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Nos Lecteurs ont la Parole

Pour ne pas pleurer Beyrouth une quatrième fois

« Byrt, Biruta, Berytos, Béryte, Beyrouth, souvent conquise, jamais absorbée. »

La souffrance façonne le caractère d’une personne. La douleur peut nous mouler pour devenir des créatures plus fortes et plus résilientes. Mais arrive le moment où l’on ne doit plus ni abdiquer, ni accepter, ni tolérer la souffrance, la honte et l’injustice qui nous sont imposées.

Beyrouth a longtemps enduré l’injustice. Nous ne devons plus la pleurer encore une fois ni ramasser lentement, pièce par pièce, les débris de nos corps et de nos âmes.

Beyrouth notre ville bien aimée, notre divine inspiratrice, qui, malgré sa petite taille, s’est dressée parmi les cités les plus rayonnantes. Beyrouth ne doit plus pleurer ni s’effondrer, ni s’engouffrer dans un destin maudit imposé par les forces du mal. Il est temps que Beyrouth reprenne son charme, sa diversité et sa splendeur.

Selon l’historien Antoine Sfeir, « il y a quatorze siècles, un formidable cataclysme ravage en quelques instants la colonie romaine de Béryte, que les hommes croyaient éternelle, et ses trente mille habitants. La position géographique de Beyrouth entre les deux grands empires des vallées du Nil et de l’Euphrate a toujours joué un rôle important, favorisé par l’abri naturellement protégé des vents et de la houle. Sa position stratégique entre Orient et Occident, et celle entre Nord et Sud ont contribué à la faire convoiter par les puissances étrangères qui rivaliseront pour la contrôler. En (-)31, la Pax Romana confère à Berytos le privilège de “ius italicum”, valant exemption fiscale, qui contribue à sa prospérité pendant des siècles. La ville se développe tellement qu’elle finit par acquérir une puissance économique, politique et intellectuelle parfois aussi importante que celle de Rome ou de Byzance – comme en témoigne pendant trois siècles son école de droit qui acquit sous Justinien (527-565) le titre de “privilegium studii”. Grande cité portuaire romaine, elle possède des bâtiments publics, temples, théâtres, bains, forums, hippodrome. Ce n’est qu’au X1Xe siècle que les agents consulaires ont commencé à reconnaître son fabuleux patrimoine antique. » (extraits de l’article « Le Carrefour des civilisations antiques », par Antoine Sfeir, paru dans Historia hors-série juin-juillet 2019).

Les habitants qui n’ont pas péri dans l’hécatombe de Béryte ont pleuré pour la première fois Beyrouth, et ce plusieurs jours durant.

Beyrouth se rétablit et devint de nouveau un carrefour des civilisations, une route commerciale et le centre du Moyen-Orient.

Les Libanais ont pleuré une deuxième fois Beyrouth plusieurs années durant, de 1975 à 1990, durant la guerre civile du Liban, lorsque le pays perdit plus de 150 mille morts et 200 mille mutilés et blessés, ainsi qu’une part importante de son patrimoine et de ses richesses.

Beyrouth a vite ressuscité, elle s’est modernisée et a repris progressivement sa place. Mais l’appel de la destruction lui est familier, et elle subit atrocement encore une fois les ravages de la guerre en 2006.

Elle s’en relève encore une fois avec courage et obstination. Beyrouth suscite l’intérêt et la curiosité de la presse internationale par sa résilience et sa capacité de se remettre en mouvement, e t devient à nouveau une destination de choix. Le New York Times la cite comme la première ville à visiter.

En ce jour fatidique du 4 août 2020, à 18 heures 7 minutes, un cataclysme ravage en quelques secondes des dizaines de quartiers de la ville de Beyrouth et ses environs. 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium ont fait partir en éclats plus de 200 vies humaines et causé 6 500 blessés, et ont laissé une ville en ruine. Plus de 2,5 milliards de dollars de dégâts matériels ! Les cicatrices physiques et psychiques laissées auprès de dizaines de milliers d’hommes et de femmes endeuillés sont profondes.

Depuis cette double explosion quasi atomique, les tergiversations et l’irresponsabilité de nos dirigeants ont fait en sorte que le monde arabe et l’Occident ont délaissé le Liban politique. L’argent se raréfie et le blocage des institutions persiste. Les Libanais commencent à perdre l’espoir et à quitter par centaines le pays, toutes catégories socio–économiques et religieuses confondues. La lueur d’espoir du 17 octobre 2019, lorsque les Libanaises et Libanais de tout âge et toutes appartenances envahissaient par centaines de milliers les rues, manifestant pour un avenir meilleur, plus juste, qui réponde à leurs aspirations les plus élémentaires de dignité et de reconnaissance, a cédé la place à l’échec et au désespoir. L’hécatombe du 4 août 2020, cette fois, n’a pas fait pleurer pour la troisième fois les Libanais seulement, mais aussi le monde. Beyrouth était à la une dans tous les médias durant des dizaines de jours. Le monde nous regarde avec compassion et dignité, et nos responsables continuent d’ignorer l’ampleur de la tragédie.

