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Économie - FOCUS

L’immobilier : une valeur refuge pas à l’abri des crises

Aux portes du marché foncier libanais, les investisseurs étrangers n’en franchiront pas le seuil tant que la situation globale du pays ne sera pas stabilisée.

L’immobilier : une valeur refuge pas à l’abri des crises

Si les transactions immobilières sont encore en hausse en glissement annuel, le secteur a entamé sa courbe descendante en octobre, après un boom estival monumental. Source REAL/Infographie Mark Mansour

Périphrase de l’immobilier en temps de crise, le terme de « valeur refuge » s’apparente de plus en plus à un oxymore en cette fin d’année chaotique pour le Liban, qui enchaîne les crises depuis l’été 2019 – économique, financière, sociale et sanitaire –, sans oublier le choc de l’explosion dévastatrice (et non élucidée) au port de Beyrouth le 4 août dernier, ravageant des pans entiers de la capitale. En effet, à l’automne 2019, les terrains et la pierre étaient devenus, avec certains produits de luxe, l’un des investissements privilégiés par les déposants libanais à qui les banques avaient commencé à limiter l’accès aux dépôts en devises, faute de liquidités suffisantes, pour les décaisser en espèces ou les transférer à l’étranger.

« La croissance immobilière de cette année est totalement artificielle », souligne Walid Moussa, président du syndicat des agences immobilières du REAL (Real Estate Syndicate of Lebanon). Qu’il s’agisse, entre autres, de rembourser des dettes, de sauver ses économies ou de se renflouer pour émigrer hors du Liban, « aucun investissement foncier n’a été naturel », poursuit-il, « mais chacun a répondu à une nécessité (propre à l’acheteur ou au vendeur) ». Face à l’intensification de la crise, les déposants libanais « se sont rapidement rabattus sur l’immobilier car les promoteurs fonciers étaient les seuls à accepter les dollars libanais (les devises coincées en banque) », explique Walid Moussa. Ainsi, « nous nous sommes retrouvés dans une sorte de concubinage à trois : les investisseurs sauvaient leurs économies, les promoteurs remboursaient leurs dettes et les banques se renflouaient ».

Un sursaut « extraordinaire »

Après la période « sauve-qui-peut », en parallèle au mouvement de contestation démarré le 17 octobre et à l’accumulation des restrictions bancaires, qui aura vu le nombre de transactions immobilières atteindre son pic de l’année 2019 en décembre avec 6 189 opérations (pour une valeur totale de 1,1 milliard de dollars), soit plus du double de novembre (évalué à 417 millions de dollars), cette tendance à la hausse s’est confirmée dès le début de l’année 2020. Ainsi, l’immobilier libanais a continué sur sa lancée, avec 1 000 transactions immobilières supplémentaires en glissement annuel à fin janvier (de 3 667 à 4 668) et près de 2 000 en février (de 4 192 à 6 166), selon les chiffres du REAL.

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Qualifié d’« extraordinaire » par le président du syndicat des entrepreneurs des travaux publics, Maroun Hélou, ce sursaut a, par ailleurs, offert au passage un sacré bol d’air à de nombreux promoteurs qui, depuis 2016, ont subi de plein fouet l’impact du resserrement des mécanismes de subventions sur les prêts que la Banque du Liban assurait chaque année depuis le début de la décennie pour soutenir la demande. Si la hausse du nombre de transactions a drastiquement chuté au printemps, en raison des mesures restrictives mises en place pour enrayer la propagation de la pandémie de Covid-19, avec notamment 773 opérations enregistrées en avril dernier par rapport à 3 659 en glissement annuel, cette baisse n’aura duré que la période de confinement. En effet, « les investisseurs ont préparé le terrain en attendant la réouverture du marché, laissant les contrats et titres de propriété chez leur notaire ou contactant le cadastre pour que les modalités administratives d’enregistrement cadastral soient terminées à la réouverture du pays », explique le président syndicaliste. C’est ainsi que le secteur a connu un boom monumental en juin et en juillet, triplant ses chiffres de 2019, avec 8 339 opérations pour le premier (contre 2 933 l’année d’avant) et 10 393 pour le second (contre 3 427), toujours selon les chiffres du REAL, fournis à L’Orient-Le Jour.

