Le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) a condamné par contumace hier Salim Ayache, membre présumé du Hezbollah, à la prison à perpétuité pour avoir pris part à l’assassinat en 2005 de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. Salim Ayache, 57 ans, avait été reconnu coupable en août dernier pour son rôle dans l’attentat-suicide ayant tué le milliardaire sunnite et 21 autres personnes. Mais il est toujours en fuite, Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, refusant de le livrer au même titre que trois autres accusés qui ont finalement été acquittés. Le Premier ministre désigné Saad Hariri, fils du défunt, n’a pas tardé à réagir hier sur Twitter. « La justice internationale a annoncé son verdict. La sentence prononcée à l’encontre de Salim Ayache doit être exécutée. Les autorités judiciaires et sécuritaires libanaises doivent assumer leurs responsabilités pour ce faire », a écrit M. Hariri. Un peu plus tôt, c’est son frère aîné, l’homme d’affaires Baha’ Hariri, qui avait appelé à remettre le coupable à la justice. « Nous appelons les autorités libanaises à arrêter le meurtrier Salim Ayache pour que justice soit faite et pour éviter aux autorités plus d’isolement à l’international », a-t-il écrit sur Twitter. Hier soir, le Hezbollah n’avait pas commenté la décision du tribunal.
Premier mandat d’arrêt en 2011
Le TSL avait émis en 2011 un mandat d’arrêt à l’encontre de Salim Ayache lors de la publication de l’acte d’accusation, mais ce dernier n’a jamais été remis par les autorités libanaises. De nouveaux mandats d’arrêt à son encontre ont été lancés hier après l’annonce de la sentence, selon Wajed Ramadan, porte-parole du TSL. « Le premier mandat d’arrêt est toujours en vigueur. Et aujourd’hui (hier), la chambre a émis de nouveaux mandats d’arrêt aux niveaux local et international », a-t-elle indiqué à L’Orient-Le Jour. « Le tribunal a demandé aux autorités libanaises d’arrêter Salim Ayache. Il a également appelé ceux qui le protègent à le remettre au TSL », a-t-elle souligné. Rafic Hariri a été tué le 14 février 2005 à Beyrouth, lorsqu’un kamikaze avait fait exploser une camionnette remplie d’explosifs au passage de son convoi blindé. L’attaque avait fait 22 morts et 226 blessés. « Jusque-là, les autorités libanaises ont été incapables d’arrêter M. Ayache et de le transférer au siège du tribunal », a déploré la porte-parole du TSL. « Mais le Liban a l’obligation de coopérer avec le tribunal et de respecter ses décisions. Il faut que le Liban agisse rapidement. Nous sommes confiants qu’il va coopérer », a-t-elle ajouté. Si le Liban ne s’exécutait pas, les juges pourraient émettre une décision de non-conformité à l’encontre du pays et engager des consultations avec les autorités libanaises pour aboutir à une solution. Au cas où le dossier ne serait pas réglé, une notice sera envoyée par le TSL au Conseil de sécurité de l’ONU, selon les explications de Mme Ramadan.
Pour le politologue Karim Bitar, il y a très peu de chances que le Liban puisse remettre le coupable au TSL. « À mon avis, il n’y a rien à attendre avec la configuration actuelle. La décision du tribunal met bien évidemment l’État libanais dans une situation inconfortable, mais il n’empêche qu’à ce stade, M. Ayache pourra continuer à dormir tranquillement », a-t-il déclaré à L’OLJ. « On voit mal les autorités libanaises aller chercher Salim Ayache là où il est. Donc, cela risque de venir illustrer, une fois de plus, l’impuissance des autorités publiques libanaises », a-t-il ajouté.