Hommes politiques, administrateurs, banquiers, chacun doit répondre tôt ou tard de ses dires et de ses actes.

Le port est le cœur battant de Beyrouth et sa route pour le monde.

Le port de Haïfa ne remplacera pas le port de Beyrouth. Tel-Aviv ne se substituera pas à Beyrouth. Chaque ville a sa spécificité et sa couleur. Seule Beyrouth possède la couleur de la cendre, du feu, du soleil et du ciel. En s’obstinant à vouloir s’aligner sur un axe déterminé, le Liban a perdu le capital de sympathie que lui réservaient l’Occident et les pays du Golfe. Le pays a perdu toute son attractivité pour les milieux d’affaires qui l’ont déserté, ainsi que des centaines de milliers de jeunes et une partie importante de ses ressources humaines. Entre-temps, les cinq plus grandes compagnies cotées en bourse (Gafam) ont des centres actifs de recherche en Israël.

Nos héros, nos sauveurs, les donneurs d’espoir ne sont pas ceux qui nous gouvernent

Nos héros sont des centaines de milliers de résidents, d’expatriés et d’émigrés, bâtisseurs d’entreprises, chercheurs, médecins, avocats, ingénieurs, actifs dans tous les domaines, qui se sont frayés un chemin dans l’intelligence, la dignité et la réussite.

Nos héros s’appellent Fayrouz, les Rahbani, Ibrahim Maalouf, Mika, Shakira, Salma Hayek, Amin Maalouf, Wajdi Mouawad, Nassim Nicolas Taleb, Amal Alameddine, Léa Salamé, Nadine Labaki, Élie Saab, Zouhair Mourad, Carlos Slim, Rodolphe Saadé, Carlos Ghosn et tant d’autres… Ce réservoir d’intelligence, de courage de femmes et d’hommes de bonne volonté sera sans doute prêt à se mobiliser de nouveau pour que le pays sorte de sa léthargie.

Pour ne pas pleurer Beyrouth une quatrième fois, donnons-nous une chance de raviver la flamme du 17 octobre 2019 en nous rassemblant près du port le 4 août 2021 pour nous souvenir, et pour célébrer un festival d’espoir et de détermination en chansons, en musique et en poésie, qui enterre nos douleurs et ravive notre droit à la vie.

Des dizaines d’artistes résidents ou émigrés voudraient participer à cette célébration, comme ils l’ont déjà fait à maintes reprises, pour honorer « Beyrouth ville éternelle ».

Nous souhaitons que cette journée soit une mobilisation en écho au 17 octobre 2019, un ralliement de toutes les forces vives en vue des prochaines législatives. Unissons-nous pour gagner la bataille de la citoyenneté, celle de ne plus appartenir à nos confessions, et à nos clans et tribus, mais fiers d’appartenir à un Liban qui est un État-nation. Un Liban de l’espoir pour notre jeunesse et les générations à venir afin qu’elles n’abdiquent pas et laissent périr le pays du Cèdre. L’espoir est incrusté dans nos gènes. Unissons-nous pour un vrai changement afin que le Liban reconquière sa place parmi les nations fières et prospères, terre d’espoir et de liberté.

Ne pleure pas Beyrouth, efface tes larmes et porte ta plus belle robe, ce soir on sort, éternelle Beyrouth.

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« Byrt, Biruta, Berytos, Béryte, Beyrouth, souvent conquise, jamais absorbée. »
La souffrance façonne le caractère d’une personne. La douleur peut nous mouler pour devenir des créatures plus fortes et plus résilientes. Mais arrive le moment où l’on ne doit plus ni abdiquer, ni accepter, ni tolérer la souffrance, la honte et l’injustice qui nous sont...

commentaires (1)

J ai beaucoup apprécié votre article mR jabre , mais je crains que cette fois , c en est fait de notre Beyrouth

Robert Moumdjian

04 h 34, le 02 février 2021

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Commentaires (1)

  • J ai beaucoup apprécié votre article mR jabre , mais je crains que cette fois , c en est fait de notre Beyrouth

    Robert Moumdjian

    04 h 34, le 02 février 2021

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