Au nom de la justice et de la vérité due aux proches des deux victimes et au peuple libanais, le député démissionnaire Neemat Frem a demandé hier à l’État, dans un tweet publié sur son compte personnel, « des réponses » aux questions que soulève le récent assassinat du colonel à la retraite des Douanes, Mounir Abourjeily, à Kartaba (Jbeil). M. Frem s’est demandé dans son tweet si le fil conducteur dans cette affaire ne recoupe pas celui de la mort suspecte en 2017 d’un autre officier des Douanes du port, le colonel Joseph Nicolas Skaff, et s’il ne faut pas envisager que les deux morts soient en rapport avec le drame de l’explosion du 4 août dernier.
La déflagration s’est produite dans un hangar où étaient stockées depuis 2013, sans précaution et apparemment sans justification plausible, 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium. Elle a fait plus de 200 morts et au-delà de 6 500 blessés, dont un millier d’invalides et d’estropiés, et elle a dévasté le port de Beyrouth et les quartiers environnants, dans un rayon de plusieurs kilomètres.
« Quelle est cette probabilité qui fait que deux officiers de la brigade des Douanes du port de Beyrouth soient liquidés, presque de la même façon, à trois ans d’intervalle ? » s’est interrogé pour L’Orient-Le Jour le député démissionnaire.
On sait que le colonel Mounir Abourjeily, originaire de Kartaba, a été assassiné il y a quelques jours, la nuit dans son sommeil, d’un coup violent porté à la tête à l’aide d’un objet contondant.
Par ailleurs, solidaire en cela avec des proches de la victime, M. Frem soutient que le colonel Joseph Skaff est mort en mars 2017 de façon suspecte. Certes, l’enquête ouverte à cette époque avait conclu à une mort accidentelle, suite à une chute. Toutefois, les proches de la victime et l’association Jeunesse antidrogue (JAD), où l’officier des Douanes occupait la fonction de formateur, contestent cette version des faits et affirment que l’officier est mort d’un violent coup à la tête porté par un ou plusieurs inconnus qui l’attendaient dans un parking.
La première mise en garde
Au lendemain de la catastrophe du port, JAD avait saisi l’occasion pour relancer sa campagne en faveur d’une réouverture du dossier et demandé au juge d’instruction et procureur général près la Cour de justice Fadi Sawan de joindre ce dossier à celui de l’explosion du 4 août. L’association rappelle à ce sujet que le colonel Joseph Skaff a été le premier à adresser une mise en garde écrite sur la dangerosité du stock de nitrate d’ammonium déchargé en 2013 du navire Rhosus. Le 21 février 2014, il avait en effet mis en garde ses supérieurs, dans une note écrite, contre le caractère « extrêmement dangereux » de la cargaison du Rhosus et relevé qu’elle « met en péril la sécurité publique ».
En outre, le colonel Skaff, assure JAD, s’était fait connaître par la saisie de grandes quantités de haschisch et la confiscation de tonnes de pilules de Captagon.
Passer à la vitesse supérieure
La requête de Neemat Frem rejoint à sa manière celle de nombreux groupes et associations qui s’impatientent de la lenteur, de l’opacité et de la partialité de l’enquête conduite par M. Sawan, en lui demandant « de passer à la vitesse supérieure ».
On sait qu’un mois après l’explosion, l’organisation Amnesty International avait même appelé à une enquête internationale sur les circonstances qui ont conduit au drame. Le chef de l’État Michel Aoun avait refusé le 7 août cette option, sous le motif contestable que cette enquête risquait de « diluer la vérité ».
Sous la pression de l’opinion et sur une injonction publique récente du président, le magistrat instructeur vient de demander au Parlement que les ministres qui se sont succédé depuis 2013 aux ministères du Transport, des Finances et de la Justice, soient interrogés sur leur responsabilité dans l’affaire de l’explosion du port par la Haute-Cour chargée de juger les anciens et actuels présidents et ministres prévue par l’article 80 de la Constitution. Le président de la Chambre a sèchement rejeté cette requête. « Nous avons fait le nécessaire et nous y avons répondu », s’est contenté de dire le chef du législatif aux journalistes qui l’interrogeaient à ce sujet, sans donner d’autres détails. En substance, M. Berry aurait fait savoir à M. Sawan que la Haute-Cour n’instruit pas elle-même des dossiers, mais examine et se prononce sur des dossiers déjà instruits. Si l’on en croit des informations distillées à la presse, M. Sawan considère que, grâce à cette « réponse », il a désormais les mains libres pour interroger des ministres sur cette affaire, non plus en qualité de témoins, mais comme accusés.
Dans un discours adressé à la nation pour le 22 novembre, le chef de l’État avait exhorté le magistrat, quelques jours auparavant, à ne pas limiter les responsabilités dans son enquête « au niveau administratif ». En clair, à l’élargir au niveau politique.
Pour l’heure, le juge d’instruction dans cette affaire a émis 25 mandats d’arrêt, notamment contre l’ancien directeur général de la compagnie de gestion du port, Hassan Koraytem, et le directeur général des Douanes, Badri Daher. Il a en outre interrogé une dizaine de ministres et d’anciens ministres, ainsi que des responsables sécuritaires, mais uniquement en tant que témoins.
commentaires (5)
ILS EN SAVAIENT PROBABLEMENT TROP. ON LEUR L,A BOUCLEE.
LA LIBRE EXPRESSION
14 h 02, le 04 décembre 2020