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Société - Drame du port

Son époux est toujours porté disparu, mais elle sait qu’il ne reviendra plus...

Wadad Jleilati est aujourd’hui dans une situation de détresse absolue, alors que son mari fait partie des six personnes qui n’ont toujours pas été retrouvées quatre mois après ce funeste 4 août.


Son époux est toujours porté disparu, mais elle sait qu’il ne reviendra plus...

Une vue des dégâts, massifs, provoqués par la double explosion, mardi 4 août 2020, au port de Beyrouth. Photo AFP

4 août 2020. Ismaïl Mazaal, chauffeur de camion et portefaix au port de Beyrouth, finit de décharger une cargaison. Il vient de parler à sa fille de trois ans et demi, Ghina, pour lui assurer qu’il va rentrer au plus vite. Dix minutes plus tard, 2 700 tonnes de nitrate d’ammonium explosent et dévastent une partie de la capitale. Quatre mois après, l’homme, originaire de Raqqa et arrivé au Liban cinq ans avant le déclenchement de la guerre en Syrie, est toujours porté disparu. « Dès que j’ai compris que l’explosion avait eu lieu au port de Beyrouth, je me suis effondrée. Je suis restée au lit pendant deux semaines, je ne pouvais plus me lever. Ce sont les voisins qui se sont occupés de ma fille », raconte son épouse, Wadad Jleilati, alors que des larmes silencieuses coulent sur ses joues.

Ils sont six encore à ne pas avoir été retrouvés depuis la tragédie qui a tué plus de 200 personnes. Deux Libanais, Sarah Tarabay et Ibrahim Raad, et quatre Syriens, Mohammad Abdallah, Mohammad Rihaoui, Firas Fahd et Ismaïl Mazaal. Leurs familles les ont activement cherchés dès les premières heures qui ont suivi la catastrophe, en faisant le tour des hôpitaux. Ils ont ensuite remis des échantillons de leur ADN aux autorités concernées pour les besoins de l’enquête ouverte par la Cour de cassation de Beyrouth. Le travail se fait en coopération avec la police et la Croix-Rouge libanaise. Tous se raccrochent au dernier moment où ils ont eu des nouvelles de leurs proches. Sarah Tarabay avait 35 ans. Elle était en train de courir au bord de la mer au niveau de l’ancien BIEL, comme à son habitude, une heure avant l’explosion. Ibrahim Raad était originaire de Tripoli et vivait avec sa famille à Abi Samra. Le jour de l’explosion, il se trouvait à Beyrouth. Un troisième Libanais était également porté disparu mais sa tante serait entrée en contact récemment avec la police, à partir de l’Allemagne, pour l’informer qu’il a été retrouvé. Mohammad Abdallah était ouvrier au port de Beyrouth, Mohammad Rihaoui boucher à Hamra et Firas Fahd ouvrier. Il habitait à Jnah. Tous devaient se trouver à proximité du port au moment du drame.

« J’ai peur que ma fille meure de faim »

Wadad Jleilati a appelé, des jours durant, le numéro de son mari. Mais ses appels sont restés sans réponse avant que la batterie du portable ne se vide totalement. Aujourd’hui, elle dit ne plus attendre son retour. Elle sait, au plus profond d’elle-même, qu’il a péri dans l’explosion et qu’il ne reviendra plus. Sa vie a basculé, encore une fois, en ce jour funeste. « Au moment de l’explosion, j’habitais un deux-pièces à Nabaa, mais comme j’avais déjà un mois de retard sur le loyer et que je ne pouvais plus payer après la disparition de mon mari, j’ai dû partir », soupire-t-elle. Depuis la disparition de son époux, elle n’a plus les moyens de vivre et compte uniquement sur les 450 000 livres mensuelles qui lui sont versées par le HCR. Cette femme de 45 ans, plutôt robuste, a pu se trouver une chambre de concierge à Bsalim, dans le Metn, une région qu’elle ne connaît pas. « Je ne paie pas de loyer, mais je ne gagne pas d’argent non plus. Une habitante de l’immeuble m’apporte un plat à chaque fois qu’elle cuisine à midi. Souvent, je ne mange qu’une seule fois par jour », murmure-t-elle. La chambre de concierge qu’elle occupe est minuscule. Elle n’a ni réfrigérateur ni télévision.

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Wadad Jleilati n’a jamais été aussi pauvre. Originaire d’Alep, elle venait d’une famille d’artisans. Elle s’était mariée une première fois et avait déjà eu une fille. Elle a le sentiment aujourd’hui que l’histoire se répète. « Il y a six ans, à Alep, un gang a kidnappé mon (premier) mari. Je l’ai cherché partout mais je ne l’ai pas trouvé. Des hommes ont menacé d’enlever ma (première) fille qui n’avait pas 20 ans à l’époque pour l’épouser. Je me suis réfugiée au Liban avec elle. Ma famille était ici. Aujourd’hui, ma mère se trouve en Turquie. Mon frère est resté au Liban mais ne m’adresse plus la parole », dit-elle.

Le second mariage de Wadad Jleilati s’est fait contre la volonté de ses parents, surtout celle de son frère. Quand elle est tombée enceinte d’Ismaïl Mazaal, tout le monde a coupé les ponts avec elle. Aujourd’hui, elle n’a plus personne sur qui compter et se trouve dans une situation de détresse absolue. « Je suis fatiguée, fatiguée. Parfois, je marche sans voir devant moi, parfois je n’arrive pas à écouter ce qu’on me dit. J’ai surtout peur pour ma fille Ghina. Elle n’a plus que moi au monde. J’ai peur qu’elle meure de faim. Une idée me hante : j’ai peur de mourir et la laisser livrée à elle-même. »

4 août 2020. Ismaïl Mazaal, chauffeur de camion et portefaix au port de Beyrouth, finit de décharger une cargaison. Il vient de parler à sa fille de trois ans et demi, Ghina, pour lui assurer qu’il va rentrer au plus vite. Dix minutes plus tard, 2 700 tonnes de nitrate d’ammonium explosent et dévastent une partie de la capitale. Quatre mois après, l’homme, originaire de Raqqa et...

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