
Des volontaires de la Croix rouge libanaise en combinaison de protection sanitaire transférant un patient vers l'unité Covid de l'hôpital universitaire Nabih Berry, à Nabatiyé, au Liban-Sud, le 9 janvier 2021. Photo AFP / Mahmoud ZAYYAT
A l'issue de plus de deux heures d'une réunion extraordinaire au palais de Baabda, le Conseil supérieur de défense a annoncé le bouclage total du Liban du 14 janvier à 5h jusqu'au 25 janvier à 5h, période durant laquelle un couvre-feu sera instauré, et décrété l’état d'urgence sanitaire afin de faire face plus efficacement à la pandémie de coronavirus qui prend des proportions considérables dans un pays en crise où les hôpitaux sont arrivés à saturation. Ce qui semble signifier que les Libanais ne pourront pas sortir de chez eux pendant cette période, même pas pour faire des courses alimentaires, faire de l'exercice ou promener leur animal domestique. Quelques exceptions sont prévues pour le personnel de santé, les journalistes, les militaires, des employés du secteur alimentaire et d'autres travailleurs jugés essentiels.
Ces décisions interviennent alors que le pays a enregistré 3.095 nouveaux cas de Covid-19 et 23 décès au cours des dernières 24h. Ces chiffres portent le taux de contamination par rapport au nombre de tests effectués pour les deux dernières semaines à 16,2%. Ils font grimper à 222.391 le nombre cumulé des contaminations depuis la détection du premier cas du virus dans le pays en février 2020, au nombre desquelles 1.629 décès et 143.616 guérisons. Parmi les cas toujours actifs, 1.549 personnes sont hospitalisées, dont 585 en soins intensifs. Cela équivaut à 89 hospitalisations de plus en 24h, et 26 admissions supplémentaires en soins intensifs.
Voici ce qu'il faut savoir sur les mesures prévues :
L'aéroport de Beyrouth ne fermera pas ses portes mais des mesures renforcées seront appliquées pour les passagers en provenance du Caire, de Bagdad, d'Istanbul, d'Addis Abeba et d'Adana qui représentent 85% des cas enregistrés en provenance de l’étranger. Ceux-ci doivent rester à leur arrivée pendant 7 jours dans un hôtel, à leurs propres frais, et subir deux tests PCR : le premier jour de leur arrivée et six jours plus tard. Par ailleurs, le flux de voyageurs sera réduit à 20% du nombre de passagers enregistré en janvier 2020. Les passagers devront subir un premier test PCR à leur arrivée à l'aéroport, puis un nouveau test sept jours après la date de leur arrivée. Les passagers doivent également loger dans un hôtel, à leurs frais, pour une durée ne dépassant pas les 72h, dans l'attente des résultats du test PCR effectué à l'aéroport. En cas de résultat négatif, ils devront néanmoins passer les jours restant qui les séparent du deuxième test en isolement à domicile. Si le résultat est positif au Covid-19, "les directives du ministère de la Santé sont appliquées", énonce la circulaire du Conseil de défense sans plus de précision. Sont exemptés de l'obligation d'isolement les diplomates et leurs familles, ainsi que les délégations officielles et les membres de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul). Sont également exemptées d'isolement toutes les personnes ayant reçu un vaccin contre le coronavirus, preuve médicale à l'appui. Mais elles devront quand même subir un test PCR à leur arrivée à l'aéroport, "par mesure de précaution". Tout passager souhaitant se rendre à Beyrouth doit être muni d'un résultat PCR négatif et avoir rempli le formulaire en ligne mis en place par les autorités sanitaires libanaises, à défaut de quoi, il ne pourra pas embarquer à bord de son vol à destination du Liban.
Les frontières terrestres et maritimes seront fermées à tous les voyageurs pendant ces onze jours, sauf à disposer d'un visa ad hoc.
