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Lifestyle - Photo-roman

La liste de mes « mercis »

La liste de mes « mercis »

Goran Tomasevitc/Reuters

Il y a un an exactement, pour clore 2019, j’avais rédigé dans cette même rubrique une courte fiction dans laquelle je recensais les peurs qui se profilaient à l’horizon de 2020. Peur pour ces villes entières qui, à l’instar de Tripoli, crevaient déjà de faim. Peur pour mes amis de la rue sur lesquels pesaient la lourde chape de l’oppression d’une mafia déguisée en caste politique. Peur de ce changement systémique que chaque jour, en s’éloignant du glorieux octobre 2019, rendait de plus en plus impossible. Peur pour ceux qui voyaient l’étendue de leur travail, la sueur de leur front, leurs nuits sans sommeil, leurs sacrifices et leurs économies transformés en billets de Monopoly sans qu’ils n’y puissent rien, pas même se retourner vers une justice tout aussi pipée. Peur pour ma mère, mes grands-parents dont le fond de la voix me confirmaient que cette fois, c’est la fois de trop. Qu’ils ne se relèveront plus. Peur pour mes amis qui ne sont plus là. Peur pour moi, aussi, bêtement. Peur de rester, peur à l’idée d’une vie loin de la lumière de Beyrouth. Aujourd’hui, à l’heure où j’écris ces lignes, les dernières de cette année dont on se demande si un jour on réussira à trouver les mots pour sinon la décrire, du moins commencer à la déchiffrer, je ne sais pas sur quoi, sur qui, sur quel événement, sur quel morceau d’histoire revenir, tant les émotions se bousculent. Ce matin, un livre oublié dans ma bibliothèque m’a interpellé. Les gratitudes de Delphine de Vigan (JC Lattès), qui commence par cette phrase éclairante : « Vous êtes-vous déjà demandé combien de fois dans votre vie vous aviez réellement dit merci ? Un vrai merci. L’expression de votre gratitude, de votre reconnaissance, de votre dette. À qui ? »

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Alors plutôt que compter la flopée de désastres qui se sont empilés au compteur de cette annus horribilis, et histoire de contrer les signaux indésirables qu’on reçoit tous les jours à propos de 2021, je vous listerai ici mes mercis. À qui ? Ma liste est non exhaustive, je l’ai établie au hasard rien qu’en cochant la somme de gens particulièrement remarquables qui m’entourent.

Plus personne n’est seul

Quand les places de la révolution avaient perdu leurs airs de fête, quand on commençait déjà à se dire « tout ce qu’on a fait n’a servi à rien », merci aux révolutionnaires qui, sous les averses de janvier, sous les torrents de gaz lacrymogènes, sous les coups portés sans raison et sans pitié, ont continué à s’organiser, à se tendre la main, à se donner de quoi manger et de quoi continuer à espérer. Merci à ces mêmes femmes et hommes qui n’ont pas laissé un activiste croupir dans les commissariats et les tribunaux. Grâce à eux, une chose est sûre, on l’aura compris, plus personne n’est seul. Merci aux voix bienveillantes de notre corps médical que l’on n’a pas assez applaudi. Merci à eux d’avoir tenu la main à des patients esseulés dans des hôpitaux ; eux qui se démenaient avec le peu d’équipement, sans support gouvernemental ni même reconnaissance officielle, pour aplatir le pic sanglant de cette sempiternelle courbe de cas. Merci à tous les petits commerces, déjà suffisamment impactés par la crise économique, qui ont fermé boutique dans la plus grande dignité, pour contribuer à une solidarité sociale qu’aucun livre de civisme ne nous aura pourtant appris. Merci aux journalistes, aux activistes qui n’ont cessé de mettre en lumière des petits drames – violences domestiques, employées de maison séquestrées dans des conditions qui ressemblent à de l’esclavage moderne et j’en passe –, que la crise sanitaire avait avalé. Merci aux artistes, aux réalisateurs, aux musiciens, qui ont trouvé le moyen d’illuminer nos quotidiens reclus entre quatre murs. Merci aux entrepreneurs, quelle que soit l’échelle de leurs activités, d’avoir su se réinventer en ces temps qui défient l’imagination pour continuer à exister et payer les salaires, en ne pleurnichant jamais sur ce qui leur est dû, mais qu’ils ne recevront jamais. Personne ne les a regardés...

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Merci à ceux qui sont tout de même revenus cet été ou ce Noël pour une grand-mère qui n’a plus son chat à qui parler, ou pour injecter un peu d’argent à l’économie, quand bien même tout leur disait de rester loin. Merci à ces bras, à ces muscles, et pour tout dire ces épaules qui ont porté la ville meurtrie, au lendemain de l’innommable 4 août et dont on peut dire sans la moindre hésitation que sans eux 300 000 personnes en seraient à littéralement dormir dans la rue. Merci d’avoir réalisé l’irréalisable et surtout en faisant fi de l’existence d’un État. Ils nous ont fait réaliser, en silence, que ce sont eux le seul et véridique gouvernement que nous méritons. Merci aux jeunes femmes et hommes qui ont gâché les repas de nos corrompus de dirigeants en faisant irruption, comme par magie, dans les restaurants où ils s’affichaient sans une once de honte ou de compassion. Merci à ceux qui ont puisé leur force de je ne sais où pour ne pas arrêter de rire, ou en tout cas nous promettre qu’un jour on finira par réapprendre le sens de l’indolence. Merci à ceux qui n’ont pas perdu un iota de leur colère titanesque, merci, aussi, pour ceux dont le silence demeure la plus belle leçon de dignité et de courage. Et puis, surtout, merci à ceux qui sont restés et qui resteront. Cette année, grâce à vous, une chose aura au moins changé : je n’ai plus peur.

Il y a un an exactement, pour clore 2019, j’avais rédigé dans cette même rubrique une courte fiction dans laquelle je recensais les peurs qui se profilaient à l’horizon de 2020. Peur pour ces villes entières qui, à l’instar de Tripoli, crevaient déjà de faim. Peur pour mes amis de la rue sur lesquels pesaient la lourde chape de l’oppression d’une mafia déguisée en caste...

commentaires (1)

Merci cher Monsieur de dire aussi bien merci à tous ces gens pour lesquels nous sommes reconnaissants à leurs égards ...un cri du coeur qui est aussi le nôtre et qui émane du profond de notre être en ces jours de desarroi...

Salibi Andree

21 h 27, le 30 décembre 2020

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Commentaires (1)

  • Merci cher Monsieur de dire aussi bien merci à tous ces gens pour lesquels nous sommes reconnaissants à leurs égards ...un cri du coeur qui est aussi le nôtre et qui émane du profond de notre être en ces jours de desarroi...

    Salibi Andree

    21 h 27, le 30 décembre 2020

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