De surcroît, « le comportement a été le même sur le pays entier », selon Walid Moussa. Prisée pour son investissement « plus sûr grâce à une demande permanente », la capitale remporte la palme de la valeur totale des opérations foncières de janvier à fin octobre, avec 3,94 milliards de dollars au taux officiel (soit 35 % du marché national) mais arrive en queue de peloton pour le nombre de transactions effectuées, avec 5 233 opérations, soit 8 % du marché. C’est la région de Baabda qui cumule le plus grand nombre de transactions sur la même période, soit 19 % du marché (11 781 opérations). Les autres régions ne sont toutefois pas en reste, à l’instar du Liban-Sud (8 523 opérations) et du Liban-Nord (8 119), selon le REAL.

La loi 194 pour la protection du patrimoine historique, des immeubles à caractère et de l’identité des quartiers dévastés par l’explosion du port a pipé les dés pour le secteur foncier de cette région. Photo d’archives João Sousa

Des prix hybrides

Le ménage à trois évoqué par Walid Moussa semble cependant avoir fait date même si les transactions immobilières sont encore en hausse en glissement annuel, avec 10 061 opérations en septembre (contre 4 756 en glissement annuel) et 7 665 en octobre (contre 3 911). « Septembre marque le début d’une baisse, surtout à Beyrouth, car tout ce qui devait y être vendu l’a été. L’intérêt pour le secteur foncier reste toutefois vif dans les autres régions », a souligné Maroun Hélou, ajoutant que « les banlieues, le littoral et la région du Mont-Liban sont privilégiés ».

Si d’apparence le secteur de l’immobilier a poursuivi sa courbe ascendante, il reste que « les prix ont commencé à augmenter », annonce Walid Moussa. « Les promoteurs qui avaient terminé de payer leurs dettes aux banques ont haussé les prix de 60 à 70 % en dollars libanais, tandis que la valeur de l’immobilier chutait de 60 % en dollars frais (les espèces circulant au Liban ou transférées de l’étranger). Par exemple, un appartement à un million de dollars serait payé 1,6 million en “lollars” (dollars libanais) via un chèque bancaire ou 400 000 dollars en “fresh” (dollars frais). »

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Non seulement les coûts ont augmenté mais « les prix sont devenus hybrides ! » s’exclame le président du REAL. Jonglant au quotidien avec différentes monnaies, les Libanais cherchant à investir foncièrement se sont retrouvés à devoir payer une partie des montants dus en dollars libanais et le restant en dollars frais. Des calculs d’apothicaires qui « ont mis un frein aux transactions, principalement pour les grands budgets ». Néanmoins, les chiffres du REAL notent évidemment des valeurs transactionnelles en hausse, suivant celle du nombre d’opérations, dont la totalité jusqu’à fin octobre est estimée à 11,36 milliards de dollars au taux officiel de la parité dollar/livre (1 507,5 livres le dollar) contre 5,13 milliards sur la même période l’année précédente.

S’ajoute à cela un secteur du bâtiment « complètement à l’arrêt », a affirmé tout de go le président du syndicat des entrepreneurs de travaux publics. « D’ici à six mois, les chantiers en cours seront terminés mais plus aucun entrepreneur ne se lancera dans la construction tant que la crise monétaire ne sera pas stabilisée », a-t-il expliqué. En effet, suite aux difficultés liées à l’importation du matériel de construction, « les entrepreneurs ont dû négocier pour terminer leurs chantiers avancés, tandis qu’ils ont laissé tomber ceux qu’ils venaient seulement de débuter », a précisé Maroun Hélou, ajoutant que « les promoteurs attendent des jours meilleurs pour investir ».

