Rechercher
Rechercher

Moyen-Orient - Entretien express

Les sanctions US contre les houthis, une arme à double tranchant

Elana DeLozier, chercheuse au Washington Institute for Near East Policy, répond aux questions de « L’Orient-Le Jour ».

Les sanctions US contre les houthis, une arme à double tranchant

Un combattant houthi montant la garde lors d’un rassemblement commémorant la mort de l’imam chiite Zayd ibn Ali dans la capitale yéménite, Sanaa, le 14 septembre 2020. Mohammad Huwais/AFP via Getty Images

La possibilité d’inscrire les houthis sur la liste américaine des « organisations terroristes » était évoquée depuis plusieurs mois et Washington l’a finalement concrétisée dimanche dernier. Le chef des rebelles yéménites, Abdel Malek al-Houthi, et deux autres dirigeants sont aussi ciblés par cette mesure. Le groupe, également appelé Ansarullah et soutenu par Téhéran, est l’un des deux protagonistes principaux du conflit yéménite avec le gouvernement de Abd Rabbo Mansour Hadi, appuyé quant à lui par une coalition menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Applaudie par le gouvernement yéménite et l’Arabie saoudite, la décision de l’administration de Donald Trump a été largement décriée par les rebelles, mais aussi par les ONG et des membres du Congrès américain, alors qu’elle pourrait avoir de lourdes répercussions sur les plans diplomatique et humanitaire. Prise à une dizaine de jours de l’investiture du président élu Joe Biden, elle doit entrer en vigueur le 19 janvier. Interrogée par L’Orient-Le Jour, Elana DeLozier, chercheuse au Washington Institute for Near East Policy, fait le point sur les conséquences de l’initiative américaine.

Comment expliquer la décision de Washington de désigner les houthis comme « terroristes » ?

Le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, a évoqué la possibilité d’une désignation il y a plusieurs mois, ce n’est donc pas une idée nouvelle. Les rapports ont d’abord suggéré que cela pourrait se produire en décembre, mais cela a été retardé. Bien que nous n’ayons pas connaissance des raisons de ce retard, cela pourrait être dû au fait que les licences pour garantir (l’acheminement de) l’aide humanitaire n’étaient pas encore prêtes. L’administration Trump voulait que cela se fasse avant qu’elle ne quitte ses fonctions, dans le cadre de sa politique qui se veut ferme contre le terrorisme et l’Iran. Sa prise de décision a également été fortement poussée par l’Arabie saoudite et le gouvernement yéménite, par crainte que l’administration de Joe Biden ne soutienne pas une telle politique.

Qu’est-ce que cela signifie concrètement pour les houthis ?

La désignation dissuadera certaines parties internationales, telles que les agences humanitaires et les acteurs locaux, de travailler avec les houthis ou l’une des institutions financières qu’ils contrôlent. Elle réduira le contrôle exercé par les houthis et leurs revenus, mais elle aura également un impact sur le peuple yéménite et le secteur privé. Ceux qui sont contre cette désignation ont fait part de leurs inquiétudes de voir les conséquences négatives sur le secteur privé et la communauté humanitaire l’emporter sur les dommages causés aux houthis. Si les désignations individuelles ont moins de chances d’avoir un impact sur les comptes bancaires nationaux des personnes concernées, cela crée un statut de paria dont elles pourraient vouloir se délester une jour.

Lire aussi

Classés « terroristes », les houthis s’en prennent à l’administration Trump


Quel impact pourrait avoir cette mesure sur le processus de paix ?

Les partisans de la désignation suggèrent que cette décision constitue un levier pour d’éventuelles négociations de paix. Ils y voient une politique qui poussera les houthis à venir à la table des négociations pour que la désignation soit retirée. Ceux qui sont contre cette politique estiment que la décision rapprochera davantage les houthis de l’Iran et n’aura pas l’impact positif attendu sur les négociations. À la place, une désignation pourrait entraver le processus de paix en rendant difficile pour les responsables américains de soutenir sur le plan diplomatique les pourparlers du gouvernement yéménite avec un « groupe terroriste » ou encore en limitant la capacité de l’ONU à travailler avec les houthis, de peur qu’un « soutien matériel » ne soit fourni par inadvertance, par exemple. Cela peut également avoir un impact sur la médiation liée au FSO Safer, un pétrolier actuellement amarré au large des côtes du Yémen sous contrôle houthi. La peur est que le pétrolier, s’il n’est pas correctement entretenu, fuira ou se rompra. Si les experts ne sont plus en mesure de traiter avec les houthis, cela les empêchera de résoudre le problème.

Qu’en est-il des conséquences sur les travailleurs humanitaires sur le terrain ?

Les agences humanitaires, les experts travaillant sur le Yémen, les alliés des États-Unis et même les responsables américains ont averti, en public et en privé, qu’une désignation pourrait entraîner des conséquences involontaires, même la famine. La désignation va restreindre la capacité des travailleurs humanitaires à fournir une assistance aux 80 % des Yéménites qui vivent sous le contrôle des houthis. Les agences humanitaires craignent que les licences promises par les États-Unis – qui leur permettraient de poursuivre leurs opérations malgré la désignation – ne soient pas prêtes à temps ni suffisantes. Nombreux sont ceux qui citent le cas de la Somalie en 2011 comme exemple, où la famine est survenue quelques années seulement après la qualification du groupe Shebab de terroriste et où les licences étaient insuffisantes. Faisant déjà face à un déficit de financement, ces agences vont porter un fardeau encore plus lourd qui compliquera davantage leur travail dans le pays. Le Yémen est déjà dans un état de quasi-famine et l’inquiétude est que tout impact négatif sur le secteur privé, combiné à une incapacité à apporter de l’aide au pays, le poussera vers une famine encore plus terrible.

La possibilité d’inscrire les houthis sur la liste américaine des « organisations terroristes » était évoquée depuis plusieurs mois et Washington l’a finalement concrétisée dimanche dernier. Le chef des rebelles yéménites, Abdel Malek al-Houthi, et deux autres dirigeants sont aussi ciblés par cette mesure. Le groupe, également appelé Ansarullah et soutenu par...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut