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Société - Droits

Lorsqu’un migrant libanais et une travailleuse domestique ont les mêmes peurs

L’ONG Kafa lance une campagne soutenue par l’OIT pour sensibiliser au droit des employées de maison étrangères à travailler en liberté.

Lorsqu’un migrant libanais et une travailleuse domestique ont les mêmes peurs

Capture d’écran tirée de la courte vidéo publiée par Kafa, qui appelle à considérer le travail domestique comme un travail en bonne et due forme.

C’est l’histoire d’une conversation téléphonique entre une Libanaise et son frère Ziad qui envisage d’aller travailler à l’étranger, parce que au pays du Cèdre, la crise est profonde. Elle l’encourage et le presse de s’engager. Mais il ne peut s’empêcher d’avoir des appréhensions, car il ne lui est pas facile de recommencer à zéro dans un pays où il ne connaît personne. Il craint d’être mal logé, de ne pas être libre de ses mouvements, de voir son passeport confisqué. « Ce n’est pas une prison », assure sa sœur. « Qu’est-ce que tu en sais ? » lui répond-il, évoquant la difficulté de porter plainte, même dans un pays qui se respecte, lorsque le travail s’apparente à de l’esclavage. L’anxiété de Ziad est justifiée. Justifiée par sa peur de ne pas pouvoir casser son contrat s’il n’est pas content de ses conditions de travail, si ses employeurs ne lui versent pas son salaire, ce qui l’empêcherait de transférer de l’argent à sa famille au Liban, s’ils le jettent vulgairement à la porte de l’ambassade. « Ces choses n’arrivent pas, assure sa sœur. Tu n’es pas un immigrant pour te faire avoir. Tu vas travailler dans la dignité comme tout le monde. »

Après l’espoir, la déception

En toile de fond de cette conversation, défilent les images du quotidien d’une employée de maison migrante au Liban. La jeune femme est belle. Elle a la peau brune. Elle pourrait être éthiopienne. Elle pourrait être l’employée de la sœur de Ziad. Peu importe. Laver, repasser, nettoyer, récurer est son quotidien. La tâche n’est pas si dure. Elle s’en acquitte rapidement. Avec l’espoir d’une vie meilleure pour les siens. Mais le sourire qu’elle affichait à ses débuts disparaît rapidement. D’abord, elle dort par terre, sur un matelas posé à même le sol de la cuisine, où elle est constamment dérangée, même la nuit. Et puis son passeport est confisqué. Son salaire non versé. Elle est enfermée à clé sans droit de sortie. Pour un oui ou un non, sa patronne la houspille. Elle n’a même pas le droit de bavarder au balcon avec sa compatriote, employée domestique comme elle, qui lui fait un signe de la main depuis l’appartement d’en face. L’espoir des débuts fait place à la déception, à la solitude, au désespoir, aux larmes.

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« Le travail domestique est un travail. Mettez fin à la kafala (ou système du garant qui régit les employées de maison étrangères au Liban). » Tel est le message adressé aux Libanais, à travers cette vidéo, par l’association Kafa, qui milite contre la violence et l’exploitation des femmes, libanaises ou étrangères, avec le soutien de l’Organisation internationale du travail (OIT). À travers cette courte vidéo d’une minute et demie publiée sur les réseaux sociaux et diffusée par les chaînes télévisées locales, l’association veut sensibiliser la société libanaise, autorités comprises, à la grande vulnérabilité des travailleuses domestiques migrantes au Liban, à l’importance du travail dans des conditions dignes et libres. En cette période d’effondrement du pays qui pousse les Libanais au départ, elle effectue un subtil parallèle entre les travailleuses migrantes au Liban et la jeunesse du pays en quête de travail à l’étranger. Comme pour dire que cela pourrait bien arriver à chacun d’entre eux. « À travers le sujet de l’émigration qui touche tous les Libanais, il est nécessaire de montrer que les peurs d’un migrant libanais sont les mêmes que celles des travailleuses domestiques », explique l’avocate Mohana Ishak, responsable du dossier des travailleuses domestiques au sein de l’ONG Kafa.

Changer les mentalités pour amender les lois

« Cette vidéo ambitionne aussi de changer le regard des Libanais sur le travail domestique, en l’absence de législation protégeant les droits des employées de maison, dans le contexte sociopolitique actuel », observe Me Ishak. « La société libanaise doit prendre conscience qu’il n’est pas normal de confisquer le passeport de son employée de maison, de l’enfermer à la maison, de l’empêcher de communiquer avec ses compatriotes. Et seul un changement des mentalités est susceptible d’ouvrir la voie à l’évolution de la législation », estime-t-elle. Le travail domestique n’est en effet pas couvert par le code du travail. En revanche, les employées de maison étrangères sont soumises au système de la kafala ou du garant, qui les place sous la tutelle de leur employeur et garant, ouvrant la porte à toute sorte d’abus physiques et moraux. La campagne de Kafa suit de près la suspension par le Conseil d’État du nouveau contrat de travail des travailleuses domestiques, adopté en août dernier par la ministre sortante du Travail, Lamia Yammine. Un contrat avant-gardiste et proche des standards internationaux, déjà décrit comme un pas de géant vers l’abolition de la kafala. Sauf qu’il a fait l’objet d’un recours présenté par le syndicat des bureaux de recrutement des travailleuses étrangères qui s’est estimé lésé par ce nouveau contrat, sans oublier le mécontentement qu’il a suscité de la part des employeurs.

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Quoi qu’il en soit, c’est dans un contexte particulier que Kafa lance son message aux Libanais. Un contexte qui voit les travailleuses domestiques quitter le Liban par vagues massives, depuis l’effondrement de la livre libanaise et la pénurie de dollars américains.

« Cette campagne est au cœur d’un partenariat au sein du programme “Travailler en liberté” de l’OIT et l’ONG Kafa, pour changer le discours et la perception liés aux travailleurs domestiques », souligne de son côté la porte-parole de l’organisation onusienne, Zeina Mezher. « Travailler en liberté, explique-t-elle, cela veut dire bénéficier de la liberté de mouvement, de la liberté de choix, de la liberté de changer d’employeur, de la liberté de rester dans son pays ou de migrer pour travailler. » Mme Mezher ajoute que la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux et sur les chaînes télévisées a pour objectif « d’inviter le public à se mettre dans la peau d’un travailleur migrant et à reconnaître le travail domestique comme un travail ». D’où le timing d’une telle campagne, car, estime la porte-parole de l’OIT, « la voie du changement de politique nécessite une sensibilisation et un plaidoyer continus, avec pour objectif le démantèlement de la kafala ».

C’est l’histoire d’une conversation téléphonique entre une Libanaise et son frère Ziad qui envisage d’aller travailler à l’étranger, parce que au pays du Cèdre, la crise est profonde. Elle l’encourage et le presse de s’engager. Mais il ne peut s’empêcher d’avoir des appréhensions, car il ne lui est pas facile de recommencer à zéro dans un pays où il ne connaît...

commentaires (3)

génial. bravo

lila

22 h 57, le 27 novembre 2020

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • génial. bravo

    lila

    22 h 57, le 27 novembre 2020

  • Excellent ! Bravo, c'est poignant de vérité. En attendant ce jour où tous les travailleurs étrangers seront promus au yeux de tous et surtout de la loi, à ce qu'ils ont toujours été, des êtres humains !

    Ayoub Elie

    18 h 13, le 27 novembre 2020

  • C,EST QUE LES DEUX SONT DES MIGRANTS. MEME SORT, MEMES EFFETS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 51, le 27 novembre 2020

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