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Moyen-Orient - REPORTAGE

À Sidi Bouzid, berceau de la révolution tunisienne, une décennie d’espoirs déçus

Dans la ville où a démarré le soulèvement populaire, les nouvelles libertés ne se sont pas traduites par une amélioration du niveau de vie des habitants.

À Sidi Bouzid, berceau de la révolution tunisienne, une décennie d’espoirs déçus

Un Tunisien devant une fresque illustrant la liberté, à Sidi Bouzid, le 27 octobre 2020. Fethi Belaid/AFP

Dans le berceau de la révolution tunisienne, l’entrepreneuse Khouloud Rhimi peut désormais s’engager et parler politique au café avec ses amies. Mais, comme au moment du soulèvement de 2011, « il n’y a pas de travail à Sidi Bouzid », déplore-t-elle amèrement. Cette ville marginalisée du centre du pays, qui se résumait alors à un réseau de rues détériorées bordées de commerces loqueteux et de bâtiments publics en piteux état, est devenue un symbole de la révolution. À ce titre, Sidi Bouzid a bénéficié d’une attention politique particulière : elle compte désormais une grande piscine municipale, des lieux de loisirs et cafés branchés avec Wi-Fi où jeunes filles et garçons se côtoient et peuvent critiquer sans crainte les autorités.

Mais si la révolution a amené une liberté sans précédent, elle n’a pas répondu aux autres revendications des jeunes descendus dans la rue en 2011 pour chasser Zine el-Abidine ben Ali du pouvoir : travail et dignité. Dans les villes de l’intérieur, le chômage reste deux à trois fois plus élevé que les 18 % enregistrés nationalement, notamment chez les jeunes diplômés. C’est ce même fléau du chômage et le harcèlement policier qui avaient poussé à bout le marchand ambulant Mohammad Bouazizi, au point qu’il s’immola par le feu le 17 décembre 2010, sur la place principale de Sidi Bouzid.

Émigrer en Europe

Son acte a lancé la contestation dans l’intérieur marginalisé du pays, mouvement qui a ensuite gagné Tunis et s’est propagé à l’ensemble du monde arabe après la chute de ben Ali le 14 janvier 2011. Dix ans ont passé, et si la Tunisie est saluée comme le seul pays à avoir poursuivi sur la voie de la démocratisation, beaucoup d’habitants de Sidi Bouzid ont l’impression que leur vie est plus difficile. « De nombreuses connaissances ont essayé de partir en Europe », souligne Khouloud Rhimi, 25 ans. « Certains sont morts en mer. D’autres se sont immolés par le feu. Il n’y a pas de travail, parfois il n’y a même pas assez pour s’acheter à manger », dit-elle.

Cette diplômée en informatique en 2015 n’a pas attendu d’aide de l’État pour se lancer. Mais dans une région où certains emplois sont payés 150 dinars (50 euros) par mois, il lui a fallu quatre ans pour mettre de côté de quoi monter sa propre affaire – un petit restaurant. Quand elle a eu besoin d’un petit crédit pour boucler son projet, les banques et les organismes de microcrédit l’ont rejetée. Signe que la région n’a pas connu les améliorations maintes fois promises, les zones industrielles de Sidi Bouzid restent quasi désertes – le taux de remplissage ne dépasse pas 3 %, estime le gouverneur Anis Dhifallah.

Outre la réticence des banques, Rachid Fetini, patron local du textile, dénonce le manque de stratégie gouvernementale pour lutter contre les inégalités et le clientélisme. M. Fetini, qui employait 500 ouvriers avant 2011, se désole devant les rangées de machines à coudre silencieuses dans son usine vide. La pandémie de coronavirus, qui a mis l’économie tunisienne à genoux, a scellé le sort de son affaire. « Après la révolution, tous mes clients ont fui Sidi Bouzid », explique M. Fetini, qui avait soutenu le soulèvement. « Ils ont eu peur », regrette-t-il, en critiquant la couverture médiatique de cette région présentée comme perpétuellement en grève, « ce qui n’est pas du tout vrai ». Selon lui, « il y a une lutte fratricide entre les partis politiques, du coup même les responsables locaux sont bloqués dans leurs décisions ». « Personne n’ose signer un document sans se couvrir politiquement... au cas où. » De nombreux projets sont entravés « parce que certains lobbies ne souhaitent pas voir se développer telle ou telle activité », par peur de la concurrence, explique-t-il encore.

Une situation qu’illustre parfaitement la Somaproc. Installée à la sortie de Sidi Bouzid, à un carrefour stratégique, elle devait venir en aide aux agriculteurs du cru en accueillant un marché de gros pour les légumes et le bétail, un abattoir et un centre de recherche. À ce jour, elle demeure un terrain vague. Ce projet, qui devait employer 1 200 personnes et améliorer la vie de 130 000 autres, a obtenu des millions d’euros d’aides étrangères, et bénéficie du soutien du président Kais Saied. En vain.

« Aujourd’hui, on peut s’engager »

Le directeur Lotfi Hamdi pointe une série d’obstacles légaux et administratifs, décrivant l’enchevêtrement complexe de huit organismes gouvernementaux impliqués dans le projet. Et les multiples intermédiaires continuent à régner en maîtres. Y a-t-il encore des raisons d’espérer ? Si les vastes attentes sociales ont été largement déçues, la révolution a néanmoins entraîné des changements, notamment en donnant un peu plus de poids politique à la jeunesse. L’introduction d’un quota obligatoire de candidats de moins de 36 ans leur a permis d’entrer en nombre dans les conseils municipaux.

« Aujourd’hui, on peut s’engager dans des partis politiques, dans la société, dans des syndicats », proclame Hayet Amami, responsable régionale de l’association des diplômés chômeurs. En faisant du bénévolat dans une association contre les violences faites aux femmes, Feyda Khaskhoussi, titulaire d’une maîtrise de comptabilité, souligne avoir « acquis de nouvelles compétences pour monter des projets ». « J’ai quelque chose de nouveau à donner aux gens, je ne me vois pas comme une chômeuse, même si ce que je fais n’est pas rémunéré. » Mais Khouloud Rhimi n’en démord pas. « En ce qui me concerne, la révolution ne m’a rien apporté. »

Source : AFP

Dans le berceau de la révolution tunisienne, l’entrepreneuse Khouloud Rhimi peut désormais s’engager et parler politique au café avec ses amies. Mais, comme au moment du soulèvement de 2011, « il n’y a pas de travail à Sidi Bouzid », déplore-t-elle amèrement. Cette ville marginalisée du centre du pays, qui se résumait alors à un réseau de rues détériorées bordées...

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