Appel à la prudence

Pour Walid Moussa, « les règles du jeu ont changé ». En effet, devenu le moins cher de la région, l’immobilier libanais est à la fois une opportunité pour la diaspora libanaise d’investir au pays et un aimant pour les investisseurs étrangers, venant principalement du Golfe. Toutefois, ces acquéreurs potentiels n’en franchiront pas le seuil tant que « la situation globale du pays, aux niveaux sécuritaire, économique et politique, ne s’améliorera pas ». La formation d’un nouveau gouvernement, la mise en place des réformes politiques et économiques, ainsi que l’intervention du Fonds monétaire international sont tout autant de conditions sine qua non pour que la demande internationale réponde à l’offre du marché.

Localement, la loi 194 pour la protection du patrimoine historique, des immeubles à caractère et de l’identité des quartiers dévastés par l’explosion du port a pipé les dés pour le secteur foncier de cette région. « L’interdiction de toute transaction immobilière, à l’exception de Solidere et des promoteurs des bâtiments en construction, pour une durée de deux ans est tout simplement criminelle ! » s’exclame le syndicaliste, expliquant qu’elle prive les habitants de leur droit à la propriété et de l’argent dont certains pourraient avoir besoin suite à l’explosion. « Si cette loi est une question confessionnelle (protéger le caractère chrétien des quartiers), alors c’est un problème national, pas de quartier. Et c’est grave », constate-t-il. Maroun Hélou, lui, souligne toutefois que si cette loi exempte les promoteurs, « ceux-ci n’ont aujourd’hui aucun intérêt à la construction dans ces quartiers patrimoniaux à valeur architecturale », en sus de leur incapacité à l’importation mentionnée ci-dessus.

C’est donc une combinaison de facteurs qui pousse même le REAL à appeler les potentiels acquéreurs à la prudence. « Il faut dire aux gens de ne pas acheter à des prix excessifs et que s’ils passent ce cap, ils ne récupéreront pas la valeur de leur achat avant sept à huit ans », a prévenu Walid Moussa. Quant à Maroun Hélou, il préconise plutôt l’investissement dans les terrains, « avec un paiement en chèque bancaire bien sûr », dont la valeur pourra augmenter sur le long terme.



Périphrase de l’immobilier en temps de crise, le terme de « valeur refuge » s’apparente de plus en plus à un oxymore en cette fin d’année chaotique pour le Liban, qui enchaîne les crises depuis l’été 2019 – économique, financière, sociale et sanitaire –, sans oublier le choc de l’explosion dévastatrice (et non élucidée) au port de Beyrouth le 4 août dernier,...

commentaires (1)

""Il faut dire aux gens de ne pas acheter......qu' ils ne récupéreront pas la valeur de leur achat avant sept à huit ans "" meme plus tard encore ce serait peut etre encore profitable pour car a ce moment la, finis les interets sur les depots bancaires qui attiraient les capitaux n'est ce pas . OR la tres grande majorite des acheteur ne sont pas des investisseurs reels sauf en deposant leur argent dans les banques -zero revenu ou presuqe- ou d'investir dans l'immobilier . DONC ILS SERONT TOUJOURS GAGNANTS.

Gaby SIOUFI

09 h 01, le 14 décembre 2020

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Commentaires (1)

  • ""Il faut dire aux gens de ne pas acheter......qu' ils ne récupéreront pas la valeur de leur achat avant sept à huit ans "" meme plus tard encore ce serait peut etre encore profitable pour car a ce moment la, finis les interets sur les depots bancaires qui attiraient les capitaux n'est ce pas . OR la tres grande majorite des acheteur ne sont pas des investisseurs reels sauf en deposant leur argent dans les banques -zero revenu ou presuqe- ou d'investir dans l'immobilier . DONC ILS SERONT TOUJOURS GAGNANTS.

    Gaby SIOUFI

    09 h 01, le 14 décembre 2020

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