services peut donner un avantage à l’un d’eux. Pour le reste, je signe des deux mains leurs revendications, et, oooooh ! combien vous avez raison quand vous écrivez : ""Ces protestations sont bien sûr totalement justifiées, car au Liban, depuis plus d’un an, les crises s’accumulent et s’amplifient sans qu’aucun espoir ne se profile à l’horizon"". Si la capitale du nord est le théâtre d’un soulèvement sans précédent, en contraste avec les villages cités, c’est que les événements révolutionnaires ne se produisent que dans les grandes agglomérations urbaines, et si le mouvement est monochrome dans sa confession, c’est que Tripoli est très majoritairement sunnite, ne l’oublions pas. On en marre de voir de ridicules retraites grignotées par la dévaluation, des jeunes désœuvrés à la recherche d’un avenir meilleur. On a marché sur le Capitol sous Trump, les Gilets jaunes sur l’Arc du Triomphe sous Macron, et à Tripoli sur l’hôtel de ville, et ce n’est que justice faite en fin de compte.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    14 h 17, le 29 janvier 2021

  • JE NE LIS PAS DES BOURDES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 05, le 29 janvier 2021

  • Merci pour cet article : vous êtes bien documentée Bravo.

    aliosha

    11 h 29, le 29 janvier 2021

  • Est-ce qu’on vous lit encore?

    Michael

    03 h 03, le 29 janvier 2021

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