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Culture - Poésie

Beyrouth restera-t-elle cette étincelante muse du Parnasse ?

Deux poètes de la diaspora libanaise, Farès al-Haramouni et Fadi Toufayli, ressuscitent une capitale autrefois cosmopolite, dans une langue arabe aux diaprures somptueuses et à la musicalité envoûtante.

Beyrouth restera-t-elle cette étincelante muse du Parnasse ?

Le poète et professeur d’histoire Fadi Toufayli. Photo DR

Les odes les plus ardentes à une terre aimée, devenue lointaine mais jamais étrangère à cause de l’exode. Farès al-Haramouni al-Mahjari (l’exilé) adresse son recueil de poèmes-cantiques Roubaiyat Bayrouth (Les Quatrains de Beyrouth – Dar Nelson – 99 pages), en un lyrisme délirant, à la capitale libanaise, « étoile de la mer ». Le talonne de près, par-delà la tragédie du 4 août au port de Beyrouth, avec un sentiment de farouche nationalisme, de nostalgie et de tenace volonté de vivre et non de survivre, le verbe de Fadi Toufayli. Avec son nouveau recueil Chareh al-Khamissa Sabahan (Rue cinq heures du matin – Mouassassat Dar al-Jadid – 132 pages) il parle, en noctambule invétéré, du Beyrouth d’antan, celui des années 1990.

Comme sur un nuage ou enserré dans un diadème aux pierres précieuses, Beyrouth est porté par un Parnasse aux accents émouvants, d’une scintillante phosphorescence…

Étourdissant verbe que celui de Farès al-Haramouni qui s’adresse à Beyrouth comme s’il s’adressait à une femme passionnément aimée et dont il est éperdument fidèle. Avec cette séparation de la patrie mère, le destin a été cruel ; et du fond de Vancouver d’où il écrit, ce septuagénaire au cœur encore de jeune homme, déclare sa flamme à une ville idolâtrée. Tout en lâchant, en amoureux transi et éconduit, cet aveu : « Tu m’as exilé après m’avoir tout appris. »

C’est avec gourmandise et fierté qu’il nomme, en un sens proustien de la nomenclature, ses villes, ses rues, ses places publiques, ses cafés : Tyr, Tripoli, Hamra, corniche Nouriyé, el-Bourj, Ahwet el-Ezez, Horseshoe. Il se souvient des joyeux tramways colorés tintinnabulants, évoque avec tendresse et respect la cohorte de poètes et écrivains qui ont donné tant de saveur, de force, de panache et de sang neuf à la langue arabe (Ounsi el-Hajj, Saïd Akl, Youssef el-Khal, Amine Rihani) devenue l’épicentre de la littérature des pays du soleil. Mais il dessine aussi, au déclin du jour ou aux lueurs de l’aube, minarets de mosquées et dômes d’églises, affirme sa dévotion aux Rahbani et surtout à Feyrouz, mélodie de l’espoir et icône rassembleuse d’une population aux repères brouillés.

« Chareh al-Khamissa Sabahan » (Rue cinq heures du matin – 132 pages – Mouassassat Dar al-Jadid) en vente en librairie.

Fille d’Adonis et d’Astarté

Beyrouth, fille d’Adonis et d’Astarté, source de beauté et de perfection, ville qu’il a portée sur ses épaules et son dos dans ses longues et nombreuses pérégrinations, il craint qu’elle ne se souvienne pas de cet enfant qui a vécu en son sein et sous son ciel de 1950 à 1970. Et qui l’a tant aimée.

Pour Beyrouth, louve invincible, la dernière ville rassembleuse et magicienne, ces mots et ce message de pérennité. Qu’on le claironne et qu’on se le dise : Beyrouth demeure ! Avec un cœur grand comme ça et une tendresse immense, dans un Orient où le printemps l’a délaissé depuis longtemps.

Il y a des phrases qui interpellent dans ce torrent de poésie dédiée à une terre, pour la glorification d’un pays, l’attachement indéfectible à une nation. Des phrases qui sont à la fois constat amer, fervente prière et exhortation pour parer à un passé sombre et destructeur. Il faut écouter ce grondement sourd des dieux et du people.