Une « leçon » à la justice libanaise
Réagissant à l’annonce du TSL, le député démissionnaire Marwan Hamadé a estimé que « la sentence va au-delà de Salim Ayache ». M. Hamadé a lui-même fait l’objet d’une tentative d’assassinat en 2004 à Beyrouth, suivie par le TSL et dans laquelle Salim Ayache serait également impliqué. « Ce n’est pas Salim Ayache qui a décidé et planifié seul. Il n’a pas décidé tout seul d’éliminer les militants et de vider les scènes politique, sécuritaire, journalistique et partisane du Liban après 2005. Il n’a pas ourdi ce complot seul, ni coordonné seul avec Téhéran et Damas », a déclaré M. Hamadé dans un communiqué. « La prison à vie pour un criminel qui demeure introuvable peut paraître futile, comparée à l’horreur des crimes commis. Mais cette sentence constitue avant tout une leçon à la justice libanaise qui a manqué à son devoir, à l’exception de quelques procureurs généraux qui ont risqué leur vie et celles de leurs proches pour coordonner avec La Haye », a encore réagi l’ancien député. Salim Ayache est également accusé d’être responsable de l’assassinat de l’ancien secrétaire général du Parti communiste libanais Georges Haoui, le 21 juin 2005, dans un attentat à la voiture piégée près de son domicile dans le quartier résidentiel de Wata Mousseitbé, et de la tentative d’assassinat de l’ancien ministre Élias Murr dans la région d’Antélias le 12 juillet 2005.
Condamnation « juste et proportionnelle »
« La gravité des crimes est telle qu’ils requièrent la peine maximale. Les infractions sont d’une telle gravité que très rares sont les circonstances pouvant être considérées comme des facteurs atténuants susceptibles de réduire la peine appropriée », a déclaré pour sa part le juge David Re hier au TSL, basé à Leidschendam (Pays-Bas). Dans leur jugement, en août, les juges avaient estimé qu’il y avait suffisamment de preuves pour déterminer que Salim Ayache était au cœur d’un réseau d’utilisateurs de téléphones portables épiant les faits et gestes de Rafic Hariri dans les mois ayant précédé son assassinat. Il n’y avait pas cependant assez de preuves pour condamner les autres accusés, Assad Sabra, Hussein Oneïssi et Hassan Habib Merhi, ont déclaré les magistrats. Selon les juges, il n’y a pas non plus de preuves de lien entre l’attaque et la direction du mouvement Hezbollah ou ses alliés à Damas.
Au cours d’une audience en novembre, les procureurs avaient estimé que la perpétuité était la « seule condamnation juste et proportionnelle » pour Salim Ayache, considérant qu’il s’agissait de « la plus grave attaque terroriste ayant eu lieu sur le sol libanais ». Ils avaient également exigé la saisie des biens de Salim Ayache.
Même par contumace, ce jugement est important. Certes, « les procès par contumace ne sont pas le moyen idéal pour rendre la justice », a admis, interrogé par l’AFP, Christophe Paulussen, chercheur à l’Institut Asser de La Haye (Pays-Bas). Et les tribunaux internationaux sont comme un « géant sans bras ni jambes », puisqu’ils dépendent des États pour les arrestations de suspects et ne sont pas en mesure de faire exécuter eux-mêmes une décision, selon M. Paulussen. « Mais malgré ce handicap, le Tribunal spécial pour le Liban est au moins parvenu à constituer un dossier judiciaire convaincant sur ce qui s’est passé il y a 15 ans, donc à aider la société libanaise à passer d’une culture d’impunité à une culture de la responsabilisation », a-t-il ajouté.
commentaires (6)
Mme Antonios, Ayache n'est pas un membre "présumé" du hizbola. C'est un cadre de ce parti que Hassan Nasrallah a qualifié de "saint", qu'il ne le livrera dans 30 ans et même 300 ans . Lorsque, il y a des années de cela, Saad Hariri, s'est entretenu avec son chef, essayant de pacifier les choses en lui disant que Ayache et ses complices ont agi de leur propre initiative sans en référer à leur supérieurs. La réponse de Nasralla à l'époque était que le hizbola n'a pas dans ses rangs des membres indisciplinés...
DJACK
17 h 19, le 12 décembre 2020