Seront donc fermés : les administrations publiques, les municipalités et leurs fédérations, les offices autonomes, les banques commerciales (la Banque du Liban garde toutefois ses portes ouvertes et les distributeurs automatiques de billet seront alimentés sans interruption), les universités et écoles privées et publiques, les crèches, les jardins publics, les corniches maritimes, les clubs de sport, et les terrains sportifs publics et privés, en intérieur et en extérieur. Le Casino du Liban sera également fermé durant toute la période du bouclage. De même pour les institutions commerciales et les sociétés privées, ainsi que les marchés populaires, les cinémas, les musées, les salles de théâtre, et les salles de vidéo poker, de jeux électroniques et en ligne. Les fêtes publiques et privées, les soirées et les événement sociaux sont interdits, tout comme les rassemblements en tous genres. Tous les événements religieux doivent être annulés, et le ministère de l'Intérieur ainsi que les autorités religieuses seront chargées d'appliquer cette décision.Les exemptions :
- Les membres du corps diplomatiques, les fonctionnaires de la présidence de la République, du Parlement et de la présidence du Conseil, ceux des ministères de l'Intérieur, de la Défense, de la Santé, ainsi que les militaires (pompiers inclus) et les policiers, les secouristes, les journalistes, les employés du secteur médical et pharmaceutique et enfin les dépanneuses sont exemptés de l'interdiction de circuler. De même pour les voyageurs à l'arrivée et au départ de l'aéroport de Beyrouth, à condition d'être munis de leurs documents de voyage.
- Les avocats et les juges pourront continuer à exercer, à distance uniquement, et seulement pour les affaires de libération et les dossiers urgents.
- Le ministère de la Santé, les hôpitaux ainsi que toutes les institutions liées au secteur de la santé et pharmaceutique et les laboratoires pourront fonctionner 24h sur 24. Les dispensaires et les centres de soins sociaux peuvent, eux, ouvrir entre 8h et 17h.
- Les institutions médiatiques, les hôtels et appartements meublés ainsi que les sociétés de sécurité et les minoteries pourront fonctionner 24h sur 24.
- Les industries de production alimentaire pourront fonctionner entre 5h et 15h. Les marchés de vente en gros de fruits et légumes pourront ouvrir entre 2h et 14h. Les marchés de vente en gros de viande, volaille et poisson pourront ouvrir entre 5h et midi.
- Les supermarchés, épiceries de quartier, boucheries, poissonneries, restaurants et pâtisseries pourront ouvrir entre 5h et 17h uniquement pour la livraison à domicile.
- Les boulangeries pourront ouvrir entre 8h et 15h.
- Electricité du Liban et toutes les sociétés en charge de la distribution et la maintenance du courant électrique sur tout le territoire. Le ministère des Télécoms, l'office Ogero et toutes les sociétés de téléphonie et d'Internet ouvriront leurs portes également. La direction générale du pétrole du ministère de l'Energie, ainsi que les stations-services (entre 5h et 17h) et celles d'imports de carburants pourront également fonctionner durant le bouclage.
- Les infrastructures en lien avec l'approvisionnement et la distribution de l'eau pourront ouvrir entre 5h et 17h uniquement pour la livraison à domicile.
- Les sociétés de transfert d'argent, les bureaux de change et les assurances pourront fonctionner entre 8h et 17h.
- Les bureaux de visas au sein des consulats étrangers pourront fonctionner entre 8h et 15h.
La circulaire demande également aux ministères concernés d'imposer aux hôpitaux privés d'assurer des lits en soins intensifs dédiés au coronavirus, sous peine, entre autres, d'annuler les contrats entre ces établissements et les organismes assureurs.
Toutes ces mesures seront sujettes à une réévaluation "périodique" par une commission incluant des représentants des ministères de la Santé, de l'Intérieur, du Tourisme et des Transports publics.
"Mesures radicales"
A l'ouverture de la réunion du Conseil de défense, le chef de l'Etat, Michel Aoun, a souligné la nécessité de décréter l'état d'urgence sanitaire. "La tragédie dont nous sommes témoins aux portes des hôpitaux nécessite que nous prenions des mesures radicales, afin de réduire les répercussions catastrophiques de la pandémie", a affirmé le chef de l'Etat, en allusion notamment aux files de personnes attendant d'être prises en charge devant certains établissements.
