« À l’aide d’une approche micro-sociologique et microéconomique basée sur les résultats d’une enquête par sondage que j’ai menée sur un large échantillon d’agriculteurs libanais, j’ai pu identifier les problèmes économiques et sociaux auxquels ils font face, notamment celui de ne pas pouvoir bénéficier de protection sociale », explique Carla el-Hayek. La jeune femme a mené sa thèse à l’USEK, sous la direction des professeurs Ibrahim Maroun et Mirna Mzawak, sur le thème « Les agriculteurs au Liban : opportunités et contraintes », et l’a soutenue le 18 décembre, recevant la mention très honorable.
Pour mener à bien sa recherche, cette jeune mère de trois enfants a sillonné les routes du Liban pour rencontrer 350 agriculteurs qui ont accepté de répondre chacun à 65 questions. Une démarche qui a permis à Carla el-Hayek de pointer les obstacles que doivent surmonter, au quotidien, les agriculteurs libanais qui sont liés en particulier aux politiques économique, financière, monétaire et sociale adoptées par l’État.
Au sujet de la situation socio-économique des agriculteurs, les chiffres indiquent que la moitié des personnes interrogées exercent un second métier pour pouvoir subvenir à leurs besoins et qu’ils sont seulement 20 % à adhérer à une coopérative agricole. Faute d’infrastructures d’irrigation, 63 % d’entre eux sont amenés à investir dans la construction d’étangs, de réservoirs et de bassins d’eau, et dans le forage des puits artésiens, ce qui peut s’avérer assez coûteux. Quant au financement bancaire de l’agriculture, il est quasi nul : les prêts accordés par les banques commerciales à ce secteur représentent moins de 1 % du total de leurs crédits. En ce qui concerne la commercialisation de la production agricole au Liban, plus de la moitié des agriculteurs vendent leur production soit à perte, soit sans aucun bénéfice, soit avec un bénéfice très modeste, et doivent faire face à la concurrence étrangère. « En définitive, un peu plus de la moitié des agriculteurs subit des pertes et la marge des bénéfices est très maigre dans la plupart des cultures, d’où la nécessité pour eux de disposer de revenus non agricoles sans lesquels beaucoup auraient renoncé à leur activité. Ils sont donc nombreux à déconseiller à leur entourage de se lancer dans l’agriculture, estimant qu’il s’agit d’un travail non rentable, éprouvant et avec peu de reconnaissance sociale », regrette Carla el-Hayek.
Mettre en place une politique de redressement agricole
« Face à toutes ces contraintes, les agriculteurs libanais affichent une résilience et poursuivent leurs activités pour différentes raisons, parmi lesquelles figurent leur attachement à la terre, leur situation socio-économique précaire ou le manque d’alternatives, surtout lorsqu’ils sont analphabètes. Ils vivent avec l’espoir de voir leur situation évoluer », relève la chercheuse. Mme Hayek rappelle d’ailleurs que le secteur de l’agriculture doit être développé au Liban, d’autant que le pays possède une diversité climatique permettant de varier la culture, qu’il bénéficie de l’abondance des ressources hydrauliques et de terres fertiles, et qu’il dispose d’un marché arabe assez vaste pour ses exportations, assuré par les accords commerciaux signés dans le cadre de la Ligue arabe. « J’ai consacré le dernier chapitre de ma thèse à la proposition d’une nouvelle politique agricole locale qui tient compte des différents dysfonctionnements de ce secteur. Celle-ci comporte plusieurs nouvelles mesures dans les domaines de la baisse des prix des intrants agricoles, de la vulgarisation agricole, du financement, de la commercialisation, de la recherche, de la protection sociale, du remembrement des terres, de l’irrigation et des prix de soutien », indique encore la jeune chercheuse.
L’étude opérationnelle qu’elle a menée profiterait, entre autres, aux ingénieurs agronomes, aux investisseurs agricoles, aux banques prêtant de l’argent aux agriculteurs, et aux chercheurs en sociologie et en économie rurales. « Très peu de recherches portant sur la situation socio-économique des agriculteurs ont été menées, jusqu’à présent, sur le plan local. C’est pourquoi j’ai souhaité développer un sujet de thèse qui s’inscrive dans le cadre de la sociologie rurale, permettant de publier des données scientifiques précises indispensables pour mettre au point une politique de redressement agricole au Liban », précise-t-elle.
L’étude menée par Carla el-Hayek se distingue des différents recensements agricoles effectués au Liban après la guerre, « dont les données étaient fournies par un seul ou deux informateurs dans chaque village ou localité ». « Les informations que j’ai publiées, je les ai collectées directement auprès des agriculteurs, ce qui les rend bien plus précises », souligne la chercheuse, déjà titulaire d’une licence en sciences sociales de l’USEK depuis 2002 et d’un DEA en sciences sociales, option sociologie du développement, de l’Université libanaise, obtenu en 2015. Ayant travaillé pendant plusieurs années comme professeure de sociologie dans les classes secondaires, la doctorante espère à présent pouvoir se consacrer pleinement à l’enseignement académique et à la recherche.
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