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Les zéros de 2020

En cette période d’inventaires, nul besoin d’être expert-comptable pour répertorier, dans la colonne du passif, toutes les plaies qui se sont abattues sur le Liban en cette scélérate année qui s’achève : la monstrueuse explosion du port de Beyrouth occupant le poste le plus lourd, entre cessation de paiement des eurobonds, dévaluation de facto de la monnaie nationale, restrictions bancaires, endémiques crises ministérielles, dégradation de la sécurité et pandémie de coronavirus. Il faudrait encore moins de temps, de place et de peine pour caser, à l’actif, les rares motifs de réconfort et d’espérance qu’ont pu vivre, en 2020, les Libanais.


Pour ce qui est de l’année nouvelle, nombre d’entre nous boiront sans doute, comme parole d’Évangile, les prédictions télévisées de nos extralucides nationaux ; il est vrai que tant de poisse nous collant à la peau, une telle suite de malheurs ne peut que porter à la superstition, à la tentation du surnaturel. Mais pourquoi aller aussi loin quand ce sont vos propres (en fait, pas très propres !) dirigeants qui, par leur comportement, annoncent la couleur ?


Quatre bons mois après le sanglant, le dévastateur scandale du port, ils demeurent incapables de former un gouvernement. Sans égard pour les souffrances d’un peuple tenu en quantité négligeable, ils se disputent férocement les ministères-clés, mais se gardent bien d’aligner franchement toutes leurs billes. De toute évidence, leurs ruptures et retrouvailles ne sont là que pour meubler le temps ; ils ne vivent plus (quitte à nous faire dépérir au passage) que dans l’attente du vent divin, ou bien alors de la tempête, soufflant de la lointaine Amérique. Ils sont là à attendre l’intronisation de Joe Biden alors que le Liban s’écroule, s’ébahit, se lamente même le représentant spécial de l’ONU Jan Kubis. Rien mieux que cette anxieuse expectative des responsables, que leur comateuse fascination étalée aux pieds de l’oracle, ne saurait définir un État failli.


Non point, bien sûr, que la première puissance mondiale puisse être tenue, elle, pour quantité négligeable : et cela d’autant que le Liban n’était pas, aux yeux de l’administration sortante, une tête d’épingle à peine visible sur la carte du Proche-Orient. C’est en partie sur notre sol, en effet, que Donald Trump a joué la confrontation avec l’Iran. D’une main, il a sanctionné le Hezbollah ainsi que certains de ses alliés ; de l’autre, il a mis sur rails un règlement du litige libano-israélien. Mais si considérable est le noyautage des divers organes de l’État par la milice chiite qui, en sus d’une armée privée, s’est dotée désormais d’un circuit financier parallèle; si désespérantes sont aussi la veulerie et la vénalité de la classe politique, que l’on a pu redouter, à juste titre, les retombées des pressions US sur un pays déjà en proie à la crise la plus grave de son histoire. Avec un Trump forçant parfois sur le gant de crin, on risquait bel et bien de voir le bébé jeté avec l’eau du bain…


Est-on vraiment mieux loti avec un Joe Biden plutôt porté sur la recherche d’un compromis avec Téhéran ? La réponse se niche-t-elle nécessairement dans les plis encore vierges de l’an 2021, quand on sait tout le temps – et contretemps – que peut absorber une entreprise aussi complexe que la reformulation de l’accord Obama sur le nucléaire iranien ? Le Liban à la résilience proverbiale mais aujourd’hui divisé, appauvri, sinon ruiné, a-t-il encore l’immunité requise pour soutenir une longue épreuve d’endurance ? Et surtout, ne risque-t-il pas, cette fois, de faire les frais d’une éventuelle entente sur tous ces atomes en cavale et requérant apprivoisement ?


En définitive, confrontation et négociation demeurent les deux branches d’une même tenaille. La raison n’en est pas seulement le bouillant tempérament du républicain en instance de départ, auquel fait pendant l’inclination au compromis de son successeur démocrate. C’est surtout d’irréductibles avocats libanais que manque tragiquement le Liban : de gouvernants commandant au monde considération et respect et forts de la solidité du front interne, du soutien d’un peuple qui ne s’est jamais départi de son acharnement à vivre.


Une fois de plus, ne nous perdons pas à chercher à des milliers de kilomètres de distance ce qui crève les yeux, tout près de nous : bien davantage que les sombres manigances des puissances, c’est la criminelle nullité du pouvoir qui devrait nous affoler.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

En cette période d’inventaires, nul besoin d’être expert-comptable pour répertorier, dans la colonne du passif, toutes les plaies qui se sont abattues sur le Liban en cette scélérate année qui s’achève : la monstrueuse explosion du port de Beyrouth occupant le poste le plus lourd, entre cessation de paiement des eurobonds, dévaluation de facto de la monnaie nationale,...