Comme un chœur tragique antique les vocables accablent et dénoncent : « Tous t’ont pillée, tourmentée, trahie, inondée de discours, de chansons idiotes. »

In fine, après un intense tour d’horizon de l’histoire et du passé le plus proche, traversé de lumière et d’orages, c’est un vibrant appel à la colère de tous les éléments de la nature pour une résurrection. Retrouver à nouveau l’odeur des genêts d’or, du musc, des pins, de l’eau de rose, de l’encens, du romarin, du laurier, de la paix et de la joie de vivre.

« Roubaiyat Bayrouth » de Farès al-Haramouni (Quatuor de Beyrouth – 99 pages – Dar Nelson).

Ces noctambules des années 1990

Sur un ton beaucoup moins emphatique ou majestueux, mais toujours lyrique, animé d’une inendiguable nostalgie, s’égrène le chapelet d’images et de sonorités modernes et feutrées de Fadi Toufayli avec son quatrième et dernier recueil, au titre à la fois énigmatique et révélateur Chareh al-Khamissa Sabahan.

Le lien des lieux et de la mémoire, pour ce quadragénaire originaire de la région de Deir el-Zahrani près de Nabatiyé, mais installé aujourd’hui en Hollande dans la bourgade de Zutphen, hante son esprit et sa plume. Pour traduire et exprimer cette relation, cet architecte d’intérieur, diplômé de l’Université libanaise devenu professeur d’histoire aux Pays-Bas, n’a guère oublié sa langue natale. Il la transcrit dans ces pages d’une poésie simple aux pointes pourtant mordantes et ambiguës. Et qui respire les souvenirs ineffables et ineffaçables tant il cite avec ferveur les rues qu’il fréquentait assidûment dans les années 1990 à Beyrouth. Ainsi défilent Achrafieh, Sanayeh, Hamra, Gemmayzé, Sassine, Jeïtaoui…

Flanqué d’un ami qui pourrait être son alter ego, car l’amitié, c’est s’approcher si près du cœur de l’autre qu’on en est à jamais irradié, le poète, féru des œuvres de Salinger, René Char, Primo Levi et Georges Perec, est en prise avec les problèmes existentiels. La vie nocturne, dans ses plaisirs furtifs, ses plaisirs, sa sensualité, son évasion, ses rêveries, est une alternative pour sa quête et ses hantises.

Dans une expression libre d’une prose destructurée, ponctuée de certaines trouvailles verbales piquantes, il restitue et dévoile quelques sentiments intérieurs comme on trace une toile impressionniste. Et il cite l’inspiration de Van Gogh pour ces chavirantes étoiles qui tournoient comme des toupies et des lunes qui ne se laissent pas approcher comme des serpes d’or ou d’argent négligemment jetées dans le firmament.

Entre style nerveux et tendance non réprimée pour un vague romantisme, Beyrouth surgit en filigrane. Avec ses ombres, ses angoisses, ses désordres, ses fausses libertés, ses moments de consolation et sa force persuasive d’un charme envoûtant qu’on ne domestique pas. Et ce sont les mots de ce recueil, pas forcément bleus, qui s’érigent, à travers un parcours personnel singulier et insaisissable, en une ode un peu voilée à Beyrouth.

Le mot de la fin : comment définir le Liban qui est toujours, après des années d’éloignement et d’intégration à l’étranger, source de votre inspiration ? Quels termes aurez-vous pour en parler, même à des milliers de kilomètres de distance ?

Et la voix du poète de murmurer, en un ton à la fois navré et neutre : « Le Liban est un pays absurde, magique, fou. Difficile, complexe et compliqué. Il est difficile de le quitter tant il est attachant. »

La poésie, langage premier et voie royale de l’expression, est ici un rempart contre le désespoir et les murs détruits d’une capitale autrefois reine des villes. Il ne faut pas l’oublier, la poésie est aussi le noir du langage sur lequel passent les griffes de la lumière…

Les odes les plus ardentes à une terre aimée, devenue lointaine mais jamais étrangère à cause de l’exode. Farès al-Haramouni al-Mahjari (l’exilé) adresse son recueil de poèmes-cantiques Roubaiyat Bayrouth (Les Quatrains de Beyrouth – Dar Nelson – 99 pages), en un lyrisme délirant, à la capitale libanaise, « étoile de la mer ». Le talonne de près, par-delà la...

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