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Société - Santé

De l’impact de la crise sanitaire sur la médecine ordinaire

Les hôpitaux reportent les interventions chirurgicales non urgentes et les patients hésitent à se déplacer pour consulter ou passer des examens médicaux.

De l’impact de la crise sanitaire sur la médecine ordinaire

Une pathologie opérable à froid est aujourd’hui souvent remplacée par un traitement médicamenteux que le patient peut suivre à la maison. Photo d’archives

À quelques semaines du premier anniversaire de l’apparition du premier cas de contamination au coronavirus (21 février), la pandémie accapare à outrance le secteur médical, embrigadant hôpitaux, médecins, infirmiers et personnels de santé. La mobilisation est si concentrée autour de ce qui est devenu un fléau qu’il est légitime de se demander si la pandémie n’impacte pas la médecine ordinaire, c’est-à-dire ne provoque pas une défaillance dans la prise en charge des autres pathologies qui persistent en parallèle. Saturés, les établissements hospitaliers accueillent-ils tout autant de patients souffrant de maladies ordinaires ? Ces patients eux-mêmes s’y rendent-ils aussi fréquemment pour se faire soigner ?

L’ordre des médecins présidé par Charaf Abou Charaf donne le ton. « Nous avons émis une circulaire dans laquelle nous demandons aux praticiens de reporter les interventions chirurgicales non urgentes et d’espacer les rendez-vous dans leurs cabinets, qu’ils soient privés ou situés dans les hôpitaux », explique le Dr Abou Charaf à L’Orient-Le Jour. « La première recommandation est motivée par le surencombrement des salles d’opération et des chambres d’hôpital », ajoute-t-il, rappelant que « nombre d’établissements hospitaliers, tels l’hôpital Saint-Georges des grecs-orthodoxes et l’hôpital Jeïtaoui, ont transformé des étages voués à l’origine aux patients ordinaires en services consacrés aux malades du Covid-19 ». « Même les 120 lits de l’hôpital de campagne (offert par l’émirat du Qatar) qu’on essaie d’installer sur le parking attenant à l’hôpital Saint-Georges vont être occupés par ces malades », indique le président de l’ordre des médecins. « Les deux prochains mois seront terribles. Les besoins sont énormes, d’autant que certains établissements hospitaliers détruits lors de la double explosion au port de Beyrouth restent hors service pour cause de réparations », déplore-t-il. Et de s’interroger par ailleurs : « Pourquoi le ministère de la Santé impose-t-il aux hôpitaux privés d’ouvrir leurs portes aux malades du Covid-19 sous peine de sanctions, alors qu’il n’équipe pas à cet effet les établissements hospitaliers publics situés dans les régions ? » « L’hôpital gouvernemental de Zahlé emploie 185 personnes et comporte 200 lits, mais a un taux d’occupation qui ne dépasse pas 10 % ! » s’indigne encore le Dr Abou Charaf.

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Ainsi, face à un système de santé qui menace de s’effondrer et dans le cadre des efforts déployés pour contrer la crise sanitaire, les hôpitaux privés qui se sont munis d’une infrastructure apte au traitement du Covid-19 n’ont d’autre choix que d’ajourner les interventions médicales dont le report ne constitue pas un danger pour la santé. « Désormais, les chirurgies électives sont repoussées », déclare Sleiman Haroun, président du syndicat des hôpitaux, joint par L’OLJ. « Une pathologie opérable à froid est aujourd’hui souvent remplacée par un traitement médicamenteux que le patient peut suivre à la maison », indique-t-il. Exit donc les « admissions froides ». « Les hôpitaux font d’ores et déjà un tri. Ils n’admettent plus que les cas graves ou urgents, comme par exemple un infarctus, une péritonite ou une fracture », ajoute M. Haroun, précisant que « les personnes qui en souffrent sont conduites immédiatement vers les services concernés pour éviter le risque de contamination dans les services d’urgence ». D’ailleurs, ces derniers sont submergés. « Au départ, les urgences étaient réservées aux blessés et aux malades ordinaires. Dans une deuxième étape, on y recevait également les malades du Covid-19, tandis qu’à présent, on n’y admet plus que ces derniers. »

Il reste que certaines maladies nécessitent l’accès aux hôpitaux pour des soins continus et constants. « Mon mari souffre d’une insuffisance rénale », explique Tilda Sfeir, qui accompagne son époux trois fois par semaine à des séances de dialyse à l’hôpital Saint-Georges des grecs-orthodoxes. « Nous n’avons pas d’autre option », note-t-elle, se voulant toutefois « rassurée » quant à l’organisation et à l’aménagement du centre de traitement. « L’entrée du service est indépendante de l’entrée principale », affirme-t-elle, soulignant que « les proches des patients sont interdits d’entrer dans les deux salles communes réservées à la dialyse ». « Les patients sont répartis en trois rotations qui s’étalent dans la journée », constate Mme Sfeir, évoquant également d’autres mesures de précaution, notamment les prises de température et le port du masque.

