En matière de formation du gouvernement, le patriarche maronite, Béchara Raï, et le Premier ministre désigné, Saad Hariri, semblent être de plus en plus sur la même longueur d’onde et convergent sur un certain nombre de critères que le processus gouvernemental devrait respecter.
C’est ce qui ressort du climat distillé au lendemain de la toute dernière rencontre entre le chef du gouvernement désigné et Mgr Raï, mercredi soir, à Bkerké, poursuivie autour d’un dîner. L’entourage proche du patriarcat préfère naturellement garder le chef de l’Église maronite loin de tout affichage d’un positionnement politique marqué en faveur d’un camp et aux dépens de l’autre. Il reste qu’une personnalité qui était présente à l’entretien de mercredi à Bkerké a confié à L’Orient-Le Jour que le patriarche Raï est furieux de voir le processus de formation du gouvernement s’éterniser et buter sur des considérations liées à la pratique du partage des ministères entre les forces politiques, alors que le pays a besoin d’un cabinet de spécialistes indépendants de ces forces et dotés des capacités qui leur permettent de mener à bien leur mission et de gagner la confiance du peuple libanais et de la communauté internationale. Un point de vue que Saad Hariri a exprimé lui-même à plusieurs reprises. Selon une source proche de la Maison du Centre contactée par L’OLJ, c’est ce critère que M. Hariri a mis en avant en préparant la mouture qu’il a présentée au chef de l’État, lors de leur entretien du 9 décembre à Baabda. Cette démarche, on le sait, n’avait pas abouti à la formation du cabinet. Bien au contraire. Elle n’a fait que déclencher un nouveau round de confrontation entre Michel Aoun et Saad Hariri, principalement articulée autour du choix des ministrables et leur (éventuelle) affinité partisane.
Si la présidence se plaint du fait que M. Hariri ait choisi tous les ministres, y compris les chrétiens, sans concertation préalable avec Michel Aoun, la source proche de M. Hariri confie que dans le cadre de sa contre-formule remise au Premier ministre désigné, lors de la rencontre du 9 décembre, le chef de l’État a attribué chaque portefeuille à un parti politique déterminé, contrairement à la volonté de M. Hariri, qui est précisément celle de Mgr Raï.
Le tiers de blocage
Le patriarche maronite et le Premier ministre désigné convergent aussi sur la nécessité que la future équipe ministérielle soit équilibrée. « Il importe au patriarche Raï qu’aucune partie n’exerce son hégémonie sur le futur gouvernement », explique la personnalité citée plus haut. Une façon d’exprimer, quoique implicitement, l’opposition de Bkerké à ce que le tiers de blocage au sein du cabinet soit accordé à quiconque. Cette position paraît tout à fait logique dès lors que le patriarche s’oppose à l’idée même d’un partage des portefeuilles ministériels entre les protagonistes politiques. Or toutes les informations de ces dernières semaines sur le processus gouvernemental tendent à montrer que c’est essentiellement le tandem Baabda-Courant patriotique libre qui presse pour obtenir ce fameux tiers de blocage, contre l’avis de M. Hariri. Là où les informations sont partagées, c’est sur le point de savoir si le Hezbollah irait jusqu’au bout pour défendre cet objectif fixé par ses turbulents alliés ou pas.
« En répartissant les ministères entre les protagonistes politiques, le président Aoun cherche à garantir le tiers de blocage pour son camp », déplore un proche de Saad Hariri, assurant que cela est inacceptable. Quoi qu’il en soit, le patriarche semble déterminé à passer à l’acte afin de relancer le processus ministériel. Selon la personnalité qui a suivi la rencontre de mercredi, le prélat maronite devrait s’entretenir aujourd’hui vendredi avec le président Aoun pour « lui faire part de sa colère à l’égard du retard mis pour former le gouvernement ». « En principe, Mgr Raï ne va pas rentrer dans les polémiques portant sur le tiers de blocage ou autre. Mais il devrait exprimer au chef de l’État son mécontentement à l’égard du blocage actuel », précise la personnalité en question.
Elle tient à assurer toutefois que Saad Hariri ne s’était pas rendu à Bkerké pour se plaindre des prises de position de Michel Aoun au sujet du gouvernement. « C’est à la demande de Mgr Raï que M. Hariri s’y est rendu, à l’issue de contacts menés par Ghattas Khoury, conseiller politique du Premier ministre désigné, et Sejaan Azzi, ancien ministre du Travail », confie la personnalité présente, soulignant que le patriarche voulait avoir le son de cloche haririen concernant la formation du gouvernement, après avoir eu idée du point de vue de Baabda lors de sa rencontre avec M. Aoun, le 25 novembre dernier.
De son côté, la présidence paraît soucieuse de ne pas entrer dans une querelle avec Bkerké, ni envenimer davantage ses rapports gelés avec Saad Hariri. Prié de commenter l’entretien Raï-Hariri, un proche collaborateur du chef de l’État évite de s’attarder sur le positionnement de Bkerké sur l’échiquier politique. Il préfère exprimer un point de vue selon lequel Saad Hariri aurait voulu expliquer au chef de l’Église maronite qu’il n’avait pas l’intention de porter atteinte à la représentation chrétienne, mais qu’il était déterminé à former un gouvernement de mission. « Mais depuis la tribune de Baabda, le patriarche avait lui-même insisté sur le rôle du chef de l’État en tant que partenaire à part entière dans les tractations gouvernementales », rappelle le proche de Michel Aoun. Selon lui, deux interprétations peuvent être données à la rencontre de Bkerké. « Soit Saad Hariri voudrait faire bouger le processus, soit il veut contourner le rôle du président », analyse-t-il, avant d’évoquer les principes qui, selon lui, guident l’action de M. Aoun sur ce plan : « Tout le monde, notamment le chef de l’État, veut que le cabinet voie le jour dans les plus brefs délais. Mais Michel Aoun ne veut pas consacrer une coutume qui écarterait le président de la République des négociations ministérielles, et ne signera pas de mouture gouvernementale sous une pression politique quelconque. »
commentaires (10)
Oooops ! fausse nouvelle, faux espoir ! RAI S'EST POSITIONNE AVEC AOUN/BASSIL. MERCI GRAND MERCI. TRISTE TRISTE TRISTE
Gaby SIOUFI
17 h 31, le 18 décembre 2020