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Buffalo Grill

Quand Paris s’enrhume, l’Europe prend froid : ce lapidaire bulletin de santé, c’est le prince Metternich – le modèle de diplomatie vénéré par Henry Kissinger – qui le formulait à propos des bouleversements politiques de l’ère postnapoléonienne. Qu’aurait pu dire cependant l’illustre chancelier d’Autriche au spectacle de cette brûlante fièvre de cheval affectant aujourd’hui la première des superpuissances sous le regard anxieux du reste de la planète ?

Du début à la fin, la présidence de Donald Trump aura opéré à feu vif, accompagné, il est vrai, de flots de fumée. Énorme d’invraisemblance aura d’abord été l’entrée, à la Maison-Blanche, de ce personnage hors norme, fantasque, flamboyant de vulgarité si l’on peut dire ; il avait néanmoins réussi à incarner aux yeux de ses électeurs ce fameux rêve américain de prospérité, lui qui était capable de transformer en or tout ce qu’il touchait. S’il a effectivement réussi à stimuler l’emploi, Trump a géré de manière on ne peut plus irresponsable la pandémie de coronavirus. Mais surtout, et avant même l’impensable affaire du Capitole, ses excentricités ont encore altéré l’image d’une démocratie américaine qui se veut pourtant en tête d’affiche mondiale, en dépit des spécificités et aussi des bizarreries qu’elle peut receler. Qu’il suffise de citer, entre autres, le rôle primordial de l’argent dans le showbiz des campagnes électorales ; la majorité de suffrages populaires dont peut très bien se prévaloir un présidentiable pourtant vaincu ; ou encore les litiges récurrents sur le décompte des votes, du moment que les ordinateurs ne sont pas, eux non plus, à l’abri des erreurs : déjà lors du scrutin de l’an 2000, il avait fallu un arrêt de la Cour suprême pour départager, à un cheveu près, les candidats George W. Bush et Al Gore…

En refusant de concéder explicitement sa défaite (il boudera même la cérémonie d’investiture de son heureux adversaire), ce mauvais perdant de Donald Trump avait déjà enfreint avec fracas la règle première de toute démocratie qui consiste à s’incliner face au verdict des urnes. En envoyant ses partisans manifester devant le siège du Congrès, pour ne dénoncer hypocritement leurs outrances que le lendemain seulement, il s’est rendu coupable d’incitation à l’insurrection, à la sédition. Voilà qui est amplement assez pour exposer le président, rescapé d’une première tentative d’impeachment, à un remake ou bien à une tout aussi infamante procédure, fondée cette fois sur le 25e amendement. L’objet en est le même, à savoir l’impérieuse nécessité de le démettre avant même l’expiration, dans quelques jours, de son mandat constitutionnel : autrement dit, avant qu’il ait eu le temps de mettre le feu au pays ou alors, allez savoir, à quelque région du globe. Surtout si, comme s’en alarme la cheffe des démocrates au Congrès, le déséquilibré, comme elle le désigne, conserve l’accès au fatidique bouton rouge commandant un tir nucléaire.

Mais le mal n’est-il pas déjà fait ? Quelle que soit en effet la sortie de scène de ce mordu de téléréalité abandonné par plus d’un de ses ministres et en voie d’être lâché par son propre parti, c’est un legs explosif qu’il laisse à son successeur. Joe Biden devra ainsi se démener pour raccommoder une Amérique profondément fracturée aujourd’hui, la frange la plus dangereusement turbulente du populisme à la sauce Trump se recrutant parmi les militants proarmes, les complotistes et les néonazis. Au nouveau président, il faudra aussi beaucoup de doigté et de fermeté à la fois pour faire revivre, auprès d’une communauté internationale qui est sur des charbons ardents, le mythe passablement fatigué d’une forteresse du droit et des libertés : d’une citadelle nantie de la mission d’insuffler aux nations moins favorisées les vertus de la démocratie. Pour réconcilier l’Oncle Sam avec les institutions onusiennes qu’a désertées l’homme à la houppe orange. Pour redonner consistance à l’Alliance atlantique que le même personnage s’était ingénié à vider de toute substance. Pour enfin désamorcer les bombes à retardement dormant en plus d’une région, notamment en ces Proche et Moyen-Orient où Trump a donné toute sa mesure à son penchant pour l’improvisation.

C’est sur ce terrain précis que Biden devra prouver qu’il ne suffit pas de défaire ce qu’a fait Trump pour conclure un nouvel et satisfaisant accord sur le nucléaire iranien. Ou pour mettre fin à l’aventurisme forcené dont fait preuve Téhéran en des théâtres aussi divers que la Syrie, le Yémen et le Liban. La médiévale théocratie persane a beau jeu, aujourd’hui, de s’apitoyer, comme le fait le président Rohani, sur la grande nation américaine victime du cancer du populisme ; et le guide suprême Khamenei enfonce le clou en affirmant que son pays n’est nullement pressé de négocier, l’essentiel est la levée préalable des sanctions économiques US.

Charité bien ordonnée commençant par soi-même, il serait évidemment superflu de conclure en rappelant à quel point la suite pèsera sur le sort de notre pays en crise, où même la formation d’un gouvernement de salut attend, depuis des mois, l’installation d’une nouvelle administration américaine. À titre anecdotique, nombre de citoyens n’auront pu s’empêcher d’établir plus d’un acrobatique parallèle entre les évènements de Washington et le vécu des années 2019 et 2020 à Beyrouth. Si les émeutiers de Trump ont pu investir avec autant d’aisance le Capitole, c’est parce qu’au contraire du président de l’Assemblée libanaise, Nancy Pelosi ne disposait pas, elle, d’une milice à sa dévotion, déguisée en unité régulière et subventionnée par l’État, pour tirer sur les manifestants.

Et puis, entendrez-vous dire encore, Trump n’a rien inventé en matière de déni, de détachement des réalités ; il aurait même beaucoup à apprendre de ceux, de nos gouvernants, passés spécialistes en la matière.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Quand Paris s’enrhume, l’Europe prend froid : ce lapidaire bulletin de santé, c’est le prince Metternich – le modèle de diplomatie vénéré par Henry Kissinger – qui le formulait à propos des bouleversements politiques de l’ère postnapoléonienne. Qu’aurait pu dire cependant l’illustre chancelier d’Autriche au spectacle de cette brûlante fièvre de cheval affectant...