Test PCR avant l’accouchement

Au Bellevue Medical Center (BMC), situé à Mansourieh (Metn), on tente de faire la part des choses. « Le Covid-19 n’est pas le monde », lance le Dr Ghassan Maalouf, vice-président des affaires médicales de l’établissement. « Un hôpital doit avoir une politique pour servir son environnement et l’ensemble de la communauté », dit-il, soulignant que même lorsque la crise frappe, les patients ordinaires doivent pouvoir continuer à bénéficier de leurs traitements vitaux. Plusieurs chambres restent ainsi destinées aux cardiaques, ou aux personnes souffrant de cancer ou de maladie grave. Dans les salles d’opération, on continue à pratiquer les interventions liées à la médecine ordinaire, quoique dans une moindre mesure. C’est qu’une partie du personnel de santé est désormais affectée aux malades du Covid-19, installés au deuxième sous-sol, dans un étage totalement isolé du reste de l’hôpital. Trente lits y sont disponibles.

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Le BMC continue également d’accueillir les femmes enceintes dans son service maternité, mais dans le respect de mesures strictes. Une femme qui veut accoucher sur rendez-vous doit être préalablement munie d’un résultat négatif du PCR, tandis que celle qui se présente pour un accouchement spontané est soumise ainsi que son mari qui l’accompagne à des tests rapides. Au cas où le résultat de son test ne serait pas encore disponible au moment où elle doit accoucher, la future maman est considérée comme ayant été testée positive, en ce sens que son gynécologue et le personnel de l’équipe médicale redoublent de précautions, notamment en enfilant des équipements de protection individuelle (EPI).

La mobilisation autour du Covid-19 semble impacter la prise en charge des autres pathologies. Photo d’archives

Les consultations en cabinet

Quant à la seconde recommandation prescrite par l’ordre des médecins, celle de limiter le nombre de rendez-vous dans les cabinets médicaux, Charaf Abou Charaf, cardiopédiatre de profession, la justifie par le danger de contamination que présenteraient une proximité entre patients et une interaction entre médecins et patients. Sauf qu’il est impératif de poursuivre en cabinet les soins de base. « La vaccination systématique contre les maladies (poliomyélite, diphtérie, rougeole, rubéole…) ne doit en aucun cas pâtir du branle-bas causé par la crise sanitaire », martèle le Dr Abou Charaf, qui admet consulter en présentiel « les situations urgentes ». Ce que la majorité des médecins continuent de faire. Le reste se fait à distance. « En discutant au téléphone avec les parents d’un petit patient, je peux décaler sa visite annuelle de routine s’il m’apparaît que son état général est bon. » Le président de l’ordre des médecins suggère plus généralement qu’en ce temps de coronavirus, les gens sollicitent leurs médecins de famille sans nécessairement se rendre auprès d’eux. « Le malade informe au téléphone le spécialiste de ses symptômes. Ce n’est que lorsque ce dernier suspecte la moindre anomalie qu’il lui demande de venir à son cabinet pour un examen physique », explique-t-il.

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La recommandation de l’ordre des médecins n’est pas la seule raison pour laquelle les cabinets sont peu fréquentés. De plus en plus conscients de la réalité de la pandémie, les gens sont réticents aux visites médicales. Par peur de contracter le Covid-19, des malades souffrant de diabète, d’hypertension ou encore de pathologies cardio-vasculaires redoutent eux-mêmes de se déplacer pour assurer le suivi de leur état de santé. « Je me contente des prescriptions que m’avait données mon médecin traitant l’an dernier », avoue Antoine, 71 ans, estimant que sa visite de routine « peut bien attendre ». Pour le même motif, nombre de personnes qui ressentent de nouveaux symptômes s’abstiennent de faire des tests médicaux. C’est le cas de Ghassan, 48 ans, qui souffre depuis cinq jours d’un mal de dos. « Je devrais bientôt me rétablir », juge-t-il, avouant craindre que « la machine d’IRM (imagerie par résonance magnétique) ne soit pas suffisamment désinfectée ».

Les centres d’imagerie déserts

Les centres d’imagerie sont d’ailleurs quasiment désertés. Le directeur d’un cabinet de diagnostic radiologique à Beyrouth confie que la fréquentation est désormais réduite de 75 %. « Lors du dernier confinement (en novembre dernier), les chiffres n’avaient pas baissé, mais depuis une dizaine de jours, les gens évitent de boucler des rendez-vous d’examens parce qu’ils appréhendent de sortir. Les moins craintifs nous appellent pour en prendre, mais ils finissent souvent par les annuler », observe-t-il, avant de lâcher : « Ceux qui se présentent dans nos locaux sont pour la plupart des patients “post-Covid” sollicitant des clichés des poumons. »

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D’ailleurs, pour pouvoir passer des examens médicaux, il faut être muni d’une ordonnance qu’aura délivrée le médecin traitant. Joseph Abboud, obstétricien et chirurgien oncologue, constate que les patientes réclamant une prescription pour des écographies et mammographies routinières se sont faites plus rares récemment. Les consultations se limitent à la surveillance des grossesses et aux cas urgents, telle une hémorragie ou une tumeur au sein. Mais même s’il s’agit de cas moins graves, repousser la quête d’un diagnostic ne représente-t-il pas un risque de détérioration de la santé ? Le spécialiste ne semble pas inquiet : « Retarder quelque peu un rendez-vous médical ne constitue pas réellement un danger. » Au Liban, le délai entre une première consultation et une biopsie (en passant par un examen radiologique) est très court (48h), indique le Dr Abboud, comparant avec l’Europe où « le circuit entre un premier rendez-vous et un prélèvement biologique dure en moyenne plusieurs semaines ».

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