Pour sa part, le Premier ministre sortant, Hassane Diab, a qualifié la situation actuelle d'"effrayante", avec un virus "hors de contrôle". Il a pointé du doigt "l'entêtement et l'obstination" des Libanais à ne pas respecter les mesures de prévention qui avaient été imposées ces dernières semaines. "Nous avons pris de nouvelles dispositions pour renforcer encore plus les mesures déjà en vigueur", a ajouté M. Diab, qui a appelé l'armée et les forces de sécurité à veiller à leur application avant "un effondrement total" de la situation sanitaire.
La corniche de Beyrouth désertée, le 10 janvier 2020, lors d'un reconfinement du Liban. Photo Matthieu KARAM
"Protéger les Libanais contre eux-mêmes"
Les décisions prises par le Conseil de défense ont été basées sur les recommandations faites plus tôt par le comité interministériel ad hoc, qui s'est penché dans la matinée sur la situation sanitaire. Au début de la réunion de ce comité, Hassane Diab avait affirmé que le pays était entré dans une phase "de grave danger". "Le monde entier est en guerre avec la pandémie, mais au Liban, certains disent encore que le coronavirus est un mensonge", avait-il déploré, estimant que le devoir des autorités était de "protéger les Libanais contre eux-mêmes, nombre d'entre eux faisant preuve d'une grande négligence". Face à cette situation, "soit nous devons procéder à un confinement total et strict, soit nous nous retrouverons dans un scénario qui sera pire que celui de l'Italie", au début de la pandémie, avait-il estimé. Dans les premiers mois de la crise sanitaire, certaines régions du nord de l'Italie avaient été dramatiquement touchées par le coronavirus, enregistrant des centaines de décès par jour.
Avant la fermeture des magasins d'alimentation, les Libanais se sont par ailleurs rués dans les supermarchés dès la matinée de lundi, et des files d’attente se sont formées devant les rayons et les caisses. Le syndicat des importateurs de produits alimentaires a dans ce contexte souligné que les vivres sont présentes en quantités suffisantes dans les entrepôts des importateurs "pour une durée de deux mois", appelant toutefois les consommateurs à ne pas acheter plus que ce dont ils ont besoin pour se nourrir pendant une semaine. Le syndicat a estimé que l'affluence dans les supermarchés risquaient de favoriser la propagation du virus, exhortant les acheteurs à prendre toutes les mesures de prévention nécessaires.
Craignant la fermeture des magasins d'alimentation, les Libanais se sont rués lundi dans les supermarchés. REUTERS/Mohamed Azakir
Loi spéciale sur les vaccins
Par ailleurs, une loi spécifique sur l'utilisation "en situation d'urgence" des vaccins contre le Covid-19 va être adoptée au Liban, comme le réclament les groupes pharmaceutiques Pfizer et Moderna, a annoncé le président de la commission parlementaire de la Santé, Assem Araji. Il a précisé que cette loi, qui est la même dans tous les pays, est requise par les sociétés pharmaceutiques. En effet, les vaccins que ces entreprises ont commencé à distribuer ont reçu jusqu'à présent une autorisation "d'urgence" et temporaire de la part des régulateurs sanitaires et ne se verront octroyer une autorisation définitive qu'à la fin de toutes les études et recherches en cours, "d'ici un an", selon le député Araji. Elles se voient donc dans l'obligation de réclamer une loi aux différents Etats où les vaccins seront inoculés leur permettant de se prémunir contre tout procès éventuel, en cas de problème de santé rencontré par des personnes ayant été inoculées.
commentaires (11)
Et les personnes qui suivent un traitement médical à l’hôpital, on en fait quoi? Empêcher les gens de sortir pour acheter à manger, le gouvernement doit donc leur assurer le ravitaillement à domicile. Les voyageurs font comment pour aller ou revenir de l’aéroport? Des mesures prises par des amateurs et des incompétents.
Liberté de penser et d’écrire
22 h 56, le 11 janvier 2021